Lectures octobre
- La découverte du monde en bande-dessinée : L’aventure des Vikings – Eduardo Coelho, José Bielsa (dessins), Jean Ollivier, Jacques Bastian (scénario)
- Les aubes douces d’Aldalarann – François Bourgeon
- Pas de Deo gratias pour Rock Mastard – Delan, Boucq
- Noces de brume – Une enquête de l’inspecteur Canardo – Sokal
- Le sourire de Mao – Jean-Luc Cornette & Michel Constant
- La mauvaise fée – Trillo & Domingues
- L’albinos – Enrique Abuli & Marcelo Perez
- La contorsionniste – Warnauts, Raives
- Le cahier bleu – André Juillard
- La Grande Odalisque – Vivès, Ruppert & Mulot
- Les vacances du Grand Duduche – Cabu
L’île du Point Némo – Jean-Marie Blas de Roblès
Extraordinaire aventure au souffle bovarysant dantesque ! Blas de Roblès réinvente le roman policier d’aventures et d’anticipation de la grande tradition du dix-neuvième siècle, tout en rendant un hommage appuyé à Jules Verne, Conan Doyle et autres maîtres de la littérature populaire de l’époque. Passionné par Jules Verne et le roman d’aventures, je ne pouvais que croiser la route de L’île du Point Némo. J’ai découvert Blas de Roblès, son sens de l’intrigue et de l’épique, son érudition jamais pédante, son plaisir à imaginer et écrire avec Là où les tigres sont chez eux (Prix Médicis 2008). Une fois encore, le plaisir du romancier fait corps avec celui du lecteur dans L’île du Point Némo.
D’abord, des pieds chaussés de la même marque de baskets sont retrouvés. Toujours le droit ou le gauche, jamais la paire. Puis un diamant fabuleux disparait, volé croit-on par le mystérieux Enjambeur Nô… Voilà donc Martial Cantarel, Shylock Holmes et leur domestique respectif, Miss Sherrington et Grimod, lancés à la poursuite du diamant de Lady MacRae et de l’Enjambeur Nô à travers l’Europe, la Russie et le Pacifique…
Merveille d’imagination, galerie de personnages truculents, intrigues secondaires pas si secondaires que ça, réapparition de personnages de Jules Verne, île mystérieuse, géographies improbables, inventions dignes du Nautilus et de l’Albatros (vaisseau de Robur-le-Conquérant), cette quête de l’île du Point Némo offre un voyage subtil et mouvementé, loin des tumultes gémissants de trop d’auteurs contemporains. Elle ventile un air frais et original bienvenu en cette nouvelle rentrée littéraire toujours plus titanesque.
Lisez-le, faites le lire à vos amis, à vos ennemis aussi, qui deviendront peut-être vos amis alors ?… En un mot, formidable !
Retrouvez cette chronique sur le Salon Littéraire.
Ab hinc… 137
« L’Histoire ne s’apprend pas par coeur, elle s’apprend par le coeur » – Ernest Lavisse
Le vieil homme qui n’écrivait plus – Sokal
Le vieil homme qui n’écrivait plus est un roman noir. Un roman graphique en noir et blanc. Camaïeu de gris d’une non-couleur à l’autre, d’un bout à l’autre du spectre. Une histoire de maquis en 1944. Une histoire pas très claire, loin de la mythologie du saint Résistant. Une histoire anti-manichéenne qui grâce au plaisir d’une intrigue admirablement ficelée démontre que la réalité n’est jamais noire ou blanche ; que la vérité se révèle être une notion relativement subjective. C’est vrai qu’il est tellement plus confortable de juger à l’emporte-pièce, tellement plus rassurant pour la bonne conscience des oies blanches de la simplification castratrice et moraline que la complexité de la vie effraie au point de promouvoir de facto une censure morale (en vantant les mérites de la liberté d’expression et au nom des droits de l’homme, cela va sans dire…).
Augustin Morel a signé après la Seconde Guerre mondiale un roman, véritable chef d’oeuvre étudié dans les classes, intitulé Marianne. L’histoire d’une jeune résistante d’un maquis alpin que le héros – lui-même, résistant aussi – a aimé à la folie et qui est morte dans ses bras, fauchée par une balle allemande en fuyant le maquis dénoncé.
N’écrivant plus depuis des années, hormis quelques travaux de nègre pour vivre, retiré avec ses chats et ses bouteilles, Morel n’est plus qu’un être en perdition, l’ombre du jeune homme qu’il fut, dérivant au fil des litrons de jaja. C’est alors qu’il est contacté par un producteur et une réalisatrice pour l’adaptation cinématographique de son roman Marianne. Ayant donné son accord, la réalisatrice le tanne pour qu’il retourne sur les lieux du drame avec l’équipe de tournage, ce qu’il refuse absolument… jusqu’à ce qu’il cède. C’est le début d’une plongée tragique dans sa mémoire, d’allers-retours entre lui, le roman, les survivants encore au village et le tournage…
Sokal, dont nous apprécions par ailleurs les enquêtes de son inspecteur alcoolique Canardo, signe ici un roman graphique majeur qui nous en dit plus sur la réalité des maquis que bien des hagiographies livresques ou filmiques. La Résistance a aussi été gangrénée par des querelles d’ego, des rivalités politiques, personnelles, peuplée de voyous comme d’honnêtes gens. Les sans-scrupules et les salopards pullulent partout. Remuer la merde passée permet parfois de constater qu’ils savent souvent tirer leur épingle du jeu…
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Fanchon – Jean-Claude Servais
Il y a quelque chose de Pirotte chez Servais. La mélancolie, la bière, les Ardennes, une certaine forme de poésie qui réenchante le désenchantement. Jean-Claude Servais est un nouvelliste de la bande-dessinée qui maîtrise son art à merveille. Ses personnages sont attachants, sans pathos ni caricature. Ils nous sont proches car ils respirent la sincérité. Fanchon ne déroge pas à la règle.
La belle et mystérieuse Fanchon est l’absente omniprésente de cette histoire dont elle est malgré elle l’héroïne. À l’occasion de l’enterrement de sa mère, elle revient hanter le souvenir et la vie de Séverin comme le remugle douloureux d’un temps révolu. Les deux autres gars de la bande aussi sont de retour, aux prises avec un passé qui ne passe pas. Ne manque que Fanchon. Son père ne répond pas aux questions. Elle a disparu vingt ans plus tôt, en allant à Paris tenter sa chance comme comédienne. Pas revue depuis sa fugue. Il n’en démord pas. Sans commentaire. Juste le souvenir mélancolique de la fille aimée. Les retrouvailles provoquées par le décès de la mère ressuscitent le fantôme de Fanchon, aimée et amante des trois copains d’enfance, au destin tragique à découvrir…
Servais dessine ce portrait en creux dans son style limpide et lumineux. Tout y est, l’ambiance, la sincérité, la vérité, le drame. Cette histoire n’est pas sans rappeler certaines nouvelles de Faulkner pour son univers complet, sa noirceur aussi, quoique différente, et sa mystique. Fanchon interroge le lecteur au plus profond de lui-même. Beaucoup, chacun peut-être, connait ou a vécu une histoire similaire, le tragique en moins sans doute… Mais le plus tragique ne se fonde-t’il pas sur les errements de l’âme malade d’une absence inexpliquée ? Pourtant, cette oeuvre est lumineuse dans ses couleurs et dans sa justesse, lumineuse d’intelligence. Nous quittons Fanchon empreint d’une mélancolie souriante, en sachant que nous y reviendrons.
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.



