Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi avril 19th 2024

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Le Grand Santini – Pat Conroy

Grand Santini    Pat Conroy vient de nous quitter le 4 mars dernier, bouffé par un crabe. J’ai rencontré cet écrivain en lisant Charleston Sud, puis Le Prince des Marées. Un roman de Pat Conroy est une invitation à partager quelques heures la vie des habitants du Dixieland, ce Sud que l’auteur aimait envers et contre tout. À l’instar de Julien Green et de sa trilogie consacrée au Sud, Les Pays lointains, Les Étoiles du Sud, et Dixie (Seuil, 1987, 1989, 1994), Conroy donne envie de le goûter ce Sud mythique, ce climat si particulier, cette gastronomie, son étiquette aristocratique au charme désuet, quoique… Il aura, hélas, fallu que sonne le glas de cet envoûteur à plume pour que je lise son premier roman publié en 1976, Le Grand Santini.

Le Grand Santini s’appelle en réalité Wilbur « Bull » Meecham ; c’est le nom de guerre de ce lieutenant-colonel, pilote virtuose de l’US Marines Corps. Dévoué au Corps des Marines, marine lui-même jusqu’à la caricature, Bull Meecham pousse le vice jusqu’à élever ses enfants et diriger sa famille comme une compagnie militaire. Avec son épouse Lillian, dévote éduquée dans la grande tradition du Sud, ils ont quatre enfants : Ben, l’ainé, basketteur prometteur voué par son père au Corps ; Mary-Anne, pleine d’esprit et d’un cynisme ravageur, et les deux plus jeunes, Matt et Karen. Tous redoutent leur père, le Grand Santini, ego redoutable omniprésent et autoritaire. D’origine irlandaise, il est violent et parfois porté sur la boisson pour le malheur des siens. Ce roman retrace la vie de la famille Meecham durant deux années. Bull, de retour d’une mission d’un an en Méditerranée, est muté à Ravenel, bourgade sise en Caroline du Sud, où il doit prendre le commandement d’une escadrille. Pour son fils ainé, ce sera donc à Ravenel qu’il terminera son lycée. Fatigué de son père qu’il hait ou croit haïr, il n’attend que son bac pour dégager de la maison…

On plonge avec délices et volupté dans l’histoire de cette famille. Cette saga s’achève sur un événement capital, révélateur, qui vient couronner, comme une cerise sur un gâteau, d’une lumière nouvelle et d’un sens profond ce roman. C’est aussi une chronique de la vie dans le Deep South des années 1960, de la ségrégation et du sexisme, mais également et malgré la Guerre Froide et la menace cubaine, d’une certaine insouciance bercée par le soleil et les vagues. Roman choral articulé autour de la famille Meecham, Le Grand Santini déploie toute une gamme de personnages aussi intéressants les uns que les autres – voire troublants pour un lecteur européen non-averti des moeurs de nos amis d’Outre-Atlantique – qui rappelle Simenon dans la manière de faire ressentir les personnages plutôt que de les décrire.

Le Grand Santini est avant tout un grand roman sur la famille, la paternité, la relation au père. Drôle souvent, jouissif parfois, profond, émouvant, ce roman donne à lire, à plaisir, à réfléchir. Dès son premier livre, Pat Conroy s’est imposé avec la signature d’un grand romancier, d’un écrivain aussi à l’aise avec son propos et les subtilités de la langue qu’un mérou en Méditerranée. Le Grand Santini : un grand roman d’un grand écrivain ; un grand livre qui ne vous laissera pas tout à fait indemne.

Philippe Rubempré

Pat Conroy, Le Grand Santini, traduit de l’Anglais (États-Unis) par Éric Chédaille, Pocket, 2009, 666 pages.