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Ab hinc… 149
« La France, petit paradis peuplé de gens qui se pensent en enfer, administré par des pères-la-vertu occupés à brider les habitants du parc humain, ne convenait plus à son besoin de liberté. » – Sylvain Tesson, Berezina, Guérin, 2015, p.25
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Ab hinc… 148
« Le mépris est un sentiment libérateur. Il exalte une belle âme et l’incite aux grandes entreprises. » – Guillaume Apollinaire
Songe d’un après-midi de bureau (coquetterie 2)
Songe d’un après-midi de bureau
par Philippe Rubempré
Dominique s’ennuyait. Nous pourrions même écrire qu’il s’emmerdait royalement. Tout dans sa vie n’était qu’une agression contre sa tranquillité et sa paresse naturelles. Mais pourquoi diable ne lui foutait-on donc pas la paix !? Dominique réussit cet exploit de s’ennuyer dans la société la plus riche en termes de loisirs, de culture, de communication. Et pourtant, force est de le constater, l’ennui prévaut. Domine. Écrase même. À l’heure joyeuse – forcément joyeuse – et bénie des réseaux dits sociaux, de la transparence et de la communication à outrance, du divertissement considéré comme de la culture et de la vulgarité élevée au rang de divertissement, Dominique fait figure d’un sombre réactionnaire ; il ne lit d’ailleurs ni L ni le NO… L’est-il vraiment, réac ? Et puis, qu’importe ? C’est bien une idée d’actionnaire de résumer son alter à la réaction. Toutes ces considérations oiseuses n’offrent pas de réponse à son ennui essentiel. Ses études d’Histoire et de Géographie, sa boulimie de romans et de lecture, son goût d’un certain cinéma d’aventures carton-pâte désuet, lui avaient fait miroiter une liberté et une excitation frénétiques de vie. Liber sum, ergo sum. Et déception. Pas de tristesse, juste de l’ennui. Comment vous expliquer : l’ennui chez Dominique n’est pas triste ; pas de velléités suicidaires ; pas plus de dépression. Un ennui heureux. Inoffensif. Une sorte d’indifférence. À l’opposé des déclinologues comme des rebelles de profession qui n’ont de rebelles que le nom. Dominique diffuse un ennui poli. Un emploi garantit son indépendance financière ; une maison sa retraite sociale quotidienne ; une carte électorale dûment tamponnée l’exercice de son devoir citoyen. Même si son devoir d’humain lui impose un vote blanc. Un ennui poli je vous dis, voilà la réponse de Dominique à la médiocrité purulente de la société et de ses concitoyens.
Possibles de l’ennui : au travail, à la maison, au restaurant, dans la vie, au lit, à l’envie, au cinéma, au concert, au musée, chez des amis, au bar, au bureau, sous le bar après le bureau, sous le bureau avec Natacha, au club avec Natacha nattachée, en boite à partouze, à chaussures, à gants, en discothèque, en dvd-thèque, en baskets, à la mosquée, à la synagogue, à l’église, dans la cité, à la cathédrale, en ville, au ministère, à la mairie, dans la fonction publique territoriale et pas que, au téléphone, sur la toile, aux toilettes, dans un cabinet, en lisant Marc Lévy, Guillaume Musso, Eric-Emmanuel Schmitt, Jean-Jacques Rousseau, les érotiques de Gérard de Villiers, Karine Thuil, le Monde, The Financial Times, Die Welt, Der Frankfurter Allgemeine Zeitung, El Pais, La Reppublica, la Pravda, Florian Zeller, William Shakespeare, Joyce Carol Oates, Nancy Huston, en baisant avec Julie, Claire, Cécile, Marie, Sophie, Emma, Jean-Louis, Robert, Conchita, Médor et Paf le chien, devant les vitrines des Champs-Élysées la semaine de Noël, en écoutant les cocos, les socialos, les libéros, les fachos, les populos, les populeux et les fâcheux, liste non exhaustive à poursuivre ad libitum….
Dominique n’a que l’embarras du choix pour s’accommoder de son ennui charnel autant qu’intellectuel. Il n’est en outre pas le seul frappé par ce symptôme. Ennuyés de tous les pays, unissez-vous ! Le mal du siècle n’est pas comme d’aucun peut le faire croire la douleur lombaire consécutive à la tenue au bureau, à l’usine ou au sport. L’ennui est le mal de ce siècle nouveau comme des siècles passés. Évidemment pas pour tout le monde. Le lambda n’est pas sujet à l’ennui. S’ennuyer se mérite, demande une certaine culture, une certaine classe, une lucidité aveugle sur l’absurdité de ce monde débile et génial à la fois. L’ennui à la petite semaine est une chimère, un leurre. Il n’existe pas. Dominique n’est pas un citoyen à la petite semaine. Il n’est pas lambda. Sa conscience l’en empêche. L’ennui est créatif. Enfin, est un état créatif. Les génies s’emmerdent. Pour composer la Comédie Humaine, il devait se faire chier Balzac ; il devait pleurer sur la médiocrité naturelle de l’homme s’offrant en un minable et impudique spectacle. C’est là l’immanence de la société. L’Humanité évolue et offre toujours ce minable et impudique spectacle. En tout lieu et en tout temps. Universellement. Avec ses génies, tels Dominique ou Balzac, ou Proust, ou Claudel, ou Zola, ou Bloy, ou Bernanos, ou Flaubert, ou j’en passe, qui à force d’ennui font preuve de génie. Le dégoût, la fuite ne sont que des lâchetés communes, réservées à des êtres insensibles à la douceur et à la bienveillance de l’ennui. Génies de tous les pays, ennuyez-vous ! Et vous créerez l’Oeuvre qui pimentera suffisamment l’Humanité pour la faire tenir jusqu’à demain. Humanité nécrophage qui se nourrit de ses excréments sublimés par les génies de l’ennui qui eux ne nous ennuient pas.
* * *
Comment sommes-nous devenus si cons ? – Alain Bentolila
En bon analyste, Alain Bentolila décrit avec exigence, de manière étayée et argumentée, les points de cristallisation de cette régression intellectuelle et éthique de la France : la télévision, qualifiée de « grande anesthésiste » ; Internet et les réseaux sociaux, dont il souligne l’indigence et l’illusion (en termes de savoir, de démocratie, de liens avec l’Autre…) ; les politiques, qui ne cessent de « nous prendre pour des cons » et que, quoi que puissent en dire les commentateurs autorisés, nous n’avons eu de cesse de croire ; l’anémie du langage, « grand maquillage », conséquence de l’appauvrissement lexical et intellectuel dans lequel euphémismes, raccourcis et insultes concurrencent un politiquement correct sans vergogne (ne fâchons personne, nous ne sommes plus à-même d’argumenter). Alain Bentolila consacre trois longs chapitres à la question scolaire et à la démission de l’Éducation nationale. Cette dernière a abandonné l’exigence et l’élitisme républicain (rappel : il s’agit d’amener chaque élève au maximum de ses capacités pour en faire un citoyen libre et responsable – et non comme le serinent les pédagos et une certaine gauche bourdieusienne laisser la masse à la ramasse au profit d’une reproduction sociale conservant aux classes dominantes leur position de puissance) au profit de la facilité (l’exigence est par nature inégalitaire) et d’un égalitarisme destructeur. L’égalité se fait au moins disant, jetant chaque année toujours plus de gamins sans diplôme ou titulaires de diplômes en carton-pâte dans les griffes du Pôle Emploi, de la rue, de la délinquance, du RSA, voire pire… Enfin, Bentolila consacre deux chapitres à la question des religions et de la laïcité d’une part, et d’autre part à celle de l’appartenance et de l’identité.
Mesuré dans ses propos, Alain Bentolila n’en est pas moins intransigeant sur le constat posé, et démonte magistralement, à l’appui d’exemples pertinents, les mécanismes qui ont conduit à cet abaissement du niveau intellectuel de la France. En outre, ne se limitant pas à dénoncer, Bentolila se veut force de proposition, notamment sur la question scolaire dont il est un éminent spécialiste. Les solutions préconisées, qui ne sont pas du reste des solutions miracles (elles n’existent pas), sont de bons sens : restaurer l’apprentissage de la lecture (donc méthode syllabique, et non ces usines à dyslexiques que sont les méthodes globales et semi-globales) et des mathématiques, restaurer la légitimité du maître par rapport à l’élève (l’autorité dont il est fait grand cas aujourd’hui pour les raisons que l’on sait n’étant qu’un corollaire de la légitimité), retrouver l’exigence de l’effort et de l’apprentissage… Une réserve toutefois sur la laïcité : nous considérons au contraire de l’auteur que les mères voilées ne doivent en aucun cas être autorisées à accompagner des élèves dans le cadre scolaire public (sauf à retirer leur voile pour l’occasion). La laïcité n’est ni ouverte, ni intégriste. Elle est la garantie de pouvoir dispenser un enseignement hors du poids des dogmes et des traditions. Elle n’empêche nullement les convictions religieuses, pas plus qu’elle ne freine la pratique d’un culte. Mais celles-ci relèvent du champ privé. Elles n’ont pas à interférer à l’école, sauf choix des parents de scolariser leurs enfants dans le cadre privé confessionnel.
Nous concluons cette chronique en recommandant fortement la lecture de cet essai qui mérite d’être discuté dans le cadre du débat Politique (qui en France reste politicien, hélas). Alain Bentolila conclut sur ces quelques vers de Victor Hugo, extraits du poème « À ceux qu’on foule aux pieds » (1872), que nous nous permettons de reproduire ici :
Je défends l’égaré, le faible et cette foule
Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements.
Étant des ignorants, ils sont des incléments.
Hélas ! Combien de fois faudra-t-il vous redire
À vous tous que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité.
Retrouvez cette chronique sur le Salon Littéraire.