Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi juillet 3rd 2025

Insider

Archives

Ab hinc… 170

« Force est de reconnaître, cependant, que l’obsession égalitaire, issue d’une conception sociologique et non plus politique de la démocratie, assortie de son corollaire obligé qu’est le principe dit de « non-discrimination », a fini par dégénérer en abolition autoritaire du discernement et déboucher sur une doxa pénalement sanctionnée. » – Anne-Marie Le Pourhiet, « Le droit français est-il Charlie ? », in Le Débat n°185, mai-août 2015, pp. 21-35

Ab hinc… 169

« En démocratie, la politique est l’art de faire croire au peuple qu’il gouverne. » – Louis Latzarus

Le génie des orifices. Esthétique des plaisirs de la table et du lit – Jean-Pierre Dufreigne

génie orifices    Sous-titré Esthétique des plaisirs de la table et du lit, Le génie des orifices, plus qu’un essai, est une promenade apéritive et érudite au gré des neuf types de trous que compte le corps humain. Ce livre est à déconseiller absolument aux héritiers moraux du procureur Pinard, qu’ils se classent parmi les Diaphoirus de dispensaire , les grenouilles de bénitiers et autres faces de carême (ou de ramadan, ou de hanouka, peu importe, la connerie intégriste est une des choses les mieux partagées au monde). L’auteur, Jean-Pierre Dufreigne, ne cherche pas à choquer le bourgeois, à offenser une quelconque religion (il se revendique catholique) ou à inciter à la débauche (il confesse s’être naguère abandonné « à l’adoration du flacon malté » tout en constatant que « nul soudard ne peut se comparer au consul d’Au-dessous du volcan, ni à son génial auteur, Mr Malcom Lowry »). En revanche, son petit traité promeut un savoir-vivre certain – et en voie de disparition, hélas – où l’être de culture connaît son corps et sait en jouir, sexuellement, gastronomiquement, intelligemment. Dufreigne ne craint pas de convoquer au même banquet Kant critiquant « la Raison en se torchonnant au vin et rhum (selon Michel Onfray et son Ventre des philosophes (…) », et Madonna, « un nombril qui danse » ; la Madone qui affirme en outre, citée par Denyse Beaulieu dans son Histoire culturelle de la sexualité (Sex Game Book – Histoire culturelle de la sexualité, Assouline, 2006) que « le sexe n’est sale que quand on ne se lave pas ».

À l’instar de Stendhal composant ses Promenades dans Rome, Dufreigne nous offre ses promenades dans le corps humain. Une balade finement érudite, littéraire, philosophique et gourmande, visitant peau, bouche, nez, oeil, oreilles, fossette, nombril, vulve et cul. Un bonheur de lecture où Anthelme Brillat-Savarin croise le nez de Gogol, et où la Lolita de Nabokov rencontre Lucrèce… Placé sous le patronage de Guillaume Apollinaire, Le génie des orifices est une ode au corps humain et à ses plaisirs, une ode aux arts dans ce qu’ils subliment par la beauté, un bréviaire de littérature, un programme alléchant d’un cinéma comme il ne s’en fait plus.

Jean-Pierre Dufreigne n’est pas avare de bonnes formules, et notamment quand il s’agit de souligner l’hypocrisie des ligues de vertu. Ainsi de démontrer que « un ivrogne glabre est moins dégonflé qu’un barbu sobre » ou de constater que « l’antitabagisme nuit gravement à la liberté ». Et de fait, cela relève de plus en plus de la censure moralinisante (cf les expositions récentes sur Tati, Malraux ou Sartre, pour les affiches desquelles on avait fait disparaître respectivement la pipe et les cigarettes au nom d’une loi Évin au comble de sa stupidité, du ridicule et du travestissement d’une réalité historique). Amateur de cigares comme de cigarillos, je soutiens Dufreigne quand il écrit que « empêcher d’en griller une c’est asexuer Gilda. Dénigrer le tabac c’est châtrer Dom Juan en censurant (les) premières lignes du chef d’oeuvre de Molière ». Étudie-t-on encore l’acte I scène 1 du Festin de Pierre mettant en scène Sganarelle « tenant une tabatière » ? Je ne le crois pas. Il s’agit pourtant d’une pièce majeure de la littérature et du théâtre français. Je laisse à Molière (cité par Dufreigne) le mot de la fin, dans la bouche de Sganarelle :

« Quoi que puissent dire Aristote et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac, c’est la passion des honnêtes gens ; et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre ; non seulement il réjouit, et purge les cerveaux humains ; mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde ?« 

Philippe Rubempré

Jean-Pierre Dufreigne, Le génie des orifices. Esthétique des plaisirs de la table et du lit, Belfond, 1995, 187p., prix selon bouquiniste.

Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.

Y a-t-il un docteur dans la salle ? – René Fallet

Fallet-C__m

Voilà une chronique qui porterait sans mal un titre façon tableau, du genre « Autopsie d’un amour contemporain au scalpel des vers de Brel ». Y a-t-il un docteur dans la salle ? est un roman coloré, sensuel et tragique comme une toile de Gauguin.

Régis Ferrier, auteur et metteur en scène de 48 ans, est un grand amoureux devant l’Éternel, même s’il n’aime plus son épouse légitime… et si ses amours ne durent que rarement trois ans. Else, Mouche, Marieke… et Marthe !  Marthe, la toubib gauchiste de vingt ans sa cadette, Marthe maquée avec son hippie suisse ; Marthe au sein droit sensiblement plus proéminent que l’autre.

Avec ce roman publié en 1977, René Fallet se fait plaisir et le partage. Il ne manque pas de saisir son époque au plus juste, voire avec le sens de l’anticipation singulier qu’il démontrera dans La soupe aux choux. Ses aphorismes sont d’une pertinence inégalée aujourd’hui, jugez en vous-même : « Le gauchisme mène à tout, et surtout à la convention… ». C’est vérifié aujourd’hui, regardez où sont les anciens gauchistes. Fallet fait preuve en outre d’un sens du tragique dans la narration de l’amour qui, versification exceptée, n’est pas sans rappeler Corneille et Racine.

fallet docteur    Mécanique implacable de la jalousie sur fond de liberté et d’insouciance propres aux années 1970, le tout baignant dans les vapeurs de whisky et l’écume de bières belges. Marthe est jeune, rencontrée au sein de la bande de potes de Nadine, nièce de Régis, elle vit en communauté rue d’Aubervilliers, a un régulier, ancien drogué. Le choc des générations est saisi à point par Fallet, choc des conceptions amoureuses aussi. Et de mettre dans la bouche de Ferrier ces mots que lui-même n’aurait sans doute pas reniés :

« « Tu n’auras plus mes fesses si elles ne dorment pas à vie contre les tiennes. » L’amour, ce n’est pas ça pour moi. J’ai connu des gens, mariés chacun de leur côté, qui ne pouvaient se voir qu’une heure de temps en temps entre deux portes et qui, sans jamais un week-end ou un jour de vacances à eux, s’aimaient. Des années. Jusqu’au bout. Marthe n’est pas de ce sang-là. Dommage. Ce n’est pas une dame. C’est de l’ordinaire, et j’ai pourtant tout essayé pour améliorer cet ordinaire.« 

Ces mots de Ferrier montrent aussi la confrontation avec le féminisme qui se retrouvent au fil des pages, pour le meilleur et souvent pour le rire.

Grandeur et décadence des amours de Régis Ferrier aux accents bréliens, les vers du grand Jacques ponctuant le cours du récit. Brel et Fallet se rejoignent dans leur art de saisir l’instant, de capter l’émotion en quelques phrases, voire quelques mots. Ils se rejoignent aussi dans l’art de chanter les amours déçues. On retrouve de L’Ivrogne et du Jeff chez Ferrier / Fallet, en plus désenchanté, peut-être…

« – Paumée ! C’est votre grande excuse !  La panacée du jour ! Quand vous faites des conneries, c’est toujours parce que vous êtes paumés ! Je me tape La Godille parce que je suis paumée ! Je me came parce que je suis paumé ! C’est trop pratique. Moi, si je bois, c’est parce que je le veux bien, au moins ! Je prends mes risques. Je n’incrimine pas la fatalité.« 

Concluons notre chronique en soulignant chez Fallet un sens de la formule rappelant le grand Michel Audiard. Avant-goût avant que vous ne vous précipitiez pour vérifier s’il y a bien un docteur dans la salle : « Son cul en a vu d’autres, d’accord, mais il n’a jamais volé aussi bas, le malheureux. »

Philippe Rubempré

René Fallet, Y a-t-il un docteur dans la salle ?, Denoël, 1977, 361p., 9,50€ en poche (Folio) 

Ab hinc… 168

« Dans le monde physique qu’on appelle Brute, les forts enfoncent les faibles. Un pulmonique ne crève pas le poitrail d’Hercule. Dans le Monde intellectuel et social, c’est l’opposé, les faibles foulent aux pieds les forts. Quelle dérision, mais c’est comme cela. Joli petit monde ! » – Barbey d’Aurevilly

 Page 117 of 192  « First  ... « 115  116  117  118  119 » ...  Last »