Journal d'un caféïnomane insomniaque
dimanche décembre 14th 2025

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Bruno de Cessole, Torero de la Littérature

C1-DEFILE    Que soit ici remercié Sébastien Lapaque, généreusement coupable de m’avoir révélé Bruno de Cessole avec sa critique du Défilé des réfractaires parue dans le Figaro, si ma mémoire ne me fait pas défaut… L’Internationale des francs-tireurs constitue en quelque sorte le second volet d’un autoportrait en creux de Bruno de Cessole, un diptyque que nous pourrions baptiser Autoportrait à la Littérature, en référence à l’Autoportrait à la fourrure de Dürer ou au fameux Autoportrait à l’oreille de Van Gogh.

Bruno de Cessole est à la soif de lecture et de Littérature ce que la banderille du torero est àC1-Internationale l’excitation fatale du taureau, de la dynamite ! En tant que panier percé quant à l’achat de livres, je peux affirmer que Bruno de Cessole aura contribué à ma ruine financière, et à l’accroissement certain de ma culture littéraire et humaine. Dans son premier tome, consacré aux singuliers de la Littérature française (Aymé, Barrès, Bloy, Cendrars, Claudel, Léon Daudet, Guy Dupré, Paul Morand, Raspail, Tillinac, Vialatte ou Volkoff, entre autres…), puis dans le second consacré aux corps-francs de la Littérature internationale (Blixen, Borges, Burgess, Conrad, D’Annunzio, Harrison, Kipling, Lowry, Nin, Svevo, Woolf, Zinoviev…), Bruno de Cessole développe la plus grande qualité qui soit chez un critique littéraire, donner envie de lire. La lecture de certains portraits brossés par l’auteur implique, presque physiquement, la lecture des auteurs dépeints. Si je dois confesser un exemple personnel, je n’ai pas résisté (après lecture de l’Internationale des francs-tireurs) à l’achat des romans de Knut Hamsun réunis à la Pochothèque, exhumés par ma pomme de l’étagère poussiéreuse où mon libraire les avaient oubliés, comme en témoigne l’autocollant sur le plastique d’emballage précisant : « 169FF 145FF Jusqu’au 30 avril 1999″. Sic !

BdeCessole    Non content d’être un brillant critique littéraire – de mon point de vue, le plus brillant, avec Sébastien Lapaque, des critiques en exercice (je n’achète de temps à autre Valeurs Actuelles que pour son Parti pris) – Bruno de Cessole est un écrivain, un vrai, avec sa plume et son style, à la fois fluide et conséquent, admirable de précision dans la langue (ce qui, vous en conviendrez, devient rare). Il me tarde à présent de découvrir son oeuvre romanesque, Le moins-aimé, qui figure d’ores et déjà dans ma bibliothèque, et L’heure de la fermeture dans les jardins d’Occident, prix des Deux magots 1999.

Philippe Rubempré

Bruno de Cessole, Le défilé des réfractaires, Tempus, 2013, 584 pages, 11 euros

Bruno de Cessole, L’Internationale des francs-tireurs, L’Éditeur, 2014, 604 pages, 22 euros

Samouraï – Eberoni

Samourai    Dans le Paris de 2080, en partie venisifié en raison du réchauffement climatique, l’individualisme égotique a triomphé… et Big Brother également. Chacun sa marque, son appartenance à sa caste. Dans cet univers ultra-violent, la pornographie la plus bestiale et consumériste s’affiche partout dans les rues. Les flics ne se cachent plus pour passer à tabac les opposants dans la rue, sans provoquer la moindre manifestation d’indignation, pas même de désapprobation. C’est dans ce contexte que notre héros est missionné par une voix, symbolisée par un aigle planant sur Paris, pour tuer son contrôleur…

Eberoni signe ici une fable graphique plutôt glaçante. Sa maîtrise de la couleur et des ambiances, tantôt nappe de pollution, tantôt érotisme froid, touches de pornographie crue et d’ultra-violence voilée, rend admirablement compte de ce que notre société de consommation égoïste et vide de sens est susceptible de produire dans un avenir peut-être pas si éloigné. Le Samouraï d’Eberoni n’est pas sans rappeler Delon dans l’excellent film de Jean-Pierre Melville, tant par son atmosphère gelée que dans son pessimisme.

Techniquement et artistiquement, Eberoni fait preuve de prouesse. Les textes, empreints de références poétiques à Rimbaud ou Baudelaire notamment, sont parcimonieux et d’une grande maîtrise littéraire (autre point commun avec le Samouraï de Melville).

En signant cette fable graphique, littéraire et désespérée, Eberoni confirme sa place au Panthéon des grands de la bande-dessinée d’auteur. Puisse sa fable n’être pas prémonitoire, même s’il est raisonnable d’en douter au vu de la tournure que prennent les événements… Du moins Eberoni nous permet de réfléchir à ce que nous sommes, et à ce que nous voulons devenir… ou pas.

Philippe Rubempré

Eberoni, Samouraï, Futuropolis, 2010, 60 pages, 16 euros

Retrouvez cette chronique sur le Salon Littéraire.

Ab hinc… 155

« On n’écrit pas de bonnes histoires et surtout pas une bonne Histoire (de France) sans bons personnages. Ce n’est pas de ma faute si, depuis 1970, celle de mon pays ressemble à l’exploitation cahotique d’une P.M.E. » – Frédéric Dard, à propos de l’Histoire de France de San Antonio

Pourvu qu’elle soit rousse – Stéphane Rose

pourvu qu'elle soit rousse    Chroniquer un roman érotique n’est pas chose aisée. Chroniquer et non pas critiquer ; je ne suis pas critique, je n’en ai ni l’ambition, ni le talent. Il faut bien reconnaître qu’il est plus difficile encore d’écrire un bon roman érotique. Le piège de la vulgarité pornographique (pléonasme) à deux sous tient ses machoires largement ouvertes, et le moins que l’on puisse dire est que ces dernières sont tout particulièrement sensibles ! Les auteurs de la collections des « Érotiques » de feu Gérard de Villiers en savent quelque chose, en grands spécialistes de la question (pour en avoir lu un certain nombre, je ne crois pas avoir conservé de bon souvenir littéraire ou érotique de ces romans de toilettes de gare – je ne parle pas des S.A.S.). Les collections publiées par Esparbec sont d’un niveau tout autre. Il faut dire qu’il a redonné des lettres d’une noblesse toute proustienne à la pornographie (il revendique le terme).

Désormais, outre la plume d’Esparbec, il faudra compter sur l’érotisme élégant jusque dans sa crudité de Stéphane Rose. Avec Pourvu qu’elle soit rousse, son premier roman, Stéphane Rose évite le piège de la trame à deux balles destinée à servir grossièrement une pornographie crade, sans âme ni qualités littéraires, bonne pour la branlette des trous (de balle). Au contraire, son autobiographie d’un obsédé par les rousses est un roman profond et élégant, littéraire et érotique. Et comme toute bonne littérature, il pose des questions plutôt qu’il n’offre de solutions (Alberto Manguel).

Le héros et narrateur, Stéphane, est obsédé par les rousses, les vraies, et notamment leur odeur singulière supposée. Le roman s’ouvre sur sa relation avec Anaïs, une vraie rousse, volcanique et démoniaque à souhait. Tout se gâte quand leur relation prend fin, et que Stéphane décide de s’inscrire sur un site de rencontres bien connu pour combler sa soif inextinguible de rousses, et poursuivre sa quête de ce graal sacré à ses yeux…

Dans son style sobre et efficace, Stéphane Rose nous offre véritablement le trivium et le quadrivium de la roussitude (décidément, les accidents de langage de la Marie-Ségolène en goguette sur la Grande Muraille font florès…). Des différentes teintes de roux à leur odeur supputée, tout est passé en revue, tout est étudié avec un humanisme renaissant et une drôlerie certaine. L’érotisme est sans doute l’objet du roman (le narrateur reconnait sa volonté d’écrire un livre érotique), mais ce n’est certainement pas un prétexte. À chaque fois à sa juste place, tantôt esthétique, tantôt crû, mais toujours élégant, l’érotisme selon Stéphane Rose est plein de questionnements auxquels l’auteur à la sagesse de ne pas répondre – ainsi, par exemple, le fétichisme ou la dépendance… Ce choix judicieux, la qualité de la plume et de l’histoire, l’originalité du traitement et son humour font de Pourvu qu’elle soit rousse un roman à lire… et à relire !

Philippe Rubempré

Stéphane Rose, Pourvu qu’elle soit rousse, L’Archipel, 2010, 195 pages, 16,95 euros

Mémoires d’un indifférent – Alain Sanders

mémoires indifférent    Ces Mémoires d’un indifférent m’ont laissé l’impression d’une autobiographie fantasmée à la hussarde d’Alain Sanders (de son vrai nom Alain Potier), dont le nom de plume n’est pas sans rappeler François Sanders, hussard bleu cher à Roger Nimier. Le narrateur revisite le Vingtième Siècle, siècle des idéologies s’il en est, au travers de ses guerres, notamment la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. Un voyage raconté par le cul de bouteilles littéraires d’un goût des plus sûrs.

Être âgé d’une vingtaine d’années lors de la défaite de 1940, résister par hasard et goût de l’aventure, être emprisonné à la Libération en raison de ses amitiés fidèles, n’admirer que l’Honneur, la Littérature et une certaine forme de savoir-vivre… Voilà ce qui fait du héros de ces mémoires un indifférent. Non qu’il soit un lâche (bien au contraire), ou un jean-foutre (pas plus), mais indifférent à l’air du temps, aux modes tant vestimentaires que politiques, et aux belles histoires qu’on vous raconte. Par exemple pour vous faire oublier que pendant l’Occupation, il n’y avait de résistants et de collabos qu’à la marge, que la majorité de la population cherchait à survivre, et les commerçants à faire du commerce… L’Épuration a été (aussi, mais pas que) le théâtre de règlements de comptes politiques, voire mafieux, assez odieux (je pense entre autres aux résistants de 1946, les plus nombreux, ceux qui furent les plus actifs… et les plus expéditifs).

Dandy au siècle des idéologies, le narrateur agit au nom de son idéal, réminiscence d’un idéal chevaleresque et littéraire d’une noblesse qui ne peut que heurter les médiocres. C’est ce qui le pousse, après avoir enseigné les Lettres dans un lycée de province pour « se faire oublier », à rempiler comme correspondant de guerre pour la presse de Sa Majesté en Corée. Puis devenu propriétaire terrien, jouissant des fruits de sa librairie confiée à un gérant, de profiter de la vie en gentilhomme. Jusqu’au jour où la tentation de l’Aventure resurgit sous les traits d’un jeune coq…

Philippe Rubempré

Alain Sanders, Mémoires d’un indifférent, Albin Michel, 1985, 229 pages, prix au bon coeur de votre bouquiniste préféré.

Retrouvez cette chronique sur le Salon Littéraire.

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