Journal d'un caféïnomane insomniaque
mardi juillet 1st 2025

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Monsignore – Jack-Alain Léger

Des bas-fonds de Brooklyn aux arcanes querelleuses du Vatican, Monsignore retrace l’itinéraire de John Flaherty, caïd américano-irlandais devenu cardinal. Ce parcours de vie ressemble de loin à l’itinéraire de saint-Paul de Tarse, persécuteur de chrétiens qui voit la Lumière sur le chemin de Damas et devient le plus grand et le plus talentueux prosélyte de son temps ; un dont nous pouvons – croyant ou non, le talent est athée – apprécier les nombreuses épîtres. Mais les apparences sont trompeuses. Ici, le roman de Jack-Alain Léger débute comme un thriller (comme on dit en bon français), ou plutôt comme un roman noir, sauce Chandler ou Chase.

Ce roman est remarquable par sa construction déstructurée qui ne se restructure qu’à son terme. Il est remarquable par sa plume à la fois fluide et riche ; une plume qui épouse avec justesse les situations et les personnages. Remarquable aussi les caractères, le héros qui n’en est pas vraiment un, et toute la galerie des personnages secondaires.

De Brooklyn au Vatican, de la rue au séminaire, à la guerre ou à l’église, Jack-Alain Léger dévoile les dessous d’un Vatican État, avec ses aléas  de pouvoir, de jalousie, de débauche, de corruption, ses liens avec la maffia ou les dictatures en fonction de ses intérêts supérieurs au dogme. Tout du moins en réalité à défaut de l’être dans le discours.

Ce n’est pourtant pas un roman anticlérical ou une attaque en règle de l’Église catholique romaine. Déjà en 1975, on ne tire pas sur une ambulance (l’Église reprend du poil de la bête, si je puis dire, depuis quelques années, mais pas en Occident). À ce jeu là, nous pourrions considérer qu’il s’agit plutôt d’une charge contre la fragilité vénale de l’être humain. Une charge tendre et impitoyable…

Jack-Alain Léger s’est défenestré en juillet 2013. Un Grand Écrivain s’en est allé, quelles que fussent certaines polémiques à son égard.

Ab hinc… 123

« Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et tout jeunesse le début de la tyrannie. » – Platon

Ab hinc… 122

« En France, tous les théâtres sont subventionnés, même ceux qui ne le sont pas » – Jean Yanne (dans Les Chinois à Paris)

L’hercule sur la place – Bernard Clavel

Liberta patria nostra !

Avec L’hercule sur la place, Bernard Clavel nous dresse le portrait d’un bateleur, d’un lutteur de foire surnommé Kid Léon en raison de sa taille. C’est aussi et surtout l’histoire d’un Homme qui mérite une majuscule et de son Amitié, majuscule elle aussi, avec l’apprenti caïd à la noix de coco qu’il prend sous son aile.

À dire vrai, la lecture de ce beau roman rénove le regard porté, ou plutôt jeté, sur les forains en particuliers, et les gens du voyage en général. Ce n’est pas un roman moraliste, surtout pas pédagogique ou progressiste, bref, pas donneur de leçon. C’est une histoire ; la peinture d’un être bien réel que l’auteur a connu, et qu’il transcende grâce à la Littérature.

Bernard Clavel appartenait au cercle des proches de Georges Brassens. Il a d’ailleurs préfacé la biographie qu’en a signé André Tillieu (chroniqué dans ces pages). Ce n’est sans doute pas un hasard. L’hercule sur la place est un grand texte sur l’Amitié et sur le dur métier d’Homme. C’est aussi un hymne à la Liberté ; à cette liberté que Kid Léon et son acolyte se refusent à sacrifier, ni au confort ni à la sécurité. Des êtres d’une espèce rare et noble ; toujours plus noble mais de plus en plus rare…

Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.

Le Camp des Saints – Jean Raspail

L’auréole sulfureuse et nauséabonde qui cerne à l’aube de 2014 Le Camp des Saints, roman de Jean Raspail publié en 1974, incite à la prudence. Le politically correct (à ne pas confondre avec la common decency) impose un interdit moral à la lecture de ce roman qualifié d’ « odieusement raciste » (Daniel Schneiderman, Libération). On ose à peine avouer que nous avons lu Le Camp des Saints tant la reductio ad hitlerum et le lynchage médiatique purgent la société de ses mal-pensants avec autant d’efficacité que les procès staliniens l’ont fait pour les officiers compétents de l’Armée Rouge. Bien conscient de cette réalité, nous voulons espérer encore en l’intelligence de la pensée et l’aptitude à la dispute civilisée (débarrassée d’attaques ad hominem et de procès d’intentions) ; aussi nous nous proposons de le chroniquer.

Constatons d’abord qu’il s’agit d’un roman. Peut-on s’attarder sur ce point, et considérer Le Camp des Saints pour ses qualités romanesques et littéraires… Il nous a semblé, sur le plan romanesque, que l’intrigue – l’invasion du Sud de la France par un million de pauvres hères venus du Tiers-Monde (comme on ne le nomme plus aujourd’hui) sur le seul week-end pascal – est présentée d’une manière réaliste, souvent effrayante, dérangeante, avec un suspense dégressif (jusqu’au bout, on pense éviter le pire) et dans une langue classique parsemée d’éclairs novateurs. L’humour n’est pas absent du roman, loin de là ; une politesse du désespoir en quelque sorte. Donc sur la forme romanesque et littéraire, nous considérons que ce livre est valable ; il laissera une empreinte de son temps.

Venons-en à présent au fond et aux idées développées. Raspail manifeste clairement une appréhension du multiculturalisme. Il croit que c’est une impasse. En a-t-il le droit ? Évidemment ! Est-ce suffisant pour en faire un raciste ? Nous ne le pensons pas. Il lui a été reproché les qualificatifs utilisés quant aux indiens qui débarquent : « masse grouillante », « puante »… Passez plusieurs semaines en mer à bord de cercueils flottants, au milieu des cadavres, des excréments et des vomissures, je doute que vous sentiez la rose. Ce n’est pas une infériorité naturelle qui est reprochée, c’est un constat de fait lié aux circonstances romanesques. La lecture de ces passages est choquante, effrayante, odieuse même… à l’image de la situation de l’action ; pas en reflet du prétendu racisme de son auteur.

Raspail défend une espèce d’uniculturalisme dans le sens où il semble considérer que chaque culture est propre à un environnement, une terre, un climat, à des humains. Et que le multiculturalisme ne signifierait rien d’autre que la mort des cultures, donc de la Culture. Il est hanté par l’immigration massive en tant que destructrice de la culture française et européenne. L’Eldorado promis par le capitalisme mondialisé n’est qu’une chimère entretenue et nourrie par l’esprit de revanche de certaines anciennes colonies, et celui de repentance de certaines « élites » occidentales. En dépit du concert de casseroles des bonnes âmes charitables, est-il permis de penser la crainte exprimée par Raspail ? De la penser en profondeur, avec ses tenants, ses aboutissants, ses arguments… De la réfléchir pour s’y opposer, ou l’amender, ou la conforter, plutôt que de s’invectiver à coups d’articles de presse autant vains qu’inutilement réducteurs ?…

Nous ne partageons pas la crainte de Jean Raspail, pas telle qu’elle est exprimée dans Le Camp des Saints. Nous n’emploierions pas les mêmes qualificatifs pour décrire des migrants, aussi nombreux soient-ils. Cependant, nous nous gardons bien de donner des leçons de morale ou d’antiracisme à Raspail. Il a toute la liberté du romancier pour s’exprimer. Et ses contradicteurs celle de lui répondre sur le fond (ce qu’ils n’ont évidemment pas fait, l’écume sulfureuse suffisant à le condamner, à le clouer au pilori pour mieux se faire mousser dans le camp du Bien). In fine, remettons les choses dans leur contexte : Le Camp des Saints n’est qu’un roman écrit à une époque de faible immigration (1974, c’est-à-dire avant la mise en place de la politique de regroupement familial par Giscard). Si les événements récents et récurrents de Lampedusa semblent abonder les craintes de Raspail, nous n’oublions pas que le dernier mot, en matière d’immigration comme pour le reste, doit revenir aux peuples, du moins pour ce qui concerne les démocraties. Nous croyons en l’hospitalité, et nous croyons que le peuple français est un peuple hospitalier. L’un des plus hospitaliers qui soit en raison de son Histoire. Si l’hospitalité peut se définir par l’expression « à Rome, fais comme les Romains », est-ce que les migrants accueillis souhaitent l’hospitalité ? La réponse est évidemment complexe, plurielle, et ne saurait se réduire au clivage faux et caricatural cher à Harlem Désir : pro-immigration = Bien ; toute opinion divergente = raciste.

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