L’internat féminin et autres contes coquins – Magnus
Magnus, alias Roberto Raviola, est un auteur de bande-dessinée italien, spécialiste des fumetti neri (Satanik), de leur parodie (Alan Ford) et maître de l’érotisme (avec son chef d’oeuvre Les 110 pilules adapté du Jing Ping Mei, classique érotique chinois). Par ailleurs, Magnus travaille en noir et blanc exclusivement, et maîtrise à merveille cette technique. Il lui offre le meilleur de sa plume et elle le lui rend bien.
Ici les éditions Delcourt rééditent en format original et en version intégrale quatre contes coquins adaptés et dessinés par Magnus. Les trois premiers sont des contes moyenâgeux, Dix chevaliers pour un magicien, Minuit de Mort, et Le crâne vivant. On y retrouve princesses et sorcières, des rois et des chevaliers servants, des malédictions et des fins heureuses. Le dernier conte, L’internat féminin, se passe aux États-Unis dans les années 1950 ou 1960. Il relève du roman noir, rappelle à certains égards Ed McBain. Toutes ces histoires sont coquines, mais chez Magnus, le fumetto ne se lit pas à une main (de préférence la gauche).
Les scenarii de Magnus ne sont pas prétextes à jeter des scènes pornographiques en pâture. Ils sont cohérents de bout en bout (si je puis dire). Le langage érotique y est à sa place, il n’en fait pas étalage inutilement. Pas de vulgarité ici. De même les scènes érotiques, magnifiées par le dessin noir et blanc de Magnus, ne sont pas de simples images alléchantes destinées à faire bander le chaland. Elles sont car elles doivent être. Elles appartiennent intégralement aux histoires, qui sans elles seraient bancales, incohérentes. Et comme pour la langue, le dessin érotique est à sa place, ni plus ni moins.
Pour les scènes érotiques, Magnus ne se cache pas derrière son petit doigt. Le dessin est cru et élégant. Si un gland ou une chatte ouverte doivent être montrés, ils le sont. De même, nous retrouvons dans certains récits et si l’histoire le commande, des scènes homosexuelles. J’insiste sur l’élégance et la précision du dessin de Magnus, qui sait être d’un réalisme noir dans L’internat féminin ou « à gros nez » dans Dix chevaliers pour un magicien, s’adaptant ainsi à la nature du récit. Et son dessin est toujours sublimé par sa maîtrise du noir et blanc.
Voilà, si vous décidez d’entreprendre le voyage, vous affronterez un méchant magicien pour délivrer une princesse (Dix chevaliers pour un magicien) ; vous assisterez au désespoir d’un couple hanté par une malédiction venue du Moyen-Âge (Minuit de Mort) ; et vous comprendrez peut-être à vos dépens qu’il n’est jamais bon de s’en prendre à la petite fille d’une sorcière (Le crâne vivant). Enfin, vous retournerez à l’école surveiller l’étrange nouveau médecin du pensionnat de jeunes filles.
Bonne lecture, et plus si affinités…
Chronique à retrouver sur le Salon Littéraire.
Les seigneurs de la faune canadienne – Roger Frison-Roche
J’ai acheté Les seigneurs de la faune canadienne, ce bel ouvrage richement illustré de photographies sauvages, au mètre, alors que la bibliothèque municipale de Cordicopolis le destinait au pilon. Je l’ai acheté sur la seule foi de son auteur, Roger Frison-Roche, l’auteur de Premier de cordée, qui rappellera sans doute des souvenirs d’école à certains d’entre vous. J’éprouve une certaine admiration pour Frison-Roche et son oeuvre (Premier de cordée étant à ce titre une exception, celui là je ne peux pas), à la fois pour son oeuvre romanesque, souvent en plein désert ou à la montagne, mais aussi ses oeuvres plus personnelles comme les Carnets sahariens, ou scientifiques, comme celles autour du Grand Nord. C’est dans cette dernière catégorie que se situe a priori l’ouvrage chroniqué ici. Mais rien est aussi simple, et avec Frison-Roche les catégories s’embrassent.
Le titre du livre annonce le contenu. Après une présentation géographique du Canada, Frison-Roche brosse le portrait de ces seigneurs : bison, loup, orignal, wapiti, mouflon, ours & grizzly, oie blanche et boeuf musqué. Le tout est superbement illustré par des photographies magnifiques. Cependant, si l’ouvrage se résumait à cela, il serait bon pour être feuilleté en salle d’attente ; c’est toujours mieux que les torche-culs qu’on y trouve communément.
Frison-Roche est un Aventurier, un vrai, un explorateur de la vie, des hommes et de leur environnement. Tout son texte est fondé sur ses expériences du Grand Nord canadien, plusieurs expéditions en compagnie notamment de Pierre Tairraz. Non seulement le livre répond aux attentes fixées dans son titre, vulgarisation scientifique, géographique, éthologique autour des grands animaux, leur environnement, leur comportement, leur histoire, les dangers qui les menacent et leur préservation, mais c’est surtout un vécu riche de rencontres. Rencontres humaines avec les Québécois, les Indiens ; rencontres avec les animaux, mystérieuses, poétiques, sauvages, violentes parfois ; rencontres avec les histoires du pays, les légendaires comme les réelles.
Un témoignage d’Humanité et d’Aventure. Une oeuvre qui n’oublie pas que l’Homme, s’il est omnivore et doué de raison, n’en reste pas moins un maillon de la chaîne, dépendant à ce titre de son environnement. Pourtant, nulle leçon d’écologie ou de morale ici. Nous ne sommes pas dans le spectacle mesquin des pseudo-écolos-bobos d’Europe Écologie les Verts qui ne sont jamais sortis de leur centre-ville. La nature parle d’elle-même, et Frison-Roche se fait son porte-parole le plus fidèle et le plus respectueux, en mettant l’humain face à ses contradictions. À l’exemple de ces touristes qui veulent le beurre et l’argent du beurre : donner à manger aux ours et que les autorités tuent les mêmes ours si ceux-ci revenaient pour se nourrir dans leur campement. Bossuet disait que « Dieu se rit des créatures qui déplorent les effets dont elles chérissent les causes« . On ne saurait mieux dire…
En conclusion, Frison-Roche signe là un livre riche de la qualité exceptionnelle de son contenu, de sa littérature, de ses photographies. Un ouvrage dont la lecture, je crois, ne vous laissera pas tranquille et devrait vous interroger. Du moins je l’espère…
Les étrangers sont nuls – Pierre Desproges
Illustré par Edika.
Recueil de courtes chroniques écrites pour Charlie Hebdo en 1981, à l’époque où ce canard baignait dans une digne subversion… Aujourd’hui, Les étrangers sont nuls c’est à peu près un procès par page, pour racisme ou incitation à la haine – ce qui est parfaitement cocasse quand on connait Desproges, mais hélas pas étonnant compte tenu de l’inculture crasse et de la susceptibilité mémorielle mal placée d’un certain nombre de nos compatriotes (des trois couleurs de l’Empire et des trois religions du Livre).
Les étrangers sont nuls, donc. Et les Français pas beaucoup mieux si nous lisons bien ces hilarants portraits de peuples divers. Entre mauvaise foi, jeux de mots à deux balles et saillies dont seul Desproges a le secret, nous nous marrons aux dépens de tous, équitablement, et surtout à nos dépens, à grands renforts d’auto-dérision et d’humour absurde. Deux exemples choisis presqu’au hasard de saillies typiquement desprogiennes :
Sur les Israéliens : « Les Juifs ne pensent qu’à gagner de l’argent en vendant des manteaux de fourrure. C’est pourquoi, en Israël, il n’y a pratiquement que des fourreurs, et très peu de militaires. » (et paf ! une plainte de la LICRA au cul !).
Sur les musulmans : « Le Qatar compte à peine plus de 100 000 habitants pour une superficie de 22 000 kilomètres carrés. Toutes proportions gardées, force nous est de constater qu’il y a dix fois moins de bougnoules au Qatar que dans les Bouches-du-Rhône. Je dois dire que ça m’énerve. Pourtant, je ne suis pas raciste, surtout depuis que je vis avec deux aspirateurs de couleur. » (et vlan, v’là la plainte du Collectif Contre l’Islamophobie en France !).
Tout le monde en prend pour son grade, pour le meilleur et pour le rire. Quant à ceux qui y verrait une quelconque forme de racisme ou de xénophobie (ce qui serait en soi une preuve flagrante de leur défaut de culture générale et particulière), offrons leur un cerveau en état de fonctionner, au moins ce cadeau sera utile. « Alors s’il vous plait, je vous en prie ».
Ab hinc… 124
« Pour le véritable humaniste, un contemporain pose toujours problème » – Robert Louis Stevenson
Lectures mai
- Lolly Strip – Danie Dubos & Georges Pichard
- Le chercheur d’absolu – Théodore Monod
- Écrits de combat – Théodore Monod
- L’Oncle Robinson – Jules Verne
- L’Hercule sur la place – Bernard Clavel
- Et toc ! – James Hadley Chase