Ab hinc… 201
« Il faut convenir (…) que les passions sont un accident dans la vie, mais cet accident ne se rencontre que chez les âmes supérieures… » – Stendhal, Le Rouge et le Noir
Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu – Jules Roy
Vézelay est une commune bourguignonne fameuse ! Qui n’a admiré sa colline du haut de laquelle la basilique Sainte-Marie-Madeleine, point de départ d’une des routes de Compostelle et classée au Patrimoine de l’UNESCO, domine les environs. Toutefois, l’architecture exceptionnelle, l’Esprit qui y flotte et la proximité des grands vins de Bourgogne dissimulent d’autres réalités. Ainsi, Vézelay est la commune au sein de laquelle l’écrivain Jules Roy a élu domicile jusqu’à son décès survenu en 2000. Cet ancien colonel, ami de Cioran, habitait juste à côté de l’église, dans la ville haute. Vézelay a reçu en outre la visite d’autres personnalités des arts et lettres.
À la fin de sa vie, Serge Gainsbourg a longuement séjourné dans la ville basse, sans jamais oser (?) monter à la basilique, ainsi que le raconte Roy. Il a même offert le feu d’artifice de la Saint-Sylvestre 1990 aux habitants de Saint-Père-sous-Vézelay (la ville basse). Mistlav Rostropovitch, quant à lui, est venu y enregistrer les Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach en janvier – février 1991, après avoir effectué un repérage fin 1990.
Jules Roy nous livre ici le récit du séjour de Rostropovitch à Vézelay. Mais cela ne s’arrête pas au roman d’un enregistrement in situ… Roy délivre un récit écrit d’une plume magistrale, un texte profond qui appelle ses souvenirs et remonte au nez de scène ses doutes enfouis, le tout sur fond de première guerre du Golfe. La narration du séjour du musicien russe se métamorphose ainsi en réflexion sur Dieu, la foi, Son existence (Cioran, qui ne croyait pas, disait que « s’il y a quelqu’un qui doit tout à Bach, c’est bien Dieu« ) et sur la guerre, Roy se remémorant, en écho aux bombardements du Moyen-Orient, avoir lâché ses tapis de bombes sur Leipzig, la ville de Bach…
Récit étrange et passionnant, Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu met en scène le prince des violoncellistes à la foi chevillée à l’instrument, toujours d’une extrême courtoisie, et le provocateur athée, juif d’origine russe auquel nous devons quelques-unes des plus belles chansons du siècle dernier. L’auteur est présent physiquement, il est le « je », et par le souffle qu’il donne à son texte à la fois par ses questionnements intimes et universels, et par sa dimension littéraire.
Philippe Rubempré
Jules Roy, Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu, Albin Michel, 1992, 182 pages, prix selon bouquiniste.
Comédie sentimentale pornographique – Jimmy Beaulieu
L’excellente collection Shampooing propose avec cette Comédie sentimentale pornographique un roman graphique qui porte bien son titre. Corrine (sic) et Louis se sont rencontrés sur un coup de culot féminin dans la file d’attente d’un auteur en dédicace, Martin Gariépy. Croisant habilement les extraits du roman de Gariépy, sa loose sentimentale, la relation entre Corrine et Louis, et les souvenirs érotiques des personnages, Jimmy Beaulieu construit une comédie sentimentale drôle et inventive, ce qui n’est pas évident sur l’éternel sujet des relations amoureuses.
Il est très difficile de résumer cette comédie chorale, d’en faire le « pitch » comme on dit en bon français. Toute l’histoire tourne autour de Louis et Corrine, et de leurs relations. Menant une vie libérée à Québec, Louis annonce à Corrine qu’il vient d’acheter sur un coup de tête un vieil hôtel sur la Côte-Nord. Ils décident d’y passer l’été avec un couple d’amis…
Comédie sentimentale pornographique est un roman graphique et très cinématographique, qui n’est pas sans rappeler certains films de potes, comme Mes meilleurs copains de Jean-Marie Poirée, ou de vacances, La nouvelle tribu, feuilleton télé de Roger Vadim. Le tout entrecoupé de souvenirs et de scènes érotiques explicites, sans toutefois verser dans la vulgarité. Beaulieu a l’intelligence de les traiter avec humour et souvent de manière décalée. Comédie sentimentale pornographique sans prise de tête, lecture avec le sourire, érotisme cru, souvent drôle, jamais gratuit… On verrait bien ce roman dessiné devenir un film, par exemple des frères Farrelly ou mieux encore, des frères Coen.
En bref, une belle lecture en perspective, du genre à remettre du baume au coeur en ces tristes temps…
Philippe Rubempré
Jimmy Beaulieu, Comédie sentimentale pornographique, Delcourt, coll. Shampooing, 2011, 286 pages.
Ab hinc… 200
« Si je ne peux pas fumer de cigares au Ciel, je ne veux pas y aller ! » – Mark Twain
Ab hinc… 199
« – Elle était meilleure que moi, ce n’est pas une raison pour me mépriser.
Ces gens qui ne savent que mépriser, à quoi cela sert-il ? Le mépris est le masque des faibles.
Un homme fort ne méprise rien. Il a usage de tout. »
Paul Claudel, Le Pain dur, I;3