Les aventures de Cléo – W.G. Colber
À l’heure du néoféminisme castrateur et de la pornographie débridée en accès libre à n’importe quel con muni d’un téléphone dit intelligent, il est particulièrement rafraîchissant de se (re)plonger dans les Aventures de Cléo, série érotique signée W.G. Colber qui respire la joie de vivre et les plaisirs de la route, sans prise de tête ni reductio ad porcum. Dans cette sérié, nous suivons la jeune Cléo, dont le parcours est semée d’embûches érotiques pour sa plus grande satisfaction et celle du lecteur. Bande-dessinée d’un noir et blanc classique et classieux, cette curiosa est doublement réussie : d’une part, elle est bien scénarisée et bien dessinée, donc excitante ; d’autre part, elle évite tous les écueils, que ce soit la vulgarité, le glauque ou l’intellectualisation de ce qui reste un bonheur simple de l’humanité.
Un divertissement dessiné de qualité, réservée aux adultes bien entendu. Ces Aventures de Cléo mériteraient une réédition dans une belle collection…
Philippe Rubempré
W.G. Colbert, Les aventures de Cléo, BD Adultes,10 épisodes parus entre 1983 et 1992, côté 15 à 20 euros par épisode.
Hubert Félix Thiéfaine, Animal en quarantaine – Sébastien Bataille
« Dans une société où ces contes de la folie ordinaire, normalisée, s’octroient l’autorisation de délirer à ciel ouvert, l’œuvre d’« HFT »joue plus que jamais un rôle de refuge pour les rescapés de la caverne de Platon. »
Sébastien Bataille, p. 19.
43 ans de carrière au compteur d’Hubert Félix Thiéfaine depuis la sortie en 1978 de Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, et un nouvel album, Géographie du vide, paru ce mois d’octobre 2021. Parallèlement, le journaliste, blogueur et critique musical Sébastien Bataille (Causeur, Gonzaï…) livre sa biographie de l’ovni jurassien de la chanson française, HF. Thiéfaine Animal en quarantaine (du titre d’une chanson de 1993, sur l’album Fragments d’hébétude).
Véritable biographie littéraire et musicale, aux antipodes de la curiosité malsaine en vigueur dans certains torche-culs qui ne méritent pas même d’être cités (ni même d’exister), le bouquin de Bataille engage la conversation avec l’œuvre inclassable d’Hubert Félix Thiéfaine, entre chanson, rock et pop, aux accents tantôt énervés, tantôt romantiques, empreinte de l’imaginaire à la fois flamboyant et décadent de l’ours des montagnes jurassiennes. Biographie officielle, elle bénéficie de la complicité du chanteur – sans complaisance ni recherche exagérée de l’anecdote croustillante – pour couvrir sa démarche artistique de ses origines à sa dernière production (une Géographie du vide hautement recommandable).
Tout le talent de Sébastien Bataille, et ce qui fait de cette biographie une très belle réussite, est d’avoir su brosser le portrait d’un artiste et de son œuvre, un peu à la manière d’un grand peintre. Il a évité l’écueil de la quête effrénée de la petite faiblesse montée en indigeste mayonnaise pour voyeurs victimophiles ou chouineurs des chaumières. Autre talent de Bataille, avoir su conserver son intégrité professionnelle dans une biographie officielle, néanmoins critique, l’auteur n’hésitant pas à jeter un œil connaisseur et acéré sur les différents albums studios et lives du chanteur.
Sébastien Bataille retrace donc les grandes étapes de la carrière musicale de Thiéfaine, des débuts parisiens dans la dèche, le twist et le reste aux premiers albums en compagnie du groupe Machin ; puis la riche collaboration avec Claude Mairet, le diptyque américain, Bonheur & Tentation, l’expérimental Défloration 13, Scandale mélancolique, la collaboration bluesymentale avec Paul Personne, le burn-out et la renaissance du phœnix avec Suppléments du mensonge et Stratégie de l’inespoir, pour s’achever avec le cru 2021 du Jurassien, Géographie du vide.
Les amateurs et connaisseurs d’Hubert Félix Thiéfaine se retrouveront dans cette biographie fouillée, qui plonge au cœur de l’œuvre du chanteur, en explore les arcanes et en psychanalyse le singe. Les novices découvriront plus qu’un simple chanteur, un artiste, une ambition et une œuvre. Le tout écrit dans un style enjoué cadrant parfaitement à son sujet.
Une biographie hautement recommandable, donc, d’un artiste hautement recommandable (rien à jeter dans la discographie d’HFT), et par un critique, découvert à cette occasion, dont je vous recommande le blogue, Au rayon cd.
Philippe Rubempré
Sébastien Bataille, HF. Thiéfaine Animal en quarantaine, préface de Dominique A., Éditions de L’Archipel, octobre 2021, 492 p.
Lectures octobre
- La France n’a pas dit son dernier mot – Éric Zemmour
- Churchill #1 & 2 – Delmas, Regnault, Cammardella, Kersaudy
- BREUM #4 Sur ta mère comme au ciel – Marsault
- Bordel de Dieu – Marsault
- Deux poids, deux mesures – Marsault & Cordell
- BREUM #1 Attention ça va piquer ! – Marsault
- BREUM #2 Blindage et liberté – Marsault
- BREUM #3 C’est pas la taille qui compte – Marsault
- Dernière pute avant l’autoroute – Marsault
- Ultima Necat IV Journal intime 1992-1993 – Philippe Muray
- FDP de la Mode #2 L’ultime croisade – Marsault + Papacito
- Sans filtre. L’intégrale. – Marsault
- Le Côté de Guermantes – Proust
- FDP de la Mode #1 Enculés, va ! – Marsault + Papacito
- L’homme avisé dans les allées du pouvoir (L’homme de cour) – Baltasar Gracian
- Une élection ordinaire – Geoffroy Lejeune
- Lettre à un soldat de la classe 60 – Robert Brasillach
- Les Frères ennemis – Robert Brasillach
- Pastiches #1 L’école franco-belge – Roger Brunel
- Autodafés. L’art de détruire les livres – Michel Onfray
- L’après littérature – Alain Finkielkraut
- Le Faucon et L’Hirondelle – Boris Akounine
FDP de la Mode – Marsault & Papacito
Castigat ridendo mores…
La chaîne You Tube de Baptiste Marchais, Bench & Cigars, propose ce jeudi 21 octobre 2021 une vidéo intitulée « On met des journalistes en PLS… ». Il s’agit pour Marchais, Papacito, Julien Rochedy et Georges Jordi (VA+) de répondre à un épisode de l’émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann qui leur était consacré. Sans revenir sur ladite émission dans son intégralité, j’ai été stupéfait du fait que le journaliste de Marianne (un hebdomadaire pour lequel j’ai habituellement une certaine estime) présent sur le plateau critique (c’est son droit le plus absolu) la bande-dessinée FDP de la Mode, scénarisée par Papacito et dessinée par Marsault, sans même l’avoir lue (n’est-ce pas problématique?). Si cela avait été le cas, il n’aurait pas commis un contresens énorme et flagrant quant au personnage dessiné en couverture du premier tome, Enculés, va !. Voici donc ma réponse à cette absence de professionnalisme, à cette démarche contraire à la déontologie journalistique, à ce gant jeté à la face de la charte de Munich…
Je suis le travail de Marsault depuis plusieurs années. Je l’ai chroniqué à l’occasion, ai défendu son droit à la libre expression dans un article paru dans ces pages le 26 janvier 2019, et intitulé « Ce qui est valable pour Charlie doit l’être pour Marsault ». C’est par l’intermédiaire de ce dernier que j’ai découvert Papacito et ses livres (et non via son travail de « youtubeur », n’étant pas un grand amateur de réseaux dits sociaux, que je fuis en général comme la peste). J’ai donc lu les deux tomes parus de FDP de la Mode, qui s’ils sont violents, sont loin de la caricature de « facho » assénée sans autre argument dans une certaine presse dite bien-pensante.
FDP de la Mode est d’abord une bande-dessinée, un divertissement qui se rit des travers de notre triste époque pour mieux les dénoncer. Du Fluide glacial, du Charlie, du Hara-Kiri, tendance droitarde, et alors ? Depuis quand l’humour est-il l’apanage, la chasse gardée de la gauche ? Certes, dans les années 1970, la gauche brillait dans ce domaine avec des génies comme Cabu, Reiser ou Gotlieb, pour m’en tenir à la bande-dessinée, mais cette époque est bel et bien révolue. Actuellement, la gauche en perte de magistère moral et intellectuel en est réduite au ricanement et à l’entre-soi médiatique, à défaut de réel poids politique et social. Celle qui châtiait autrefois les mœurs en riant est devenue la victime de son propre aveuglement idéologique. Dieu se rit de ceux qui redoutent les effets dont ils chérissent les causes, sermonnait à juste titre le grand Bossuet…
Alors, que trouve-t-on de si scandaleux dans FDP de la Mode ? Une dénonciation des « racailles » (expression empruntée à Nicolas Sarkozy, 2007-2012) de banlieues (donc pas de toute la population de banlieues) auxquelles le contribuable offre aides sociales, financières, passes-droits pour les grandes écoles… et qui vous mordent la main et vous insultent en retour ? Raciste, disent-ils… en oubliant que le vrai racisme, c’est la complaisance à l’égard de ces individus considérés comme victimes pures et éternelles de la France ; en oubliant que les auteurs défendent l’honneur de la mère qui travaillent sans compter ses heures et pour un salaire de merde pour payer des Nike à son gamin qui la méprise, et qui n’en branle pas une, conneries mises à part ; en oubliant qu’ils défendent l’honneur du père resté au bled et qui n’a jamais éduqué ainsi sa progéniture. Dénonciation aussi du deux poids, deux mesures de l’aide aux populations fragiles. Le Blanc alcoolo de plus de 50 ans peut aller se faire foutre, lui venir en aide n’est pas bankable. Il ne compte pas, pas de storytelling possible pour un mâle hétéro non-racisé… Caricatural ? C’est le principe de cette bande-dessinée. Il n’en reste pas moins que la caricature se fonde sur la réalité, qu’elle amplifie démesurément. Une caricature hors-sol fait pschittt, elle débande, elle tombe à l’eau.
Par ailleurs, je m’interroge. La gauche est venue au secours de Fromet, qui a intelligemment chanté « Jésus est pédé » ou « Elle a brûlé la cathédrale », en prenant le risque (gigantesque) d’affronter le terrorisme catholique. Fromet a donc le droit d’user de la caricature. Durant la grande époque des années Canal+, les Deschiens crachaient quotidiennement à la gueule du populo sous prétexte de caricature. La gauche ne trouve rien à y redire. Les Deschiens ont donc le droit d’user de la caricature. Pourquoi donc Papacito et Marsault ne pourraient-ils pas bénéficier de ce même droit ?
Avec FDP de la Mode, Papacito et Marsault frappent souvent juste, ainsi sur le cinéma français, l’hypocrisie des politiciens (que je ne confonds pas avec les hommes d’État), la bourgeoisie, l’antisémitisme rabique de Soral, le rejet de la France par une partie de la jeunesse française issue de l’immigration… Il faut être d’une sacrée mauvaise foi, ou d’une sacrée volonté de nuire, pour prendre au premier degré cette bande-dessinée. Ce n’est fait par une certaine gauche que dans le but d’ostraciser, d’insulter, de condamner. Et dans le cas de ladite émission, et du journaliste de Marianne en question, de le faire a priori.
Alors, plutôt que d’écouter les fatwas des gauchistes qui ne se sont même pas donné la peine d’ouvrir les bouquins qu’ils critiquent avant de chier sur la gueule de leurs auteurs, faites preuve d’intelligence : lisez-les et faites vous votre propre opinion. Vous pouvez détester ces ouvrages, les trouver choquants, abjects, odieux… une fois, et seulement à cette condition sine qua non, que vous les aurez lus.
Pour ce qui me concerne, je relis régulièrement les deux tomes de FDP de la Mode, et je ne sache pas que je sois devenu un affreux fâââââssssssiste ou un raciste bas de plafond.
Philippe Rubempré
Marsault & Papacito, FDP de la Mode #1 Enculés, va !, Éditions Ring, 2018.
Marsault & Papacito, FDP de la Mode #2 L’ultime croisade, Éditions Ring, 2019.
Ab hinc… 306
« L’homme naît barbare, il ne se rachète de la condition des bêtes que par la culture ; plus il est cultivé, plus il devient homme. […] Il n’y a rien de si grossier que l’ignorance, ni rien qui ne rende si poli que le savoir. Mais la science même est grossière, si elle est sans art. Ce n’est pas assez que l’entendement soit éclairé, il faut aussi que la volonté soit réglée, et encore plus la manière de converser. » – Baltasar Gracian