Journal d'un caféïnomane insomniaque
samedi septembre 13th 2025

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Ab hinc… 205

« La France, je l’aime comme si elle n’était pas ma patrie.

Nuance, les pauvres d’esprit !

Eh ! les chauvins ! pas de gourance, je vous en prie.

Moi, je n’aime pas ma patrie, j’aime la France. »

Georges Brassens

Petite histoire de l’Érotisme dans la BD – Henri Filippini

pte hist erotisme bd    Publiée en 1988, oeuvre d’un érudit en la matière, Henri Filippini, bien connu des bédéphiles érotomanes ou non, cette Petite histoire de l’Érotisme dans la BD retrace l’aventure éditoriale de la BD pour adultes des sages débuts d’avant-guerre aux polissonnes années 1980, de la clandestinité des Tijuana bibles à l’audace d’Alex Varenne ou de Serpieri.

Auteur plus tard d’un dictionnaire de la BD érotique de référence publié par La Musardine et régulièrement réédité avec mise à jour, Henri Filippini offre un propos clair et agréable à lire sans sacrifier l’exigence intellectuelle. Richement illustré, et pour cause, ce précis s’avère être une histoire raisonnée et critique de l’érotisme en bande-dessinée, véritable nomenclature d’auteurs, oeuvres et publications consacrés à la licence dans le neuvième art. Une très belle manière de découvrir ou redécouvrir nombre de dessinateurs talentueux, quoique catalogués sulfureux par les âmes prudes, et une production qui, si elle n’est pas épargnée par le bas de gamme et le « commercial », se révèle souvent soignée. Les techniques utilisées sont variées, du noir et blanc parfaitement maitrisé par Magnus à l’hyper-réalisme d’un JC Clayes. Contrairement à une idée reçue, les scénarii sont la plupart du temps travaillés (à l’exception de la production masturbatoire destinée aux sex-shops) comme l’illustre remarquablement Marie-Gabrielle de Sainte-Eutrope de Georges Pichard.

Cette Petite histoire de l’Érotisme dans la BD est aussi un ouvrage politique au sens noble du terme. Dédié par Henri Filippini « à la liberté d’expression« , il s’ouvre sur une préface aux petits oignons signée par l’immense Georges Pichard, maître français au trait unique. Ce texte qui revendique la liberté d’expression, de création et de lecture démontre avec humeur et humour qu’en la matière, l’État comme les religions, la morale ou la protection de l’enfance ne sont que des prétextes à censure imposés par une autorité prétendument légitime au nom du Bien. Le libre-arbitre de l’individu est de fait complètement nié. L’Empire du Bien sait ce qui est bon ou non pour vous, il le sait mieux que vous et vous l’imposera malgré vous si ce n’est contre vous. C’est sans doute plus relatif aujourd’hui pour l’érotisme, mais d’une actualité Ô combien criante pour d’autres plaisirs terrestres tels que le tabac ou l’alcool, néfaste pour la santé comme chacun le sait, mais pas autant que la connerie de ceux qui veulent les prohiber. Vivre tue. Heureusement pour ces derniers qu’ils l’ignorent, ils en mourraient.

Pour en revenir à nos pin-ups et comme le disait le regretté Jean-Jacques Pauvert, « le censeur est au fond celui qui ne croit ni aux hommes, ni à l’éducation, ni surtout à lui-même. » Il en est de même pour l’hygiéniste moralisateur de l’Empire du Bien.

Philippe Rubempré

Henri Filippini, Petite histoire de l’Érotisme dans la BD, Yes Company, 1988, 129 p., prix selon bouquiniste

Debout, la Légion ! – Cdt Charles Hora

Récit d’une vie mouvementée, Debout, la Légion ! se veut aussi un hommage au corps le plus célèbre de l’armée française et une défense de son honneur malmené en ces années 1960-1970. Charles Hora raconte sa Légion, la Légion, à l’encontre des clichés du légionnaire brute épaisse et fasciste, forcément fasciste. Une certaine douceur, tendresse même parfois, émane de ces lignes.

cdt Charles Hora    Karel Hora est né à Yokohama, au Japon, d’un père tchèque de nationalité austro-hongroise et d’une mère japonaise. Gosse turbulent, il écume les établissements scolaires. Inscrit à l’université pour des études diplomatiques qui ne l’intéresse guère, il les abandonne après son service militaire et un vol de bijou. Fugue à Nice où il est rattrapé par son père qui lui file une baffe, un dico d’espagnol et quelques dollars, puis le met dans un bateau à destination de l’Équateur. La deuxième vie d’Hora commence en Amérique du Sud, où il se mariera une première fois et aura sa fille.

Revenu en Europe pour faire du commerce, Hora s’engage en 1939 dans la Légion étrangère. Il y aura un parcours à la fois héroïque et rebelle. Au sein du prestigieux corps, il servira dans la Campagne de France en 1940, y perdra quelques doigts, gagnera après la défaite l’Angleterre par l’Espagne, sera FFL, résistant, servira en Corée, en Indochine et terminera son engagement en Algérie, y sera naturalisé Français par le sang versé, et où, en désaccord avec la politique du Général de Gaulle, il démissionnera non sans quelques remous de la Légion et réintègrera la vie civile. Hora est décédé à Ajaccio à la fin des années 2000.

Le récit de la vie de ce légionnaire se lit comme un trépidant roman d’aventures.debout légion Sans être un politique, Hora donne à réfléchir sur le traitement réservé par la France, sa classe politique et ses médias à certaines composantes de la population : le cynisme qui en ressort fait froid dans le dos. Et ce sont les civils qui auront payé le prix fort. Ce dont Hélie Denoix de Saint-Marc a témoigné d’une manière si poignante ! Hora quitte la Légion étrangère avec les honneurs et en ayant été fidèle jusqu’au bout à l’honneur, contre les vents de l’autorité militaire gaulliste et les marées hostiles des civils métropolitains : Croix de Guerre 39-45 avec 7 citations, dont 3 palmes ; Croix de Guerre TOE avec 5 citations, dont 1 palme, Médaille commémorative de Corée, Chung Mou coréen, Silver Star américaine ; (en Algérie) Croix de la Valeur Militaire, 2 citations ; et son pays d’origine l’a décoré de la Croix de Guerre tchécoslovaque, de la Croix d’Héroïsme et de la Médaille du Mérite.

Honneur et fidélité, telles sont les valeurs érigées au rang de vertus par Hora et mis en oeuvre réellement par son engagement au sein de ce qui reste aujourd’hui encore le plus beau et le plus efficace vecteur d’intégration, la Légion étrangère.

Legio Patria Nostra.

Philippe Rubempré

Cdt Charles Hora, Debout, la Légion !, recueilli par Paul Vincent, Éditions de la Pensée Moderne, 1971, 285 pages, prix selon bouquiniste.

Ab hinc…204

« La ruée des peuples vers le laid fut le principal phénomène de la mondialisation. Pour s’en convaincre, il suffit de circuler dans une ville chinoise, d’observer les nouveaux codes de décoration de La Poste française ou la tenue des touristes. Le mauvais goût est le dénominateur commun de l’humanité. » – Sylvain Tesson

Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson

dans forets siberie    Récit autobiographique, Dans les forêts de Sibérie est le journal de retraite de Sylvain Tesson dans une cabane sise au bord du lac Baïkal entre février et juillet 2010. C’est aussi, et sans doute avec plus de force encore que celui de Dominique Venner (1), le bréviaire d’un insoumis. Hymne à la Liberté, ode à la Nature, Dans les forêts de Sibérie explose de fraîcheur, sans mauvais jeu de mots : fraîcheur de sa plume ; fraîcheur du climat sibérien ; fraîcheur de son rapport à la modernité technico-consumériste inculte… Dans le même temps, Tesson insuffle à son récit la chaleur de la vie : chaleur du poêle à bois dans la cabane au coeur de l’hiver russe ; chaleur de la vodka à 40° qui réjouit les coeurs en détruisant les foies ; chaleur de banya (sorte de sauna chauffé à 80°) qui régénère les corps et les âmes ; chaleur de l’accueil russe et de l’amitié partagée.

Fidèle à son goût des aphorismes, Sylvain Tesson en parsème généreusement son récit, en en faisant les phares et balises donnant sens et repères à son expérience. L’aventurier s’était promis lors d’un premier passage sur le Baïkal d’y revenir. Par ailleurs, ce Robin du froid avait décidé d’expérimenter l’érémitisme avant ses quarante printemps. Chose faite à trente-huit. Mieux qu’une psychanalyse pour savoir si l’on se supporte, la retraite en forêt. Une cabane de bois de neuf mètres carrés. Une provision substantielle de vodka, cigares et cigarillos. Une bibliothèque soigneusement choisie : lectures en retard, romans, essais philosophiques ou artistiques, tout ouvrage éloigné de son lieu de retraite, exception faite des guides faunistiques et floristiques. Vivres, outils, de quoi pêcher. La retraite sibérienne n’est pas de tout repos. Mais l’intensité de l’observation de la nature et de l’introspection est d’autant plus profonde que la fatigue des corvées de bois et la rudesse du climat s’insinue.

Six mois loin de tout et de tous, seul, Robinson des forêts sans Vendredi, naufragé volontaire du lac Baïkal. Six mois de réflexion, de randonnées de promenades. Changement total du rythme de vie, ressenti jusque dans les rythmes du corps. Six mois de solitude entrecoupée de visites clairsemées, pêcheurs ou gardes forestiers russes passant vider une bouteille de vodka et discuter autour d’un saucisson. Partager l’anachorèse de Sylvain Tesson est une aventure littéraire autant qu’intérieure. Dans les forêts de Sibérie appartient à cette catégorie de livres qui vous accompagnent  tout au long d’une vie, et qui gagnent à être lus et relus…

Le mot de la fin est pour l’auteur : « L’ermite ne s’oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité. » Je vous souhaite de poursuivre cette quête, mais pas d’arriver. Il me semble que la seule fin possible n’est que le terminus des prétentieux, comme dirait Audiard.

Il y a quelque chose de Brel chez Sylvain Tesson dans leur rapport à l’aventure chantée par le Grand Jacques, également chantre de la quête

Philippe Rubempré

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Éditions Gallimard, 2011, 270 pages, 17,90 euros.

(1) Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Pierre-Guillaume de Roux, 2013, 317 pages.

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