Debout, la Légion ! – Cdt Charles Hora
Récit d’une vie mouvementée, Debout, la Légion ! se veut aussi un hommage au corps le plus célèbre de l’armée française et une défense de son honneur malmené en ces années 1960-1970. Charles Hora raconte sa Légion, la Légion, à l’encontre des clichés du légionnaire brute épaisse et fasciste, forcément fasciste. Une certaine douceur, tendresse même parfois, émane de ces lignes.
Karel Hora est né à Yokohama, au Japon, d’un père tchèque de nationalité austro-hongroise et d’une mère japonaise. Gosse turbulent, il écume les établissements scolaires. Inscrit à l’université pour des études diplomatiques qui ne l’intéresse guère, il les abandonne après son service militaire et un vol de bijou. Fugue à Nice où il est rattrapé par son père qui lui file une baffe, un dico d’espagnol et quelques dollars, puis le met dans un bateau à destination de l’Équateur. La deuxième vie d’Hora commence en Amérique du Sud, où il se mariera une première fois et aura sa fille.
Revenu en Europe pour faire du commerce, Hora s’engage en 1939 dans la Légion étrangère. Il y aura un parcours à la fois héroïque et rebelle. Au sein du prestigieux corps, il servira dans la Campagne de France en 1940, y perdra quelques doigts, gagnera après la défaite l’Angleterre par l’Espagne, sera FFL, résistant, servira en Corée, en Indochine et terminera son engagement en Algérie, y sera naturalisé Français par le sang versé, et où, en désaccord avec la politique du Général de Gaulle, il démissionnera non sans quelques remous de la Légion et réintègrera la vie civile. Hora est décédé à Ajaccio à la fin des années 2000.
Le récit de la vie de ce légionnaire se lit comme un trépidant roman d’aventures. Sans être un politique, Hora donne à réfléchir sur le traitement réservé par la France, sa classe politique et ses médias à certaines composantes de la population : le cynisme qui en ressort fait froid dans le dos. Et ce sont les civils qui auront payé le prix fort. Ce dont Hélie Denoix de Saint-Marc a témoigné d’une manière si poignante ! Hora quitte la Légion étrangère avec les honneurs et en ayant été fidèle jusqu’au bout à l’honneur, contre les vents de l’autorité militaire gaulliste et les marées hostiles des civils métropolitains : Croix de Guerre 39-45 avec 7 citations, dont 3 palmes ; Croix de Guerre TOE avec 5 citations, dont 1 palme, Médaille commémorative de Corée, Chung Mou coréen, Silver Star américaine ; (en Algérie) Croix de la Valeur Militaire, 2 citations ; et son pays d’origine l’a décoré de la Croix de Guerre tchécoslovaque, de la Croix d’Héroïsme et de la Médaille du Mérite.
Honneur et fidélité, telles sont les valeurs érigées au rang de vertus par Hora et mis en oeuvre réellement par son engagement au sein de ce qui reste aujourd’hui encore le plus beau et le plus efficace vecteur d’intégration, la Légion étrangère.
Legio Patria Nostra.
Philippe Rubempré
Cdt Charles Hora, Debout, la Légion !, recueilli par Paul Vincent, Éditions de la Pensée Moderne, 1971, 285 pages, prix selon bouquiniste.
Ab hinc…204
« La ruée des peuples vers le laid fut le principal phénomène de la mondialisation. Pour s’en convaincre, il suffit de circuler dans une ville chinoise, d’observer les nouveaux codes de décoration de La Poste française ou la tenue des touristes. Le mauvais goût est le dénominateur commun de l’humanité. » – Sylvain Tesson
Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson
Récit autobiographique, Dans les forêts de Sibérie est le journal de retraite de Sylvain Tesson dans une cabane sise au bord du lac Baïkal entre février et juillet 2010. C’est aussi, et sans doute avec plus de force encore que celui de Dominique Venner (1), le bréviaire d’un insoumis. Hymne à la Liberté, ode à la Nature, Dans les forêts de Sibérie explose de fraîcheur, sans mauvais jeu de mots : fraîcheur de sa plume ; fraîcheur du climat sibérien ; fraîcheur de son rapport à la modernité technico-consumériste inculte… Dans le même temps, Tesson insuffle à son récit la chaleur de la vie : chaleur du poêle à bois dans la cabane au coeur de l’hiver russe ; chaleur de la vodka à 40° qui réjouit les coeurs en détruisant les foies ; chaleur de banya (sorte de sauna chauffé à 80°) qui régénère les corps et les âmes ; chaleur de l’accueil russe et de l’amitié partagée.
Fidèle à son goût des aphorismes, Sylvain Tesson en parsème généreusement son récit, en en faisant les phares et balises donnant sens et repères à son expérience. L’aventurier s’était promis lors d’un premier passage sur le Baïkal d’y revenir. Par ailleurs, ce Robin du froid avait décidé d’expérimenter l’érémitisme avant ses quarante printemps. Chose faite à trente-huit. Mieux qu’une psychanalyse pour savoir si l’on se supporte, la retraite en forêt. Une cabane de bois de neuf mètres carrés. Une provision substantielle de vodka, cigares et cigarillos. Une bibliothèque soigneusement choisie : lectures en retard, romans, essais philosophiques ou artistiques, tout ouvrage éloigné de son lieu de retraite, exception faite des guides faunistiques et floristiques. Vivres, outils, de quoi pêcher. La retraite sibérienne n’est pas de tout repos. Mais l’intensité de l’observation de la nature et de l’introspection est d’autant plus profonde que la fatigue des corvées de bois et la rudesse du climat s’insinue.
Six mois loin de tout et de tous, seul, Robinson des forêts sans Vendredi, naufragé volontaire du lac Baïkal. Six mois de réflexion, de randonnées de promenades. Changement total du rythme de vie, ressenti jusque dans les rythmes du corps. Six mois de solitude entrecoupée de visites clairsemées, pêcheurs ou gardes forestiers russes passant vider une bouteille de vodka et discuter autour d’un saucisson. Partager l’anachorèse de Sylvain Tesson est une aventure littéraire autant qu’intérieure. Dans les forêts de Sibérie appartient à cette catégorie de livres qui vous accompagnent tout au long d’une vie, et qui gagnent à être lus et relus…
Le mot de la fin est pour l’auteur : « L’ermite ne s’oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité. » Je vous souhaite de poursuivre cette quête, mais pas d’arriver. Il me semble que la seule fin possible n’est que le terminus des prétentieux, comme dirait Audiard.
Il y a quelque chose de Brel chez Sylvain Tesson dans leur rapport à l’aventure chantée par le Grand Jacques, également chantre de la quête…
Philippe Rubempré
Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Éditions Gallimard, 2011, 270 pages, 17,90 euros.
(1) Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Pierre-Guillaume de Roux, 2013, 317 pages.
Le Grand Santini – Pat Conroy
Pat Conroy vient de nous quitter le 4 mars dernier, bouffé par un crabe. J’ai rencontré cet écrivain en lisant Charleston Sud, puis Le Prince des Marées. Un roman de Pat Conroy est une invitation à partager quelques heures la vie des habitants du Dixieland, ce Sud que l’auteur aimait envers et contre tout. À l’instar de Julien Green et de sa trilogie consacrée au Sud, Les Pays lointains, Les Étoiles du Sud, et Dixie (Seuil, 1987, 1989, 1994), Conroy donne envie de le goûter ce Sud mythique, ce climat si particulier, cette gastronomie, son étiquette aristocratique au charme désuet, quoique… Il aura, hélas, fallu que sonne le glas de cet envoûteur à plume pour que je lise son premier roman publié en 1976, Le Grand Santini.
Le Grand Santini s’appelle en réalité Wilbur « Bull » Meecham ; c’est le nom de guerre de ce lieutenant-colonel, pilote virtuose de l’US Marines Corps. Dévoué au Corps des Marines, marine lui-même jusqu’à la caricature, Bull Meecham pousse le vice jusqu’à élever ses enfants et diriger sa famille comme une compagnie militaire. Avec son épouse Lillian, dévote éduquée dans la grande tradition du Sud, ils ont quatre enfants : Ben, l’ainé, basketteur prometteur voué par son père au Corps ; Mary-Anne, pleine d’esprit et d’un cynisme ravageur, et les deux plus jeunes, Matt et Karen. Tous redoutent leur père, le Grand Santini, ego redoutable omniprésent et autoritaire. D’origine irlandaise, il est violent et parfois porté sur la boisson pour le malheur des siens. Ce roman retrace la vie de la famille Meecham durant deux années. Bull, de retour d’une mission d’un an en Méditerranée, est muté à Ravenel, bourgade sise en Caroline du Sud, où il doit prendre le commandement d’une escadrille. Pour son fils ainé, ce sera donc à Ravenel qu’il terminera son lycée. Fatigué de son père qu’il hait ou croit haïr, il n’attend que son bac pour dégager de la maison…
On plonge avec délices et volupté dans l’histoire de cette famille. Cette saga s’achève sur un événement capital, révélateur, qui vient couronner, comme une cerise sur un gâteau, d’une lumière nouvelle et d’un sens profond ce roman. C’est aussi une chronique de la vie dans le Deep South des années 1960, de la ségrégation et du sexisme, mais également et malgré la Guerre Froide et la menace cubaine, d’une certaine insouciance bercée par le soleil et les vagues. Roman choral articulé autour de la famille Meecham, Le Grand Santini déploie toute une gamme de personnages aussi intéressants les uns que les autres – voire troublants pour un lecteur européen non-averti des moeurs de nos amis d’Outre-Atlantique – qui rappelle Simenon dans la manière de faire ressentir les personnages plutôt que de les décrire.
Le Grand Santini est avant tout un grand roman sur la famille, la paternité, la relation au père. Drôle souvent, jouissif parfois, profond, émouvant, ce roman donne à lire, à plaisir, à réfléchir. Dès son premier livre, Pat Conroy s’est imposé avec la signature d’un grand romancier, d’un écrivain aussi à l’aise avec son propos et les subtilités de la langue qu’un mérou en Méditerranée. Le Grand Santini : un grand roman d’un grand écrivain ; un grand livre qui ne vous laissera pas tout à fait indemne.
Philippe Rubempré
Pat Conroy, Le Grand Santini, traduit de l’Anglais (États-Unis) par Éric Chédaille, Pocket, 2009, 666 pages.
Ab hinc… 203
« Nos tartufes devraient tenir compte de notables changements intervenus pendant ces vingt cinq dernières années. La vieille morale chrétienne, si pratique, a tendance à s’effacer devant une éthique plus froidement utilitaire mais, fort heureusement, tout aussi contraignante, et qui par là-même devrait leur suggérer d’autres priorités qui leur permettront de rendre la vie de leurs concitoyens de plus en plus difficile, car il s’agit toujours de protéger contre lui-même un peuple imbécile. » – Georges Pichard