Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi novembre 28th 2024

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Comment sommes-nous devenus si cons ? – Alain Bentolila

bentolila cons    Le bandeau de cet essai précise : « Le cri de colère d’Alain Bentolila ». Cri de colère certes, mais ni stérile, ni pamphlétaire, ni donneur de leçons. Bentolila, linguiste de grande renommée, attire notre attention sur certaines conséquences du « progrès » post-1968 que nos élites démissionnaires – qu’elles soient politiques, économiques ou intellectuelles – s’échinent à nous vendre comme des parangons de modernité et des preuves d’une liberté plus grande. Lucide, Bentolila constate que cette « modernité » et cette « liberté » ne sont ressenties comme telles qu’à la suite d’abandons et de démissions en cascade : exigence du langage, de la rhétorique, de la démonstration, de la disputatio, exigence des mathématiques, et au-delà, des sciences… Autant d’abandons, autant de démissions. Cette somme tragique (et non exhaustive) produit ce qu’on nous vend comme étant la modernité et la liberté, mais qui ne sont en réalité qu’illusions, et soumission bien réelle à un ordre capitaliste marchand ultra-individualisé et individualiste, ayant perdu toute forme de mesure, et toute forme de transcendance autre que l’appât du gain, le culte de l’image et une foi de charbonnier dans le bonheur individuel – le reste étant rejeté comme, au choix : rétrograde, fasciste, vieux, ringard… ad lib.

En bon analyste, Alain Bentolila décrit avec exigence, de manière étayée et argumentée, les points de cristallisation de cette régression intellectuelle et éthique de la France : la télévision, qualifiée de « grande anesthésiste » ; Internet et les réseaux sociaux, dont il souligne l’indigence et l’illusion (en termes de savoir, de démocratie, de liens avec l’Autre…) ; les politiques, qui ne cessent de « nous prendre pour des cons » et que, quoi que puissent en dire les commentateurs autorisés, nous n’avons eu de cesse de croire ; l’anémie du langage, « grand maquillage », conséquence de l’appauvrissement lexical et intellectuel dans lequel euphémismes, raccourcis et insultes concurrencent un politiquement correct sans vergogne (ne fâchons personne, nous ne sommes plus à-même d’argumenter). Alain Bentolila consacre trois longs chapitres à la question scolaire et à la démission de l’Éducation nationale. Cette dernière a abandonné l’exigence et l’élitisme républicain (rappel : il s’agit d’amener chaque élève au maximum de ses capacités pour en faire un citoyen libre et responsable – et non comme le serinent les pédagos et une certaine gauche bourdieusienne laisser la masse à la ramasse au profit d’une reproduction sociale conservant aux classes dominantes leur position de puissance) au profit de la facilité (l’exigence est par nature inégalitaire) et d’un égalitarisme destructeur. L’égalité se fait au moins disant, jetant chaque année toujours plus de gamins sans diplôme ou titulaires de diplômes en carton-pâte dans les griffes du Pôle Emploi, de la rue, de la délinquance, du RSA, voire pire… Enfin, Bentolila consacre deux chapitres à la question des religions et de la laïcité d’une part, et d’autre part à celle de l’appartenance et de l’identité.

Mesuré dans ses propos, Alain Bentolila n’en est pas moins intransigeant sur le constat posé, et démonte magistralement, à l’appui d’exemples pertinents, les mécanismes qui ont conduit à cet abaissement du niveau intellectuel de la France. En outre, ne se limitant pas à dénoncer, Bentolila se veut force de proposition, notamment sur la question scolaire dont il est un éminent spécialiste. Les solutions préconisées, qui ne sont pas du reste des solutions miracles (elles n’existent pas), sont de bons sens : restaurer l’apprentissage de la lecture (donc méthode syllabique, et non ces usines à dyslexiques que sont les méthodes globales et semi-globales) et des mathématiques, restaurer la légitimité du maître par rapport à l’élève (l’autorité dont il est fait grand cas aujourd’hui pour les raisons que l’on sait n’étant qu’un corollaire de la légitimité), retrouver l’exigence de l’effort et de l’apprentissage… Une réserve toutefois sur la laïcité : nous considérons au contraire de l’auteur que les mères voilées ne doivent en aucun cas être autorisées à accompagner des élèves dans le cadre scolaire public (sauf à retirer leur voile pour l’occasion). La laïcité n’est ni ouverte, ni intégriste. Elle est la garantie de pouvoir dispenser un enseignement hors du poids des dogmes et des traditions. Elle n’empêche nullement les convictions religieuses, pas plus qu’elle ne freine la pratique d’un culte. Mais celles-ci relèvent du champ privé. Elles n’ont pas à interférer à l’école, sauf choix des parents de scolariser leurs enfants dans le cadre privé confessionnel.

Nous concluons cette chronique en recommandant fortement la lecture de cet essai qui mérite d’être discuté dans le cadre du débat Politique (qui en France reste politicien, hélas). Alain Bentolila conclut sur ces quelques vers de Victor Hugo, extraits du poème « À ceux qu’on foule aux pieds » (1872), que nous nous permettons de reproduire ici :

Je défends l’égaré, le faible et cette foule

Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule

Et tombe folle au fond des noirs événements.

Étant des ignorants, ils sont des incléments.

Hélas ! Combien de fois faudra-t-il vous redire

À vous tous que c’était à vous de les conduire,

Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,

Que votre aveuglement produit leur cécité.

Retrouvez cette chronique sur le Salon Littéraire.

Ab hinc… 148

« Le mépris est un sentiment libérateur. Il exalte une belle âme et l’incite aux grandes entreprises. » – Guillaume Apollinaire

Songe d’un après-midi de bureau (coquetterie 2)

Songe d’un après-midi de bureau

par Philippe Rubempré

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Dominique s’ennuyait. Nous pourrions même écrire qu’il s’emmerdait royalement. Tout dans sa vie n’était qu’une agression contre sa tranquillité et sa paresse naturelles. Mais pourquoi diable ne lui foutait-on donc pas la paix !? Dominique réussit cet exploit de s’ennuyer dans la société la plus riche en termes de loisirs, de culture, de communication. Et pourtant, force est de le constater, l’ennui prévaut. Domine. Écrase même. À l’heure joyeuse – forcément joyeuse – et bénie des réseaux dits sociaux, de la transparence et de la communication à outrance, du divertissement considéré comme de la culture et de la vulgarité élevée au rang de divertissement, Dominique fait figure d’un sombre réactionnaire ; il ne lit d’ailleurs ni L ni le NO… L’est-il vraiment, réac ? Et puis, qu’importe ? C’est bien une idée d’actionnaire de résumer son alter à la réaction. Toutes ces considérations oiseuses n’offrent pas de réponse à son ennui essentiel. Ses études d’Histoire et de Géographie, sa boulimie de romans et de lecture, son goût d’un certain cinéma d’aventures carton-pâte désuet, lui avaient fait miroiter une liberté et une excitation frénétiques de vie. Liber sum, ergo sum. Et déception. Pas de tristesse, juste de l’ennui. Comment vous expliquer : l’ennui chez Dominique n’est pas triste ; pas de velléités suicidaires ; pas plus de dépression. Un ennui heureux. Inoffensif. Une sorte d’indifférence. À l’opposé des déclinologues comme des rebelles de profession qui n’ont de rebelles que le nom. Dominique diffuse un ennui poli. Un emploi garantit son indépendance financière ; une maison sa retraite sociale quotidienne ; une carte électorale dûment tamponnée l’exercice de son devoir citoyen. Même si son devoir d’humain lui impose un vote blanc. Un ennui poli je vous dis, voilà la réponse de Dominique à la médiocrité purulente de la société et de ses concitoyens.

Possibles de l’ennui : au travail, à la maison, au restaurant, dans la vie, au lit, à l’envie, au cinéma, au concert, au musée, chez des amis, au bar, au bureau, sous le bar après le bureau, sous le bureau avec Natacha, au club avec Natacha nattachée, en boite à partouze, à chaussures, à gants, en discothèque, en dvd-thèque, en baskets, à la mosquée, à la synagogue, à l’église, dans la cité, à la cathédrale, en ville, au ministère, à la mairie, dans la fonction publique territoriale et pas que, au téléphone, sur la toile, aux toilettes, dans un cabinet, en lisant Marc Lévy, Guillaume Musso, Eric-Emmanuel Schmitt, Jean-Jacques Rousseau, les érotiques de Gérard de Villiers, Karine Thuil, le Monde, The Financial Times, Die Welt, Der Frankfurter Allgemeine Zeitung, El Pais, La Reppublica, la Pravda, Florian Zeller, William Shakespeare, Joyce Carol Oates, Nancy Huston, en baisant avec Julie, Claire, Cécile, Marie, Sophie, Emma, Jean-Louis, Robert, Conchita, Médor et Paf le chien, devant les vitrines des Champs-Élysées la semaine de Noël, en écoutant les cocos, les socialos, les libéros, les fachos, les populos, les populeux et les fâcheux, liste non exhaustive à poursuivre ad libitum….

Dominique n’a que l’embarras du choix pour s’accommoder de son ennui charnel autant qu’intellectuel. Il n’est en outre pas le seul frappé par ce symptôme. Ennuyés de tous les pays, unissez-vous ! Le mal du siècle n’est pas comme d’aucun peut le faire croire la douleur lombaire consécutive à la tenue au bureau, à l’usine ou au sport. L’ennui est le mal de ce siècle nouveau comme des siècles passés. Évidemment pas pour tout le monde. Le lambda n’est pas sujet à l’ennui. S’ennuyer se mérite, demande une certaine culture, une certaine classe, une lucidité aveugle sur l’absurdité de ce monde débile et génial à la fois. L’ennui à la petite semaine est une chimère, un leurre. Il n’existe pas. Dominique n’est pas un citoyen à la petite semaine. Il n’est pas lambda. Sa conscience l’en empêche. L’ennui est créatif. Enfin, est un état créatif. Les génies s’emmerdent. Pour composer la Comédie Humaine, il devait se faire chier Balzac ; il devait pleurer sur la médiocrité naturelle de l’homme s’offrant en un minable et impudique spectacle. C’est là l’immanence de la société. L’Humanité évolue et offre toujours ce minable et impudique spectacle. En tout lieu et en tout temps. Universellement. Avec ses génies, tels Dominique ou Balzac, ou Proust, ou Claudel, ou Zola, ou Bloy, ou Bernanos, ou Flaubert, ou j’en passe, qui à force d’ennui font preuve de génie. Le dégoût, la fuite ne sont que des lâchetés communes, réservées à des êtres insensibles à la douceur et à la bienveillance de l’ennui. Génies de tous les pays, ennuyez-vous ! Et vous créerez l’Oeuvre qui pimentera suffisamment l’Humanité pour la faire tenir jusqu’à demain. Humanité nécrophage qui se nourrit de ses excréments sublimés par les génies de l’ennui qui eux ne nous ennuient pas.

* * *

Charlie, Michel, Éric et les autres…

Le plus difficile, passée l’émotion immense suscitée par les attaques terroristes islamistes de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, est de pondérer sa réaction, de conserver dans la mesure du possible une forme de sang-froid et de rester dans le discours argumenté, étayé. Ceci nous paraît fort difficile compte tenu de l’horreur du crime, de l’incompétence du gouvernement, de l’hypocrisie des politiques et de l’odieuse manipulation mentale de ceux qui appartiennent à ce qu’Alain Finkielkraut appelle le « Parti de l’Autre ». Car annonçons de suite la couleur, considérer

  1. que l’islamisme n’a rien à voir avec l’islam ;
  2. que la liberté d’expression est le fondement de la démocratie (et non de la République, comme le répètent à l’envi ceux qui ignore que république de rime pas nécessairement avec démocratie), mais que le blasphème est inacceptable car il serait une forme de racisme (essentiellement le blasphème anti-musulman, par ailleurs, plus anecdotiquement celui anti-chrétien ; il est vrai qu’on a pas vu d’attentat commis par des chrétiens intégristes depuis la sortie de La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese) ;

  3. que les vrais responsables sont les « islamophobes » Finkielkraut, Zemmour, Lévy, Michéa et consorts de tous acabits (point commun unique : déplaisent à Libé et Médiapart)…

    relève de l’ignorance la plus crasse, de l’hypocrisie sans vergogne, de la malhonnêteté intellectuelle et de la manipulation mentale ! Nous voulons d’ailleurs souligner ici l’abjection de Rokhaya Diallo, soit disant victime de l’affreux facho Rioufol qui l’a faite pleurer sur les ondes de RTL(1) en lui demandant de condamner les attentats et d’être solidaire de Charlie Hebdo en tant que musulmane ; la même Diallo en 2011 signait, au lendemain de l’attentat au cocktail molotov qui a détruit les locaux de l’hebdomadaire satirique, une pétition « Pour la liberté d’expression et contre le soutien à Charlie Hebdo »(2) aux côtés notamment des Indigène de la République et d’une vingtaine de co-signataires. Cette pétition affirme :

« qu’un cocktail molotov lancé la nuit dans des locaux vides et n’occasionnant que des dégats matériels ne mérite pas une mobilisation médiatique et politique supérieure à celle, pour le moins discrète, qu’occasionne l’incendie ou la mise à sac d’une mosquée ou d’un cimetiere musulman. »

ou encore :

« qu’il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur les journalistes de Charlie Hebdo, que les dégats matériels seront pris en charge par leur assurance, que le buzz médiatique et l’islamophobie ambiante assureront certainement à l’hebdomadaire, au moins ponctuellement, des ventes décuplées, comme cela s’était produit à l’occasion de la première « affaire des caricatures » – bref : que ce fameux cocktail molotov risque plutôt de relancer pour un tour un hebdomadaire qui, ces derniers mois, s’enlisait en silence dans la mévente et les difficultés financières. »

et toute la pétition est à l’avenant. Madame Diallo nous semble la plus mal placée qui soit pour se faire passer pour une victime en ce moment. Qu’elle assume ses actes, ses pensées et ses écrits. Elle est anti-Charlie, elle est une insulte à la liberté d’expression et de caricature. Elle appartient à ce « Parti de l’Autre » et à cette gauche incapable de regarder la réalité en face sous prétexte d’anti-racisme. Toujours victime… comme Le Pen finalement.

En second lieu, nous rejetons le terme d’islamophobie et ses dérivés. Il s’agit d’un terme formé par des musulmans intégristes (Khomeini – de sinistre mémoire – l’a mis à la mode) pour confondre la critique de la religion musulmane (légale, normale, souhaitable y compris par les musulmans eux-même – car relevant du débat intellectuel, du débat idéologique, du débat d’idées), et le rejet des musulmans en tant que personnes en raison de leur appartenance religieuse (ce qui, sans être du racisme car il n’existe pas de « race » musulmane – quoi de commun entre un Ouighour, un Indonésien, un Turc et un Algérien, « ethniquement » parlant ? – s’apparente à une atteinte à la liberté de croyance et de culte, ce qui tombe sous le coup de la loi(3)). Nous avons regretté en outre à l’occasion de plusieurs de nos chroniques la pratique très en vogue chez une certaine gauche, que nous baptiserons Gôgoche, de la reductio ad hitlerum et de sa version light, celle que j’ai appelée reductio ad maurrassum dans une chronique consacrée à la réédition augmentée par Dimitri Casali de l’Histoire de la France de la Gaule à nos jours d’Ernest Lavisse(4). Nous éviterons donc de rendre la monnaie de leur pièce aux pratiquants forts représentés à Libération, au Monde, à Médiapart, ou encore à L’Obs (liste hélas non-exhaustive) de cette calamiteuse et déloyale manière de décrédibiliser le débat en tuant symboliquement l’adversaire (ou l’inverse). Enfin, si nous allâmes manifester dimanche dernier, 11 janvier 2015, en soutien à la liberté d’expression, en hommage aux morts et en signe de respect vis-à-vis de leur famille, nous ne sommes pas dupe pour autant du fait que parmi les manifestants, certains refusent la liberté d’expression à ceux qui n’ont pas l’heur de leur plaire. Ainsi Plenel ou Joffrin(5) n’ont de cesse de regretter à longueur d’éditoriaux et d’interventions radio-télévisées la libération d’une parole qu’ils qualifient d’ « islamophobe » (faisant ainsi le jeu des musulmans intégristes), de nauséabonde, rance, voire fasciste. Interdit de parler d’identité, d’assimilation. Parler de laïcité rime pour ceux là avec « islamophobie », donc avec racisme(6). L’hospitalité même, chez eux, est criminelle car elle suppose que l’accueilli s’adapte à l’accueillant, et respecte, sans se renier pour autant, la culture et les us en vigueur chez l’accueillant (à Rome, fais comme les Romains). Non, pour eux, c’est à la France, résumée à Vichy et à la colonisation, donc à la France nécessairement coupable, de s’adapter aux nouveaux arrivants. La fameuse société inclusive de l’inénarrable Thierry Tuot, ci-devant conseiller d’État et fossoyeur de la République laïque. Ils regrettent la zemmourisation de la société et la lepénisation des esprits. Contrairement aux personnes citées précédemment et à leurs coreligionnaires en « c’est-moi-qui-dit-ce-qui-est-acceptable-et-ce-qui-ne-l’est-pas », nous pensons que si Charlie a le droit à la liberté d’expression, de caricature et d’outrance la plus absolue, Le Pen – qu’à titre personnel nous combattons – a le droit d’exprimer ses idées politiques. Le Front national est un parti républicain (il n’est ni monarchiste, ni impérialiste, ni pour le retour à l’État français, de vichyste mémoire) qui respecte les règles de la démocratie. Ses idées peuvent être contestées, doivent être débattues, mais certainement pas censurées. D’autant moins censurées que le Front national représente entre le cinquième et le quart des suffrages exprimés aux dernières élections, et peu ou prou la même chose dans les sondages d’opinion (avec toutes les réserves d’usage quant aux sondages). Il ne s’agit pas de nier l’existence d’une telle parole, mais d’en débattre sans jeter d’anathème. Dernière précaution, nous employons pour désigner ceux que les médias nomment « islamistes » le terme de « musulman intégriste ». Cette expression à le double mérite de nommer les choses, c’est-à-dire qu’un musulman intégriste est un musulman, qui a à voir avec l’islam (il en est de même pour le juif intégriste ou le chrétien intégriste), et en même temps de qualifier un type de musulman sans stigmatiser l’ensemble des fidèles du Prophète. Considérer que l’islamisme n’a rien à voir avec l’islam est une forme de racisme et une insulte à l’intelligence des musulmans eux-mêmes. Le juif intégriste est juif. Le chrétien intégriste est chrétien. Au nom de quoi, au nom de quel racisme social ou culturel le musulman intégriste, euphémiquement dénommé « islamiste », ne serait-il pas musulman ? Quelle théorie fumeuse justifie une telle distinction ?

***

C’est dans un contexte social, politique et religieux passablement tendu que sont parus deux ouvrages polémiques, un essai d’Éric Zemmour intitulé Le suicide français, et un roman de Michel Houellebecq, publié le jour même de l’attentat à Charlie Hebdo, intitulé Soumission. Nous avons lu les deux ouvrages, largement commentés, à grands renforts de soutiens identitaires et de procès en racisme, « islamophobie », misogynie et autres qualificatifs, rances, nauséabonds… Il ne s’agit donc pas ici de refaire la critique de ces deux bouquins (d’ailleurs, nous ne critiquons pas les livres, nous les chroniquons, ce qui est différent(7)), mais de livrer quelques considérations sur ce que nous avons lu ou entendu à ce sujet, et qui ne nous apparaît pas en accord avec notre lecture de ces deux livres.

Concernant le roman de Houellebecq, Soumission, qui est la traduction française du mot arabe« islam », il a été qualifié d’odieusement « islamophobe » et misogyne. Nous en avons achevé la lecture mardi dernier, 13 janvier 2015. Nous ne voyons pas en quoi ce roman est « islamophobe » ou misogyne. Ou plutôt si : l’explication se trouve dans les déclarations de Michel Houellebecq au magazine Lire en 2001, au moment de la publication de Plateforme. Dans cet entretien, il a déclaré notamment que « la religion la plus con, c’est quand même l’islam ». Paf, Houellebecq = « islamophobe » = raciste. Quand bien même sa considération concerne une religion, une idéologie et non des personnes, la chape de plomb bien pensante lui tombe sur le coin de la gueule et ne se relève plus. Si Houellebecq avait déclaré que les croyants les plus cons étaient quand même les musulmans, la question eut été différente. Mais là, en confondant critique d’une religion, l’islam, et insulte d’une population, les musulmans, en raison de sa croyance religieuse (ce qui n’est pas le cas, sauf erreur, dans cet entretien(8)), la Gôgoche a joué, et joue encore, un jeu dont les règles ont été définies par ce grand démocrate iranien qu’était l’ayathollah Khomeini. Elle participe activement du délitement de la laïcité à la française qui accorde à tous et à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer, de critiquer ou de louer le dieu ou la religion de son choix. Nous considérons avec Clermont-Tonnerre qu’il ne faut rien accorder aux croyants au nom de leur croyance, mais en revanche tout en tant que citoyens. Déroger une fois seulement à ce principe crée inévitablement des tensions entre les religions sur la base de querelles de niveau cours de récréation de primaire (il a eu ça et pas moi, c’est pô juste!). La marque « islamophobe » reste à jamais jetée sur Houellebecq, alors quand il publie un roman dans lequel il imagine l’accession démocratique d’un musulman à la présidence de la France face à Marine Le Pen, la question de son « islamophobie » supposée resurgit inévitablement. D’autant plus que dans le roman, Ben Abbès, président de la Fraternité Musulmane élu président de la République française, ne remet pas en cause la république ni la démocratie, mais autorise en parallèle l’organisation religieuse de la société. Ainsi, sans remettre en cause le mariage civil, il légalise le mariage musulman, et conséquemment la polygamie. Voilà qui est gênant pour les défenseurs de la laïcité « ouverte ». Ils sont bien forcés de constater que les religions, et notamment l’islam puisque c’est d’elle dont il s’agit dans le roman de Houellebecq, ne portent pas les mêmes valeurs que la République française. Il n’existe pas de religion ayant une constitution démocratique. La chrétienté est bâtie sur un mode monarchique. L’islam sur la soumission des fidèles à Allah et à sa volonté – ce qui explique qu’il n’y ait pas de clergé en islam, et les difficultés de représentation des musulmans de France (qui ne devraient être représentés que comme citoyens et non comme musulmans, comme cela devrait être le cas pour les juifs – donc pas de politiques présents dans les diners du CRIF à titre officiel – et pour les chrétiens). Plus que la misogynie de Houellebecq, c’est la question de la place, ou de la valeur de la femme dans la société, dans la famille qu’interroge le roman. Sans apporter de réponse. Le narrateur constate une « islamisation » douce de la France sans la stigmatiser ; il se pose la question de son éventuelle conversion. Si le roman paraît « islamophobe » à certains, c’est qu’il imagine la mise en œuvre quotidienne, réelle, concrète, de valeurs et de modes de vie liés à la culture musulmane en France. Constatant l’écart avec les valeurs et modes de vie républicains français, les partisans de la laïcité « ouverte » et de l’ouverture totale des frontières ont tout intérêt à faire passer le roman et son auteur pour « islamophobe » et à le décrédibiliser, car ce qui y est décrit, sans malveillance, risque de ne pas plaire au plus grand nombre, et imagine un avenir dans lequel les sacro-saintes valeurs liberté, égalité, fraternité et laïcité sont condamnées. Ce roman pose la question des valeurs essentielles, profondes, celles pour lesquelles nous pouvons combattre ou non. Pour Houellebecq, le modèle républicain laïc est fini (ce qui ne veut pas dire qu’il y consent ou qu’il s’en réjouisse) ; il imagine donc une évolution possible, celle de l’union nationale autour d’un parti « démocrate musulman » face à Marine Le Pen. L’ambigüité est sans aucun doute ce qui met le plus mal à l’aise dans ce roman. Il est impossible de déterminer la position du narrateur, qui regarde les événements en retrait, à travers le cul de ses bouteilles (à l’image de l’auteur?).

Zemmour met, dans son Suicide français, l’accent sur la démission des élites, à tout point de vue : politique, économique, culturel. Il démontre avec un certain brio comment à la suite de multiples renoncements la France en est arrivée à la situation actuelle. Zemmour excelle à décrire et faire ressentir le sentiment de malaise profond qui flotte actuellement en France et qu’il est difficile de nier. Son essai, entre pamphlet et histoire, est une démonstration politique globalement crédible de ce qu’il qualifie de « suicide français ». Gramscien, Zemmour a compris que c’est d’abord par la culture que les idées s’imposent, et c’est ce qu’il s’attache à réaliser dans ses nombreuses interventions audiovisuelles, et dans ses ouvrages, notamment Mélancolie française (qui nous avait paru plus pertinent que le Suicide français). C’est dans le détail des arguments et des exemples que l’essai de Zemmour présente ses faiblesses. Exemples parmi d’autres, son anti-féminisme apparaît caricatural, l’influence prêtée à cette connerie abyssale d’Hélène et les garçons également. En outre, son chapitre sur le régime de Vichy résiste mal à l’examen des sources, et notamment au fait que le maréchal est lui-même annoté, de sa propre main, le statut des juifs. Pétain n’a d’autre part jamais manifesté, sauf erreur de notre part, la moindre réserve quant aux arrestations, déportations et autres rafles. Quant à l’action de la Milice, il ne l’a condamnée, et encore du bout des lèvres, qu’en sentant le vent tourner, comme le lui a fait savoir Darnand. En revanche, Zemmour est convainquant dans l’analyse de certaines lois, notamment la loi Pleven (nous sommes par contre en profond désaccord avec son analyse de la loi Veil), ou dans l’art du portrait (Schweitzer est rhabillé pour quelques hivers bien rigoureux!). Nous ne détaillerons pas ici chacun des quelques 80 chapitres qui sont autant de faits caractéristiques du Suicide français, ce n’est pas l’objet de cette chronique.

Tout a été écrit et dit sur l’essai de Zemmour. Sa lecture ne permet en aucun cas de qualifier l’auteur de fasciste ; cela relève soit d’une inculture crasse qui impose le silence, soit de l’insulte caractérisée en vue de tuer symboliquement, médiatiquement, politiquement et si possible financièrement un adversaire idéologique auquel on est incapable de répondre de manière argumentée et étayée. Et la boucle avec les événements tragiques de Charlie Hebdo, Montrouge et de la porte de Vincennes est bouclée. Joffrin, dans son éditorial de Libération daté du jeudi 8 janvier 2015 n’hésite pas à mettre dans le même panier « Finkielkraut, Houellebecq et tous les identitaires », faisant au passage un raccourci sans vergogne, sur le mode de l’assertion ne suscitant ni réflexion (au contraire) ni réponse. Il n’hésite pas à sous entendre que les terroristes en visant Charlie, « c’est-à-dire la tolérance, le refus du fanatisme, le défi au dogmatisme » se sont trompés de cible. Les vrais responsables sont les Finkielkraut, Houellebecq… les « islamophobes, (…) ennemis des musulmans, (…) qui ne cessent de crier au loup islamique ». Ce n’est pas écrit franchement, mais le sous-entendu est évident. Les lanceurs d’alerte sont les vrais responsables car ils ont suscité le fanatisme par leur racisme « islamophobe » et leur volonté colonialiste d’imposer les mêmes règles d’assimilation et de laïcité à tous au mépris des cultures d’origine. Brillante inversion de l’ordre des choses. C’est face à la montée du fanatisme, toujours et en tout temps minimisée voire niée par Joffrin et consorts, leur préférant les explications sociales et sociétales, tellement plus simples et permettant de combattre la droite, cette résurgence du fascisme intolérable en République, c’est face à cette montée du fanatisme que Finkielkraut et d’autres ont réagi et rappelé à la France le principe de laïcité. C’est la gauche de Jospin qui a trahi la République et ses valeurs en créant le flou sur la question du port du voile islamique à l’école. C’est la gauche de Vallaud-Belkacem qui viole encore une fois en 2014 le principe de laïcité à l’école en autorisant les mères voilées à accompagner les sorties scolaires (le voile islamique est un signe religieux de soumission à dieu et aux hommes ; s’il est de la liberté la plus absolue des femmes musulmanes de le porter, cette liberté s’arrête à la porte du cadre scolaire, donc des sorties scolaires, de l’enseignement public. Sinon, il existe un enseignement privé confessionnel), et qui, face au réel post-7 janvier 2015, propose de distribuer un livret explicatif sur la laïcité aux élèves (dont beaucoup ne maîtrise pas suffisamment la langue française pour comprendre ce qu’ils liront éventuellement dans ce pieux document laïc). L’hypocrisie et la mauvaise fois sans vergogne de Joffrin, Plenel et d’autres relèvent de la manipulation mentale. Leur malhonnêteté intellectuelle les conduit à rendre responsable de leurs incendies les pompiers qui ont alerté du danger, essayé de contenir et d’éteindre ces feux irresponsables.

***

Cette chronique conclut notre réaction à l’attaque de la rédaction de Charlie Hebdo de Montrouge et de l’Hyper casher de la porte de Vincennes par des musulmans intégristes, des terroristes. Elle fut rédigée sur plusieurs jours, dans un état d’émotion et de colère contre ceux qui ont perpétré ces actes criminels et odieux, mais aussi contre ceux qui en rejettent la faute sur les lanceurs d’alerte, sur ceux qui questionnent l’identité (aussi diverses soient les réponses apportées). Nous sommes à titre personnel de culture catholique, laïc, agnostique et républicain, et nous pensons que la question de l’identité est centrale. La gauche, à force de la nier, de la criminaliser, favorise depuis 40 ans les communautarismes et la guerre sociale larvée dans laquelle se consume la France. Pour bien accueillir l’Autre, pour être ouvert et comprendre la culture, la civilisation, la religion de l’Autre, pour accepter l’Autre et développer un « vivre ensemble », il est fondamental, essentiel, vital, de se connaître soi-même, de connaître son histoire, sa culture, sa civilisation, sa religion et de s’accepter soi-même. Nous laisserons les mots de conclusion à Socrate, « Connais toi toi même », et Spinoza, « la repentance est une seconde faute ».

Philippe Rubempré

Quelque part en province, 13-19 janvier 2015

P.S. : Nous serions très heureux de nous être trompé quant à messieurs Joffrin, Plenel et consorts ; hélas, leurs interventions radiotélévisées multiples nous laissent à penser le contraire. Nous tenons en outre à préciser à l’attention des malveillants de tout poil que nous nous ne attaquons pas aux personnes, mais à leurs idées et/ou à leur manière de les défendre. À bon entendeur…

(1) Dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel On refait le monde le 7 janvier 2015, jour de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Lien ci-dessous :

http://www.ozap.com/actu/attentat-a-charlie-hebdo-rokhaya-diallo-en-larmes-face-aux-accusations-d-ivan-rioufol/460868

(2)http://lmsi.net/Pour-la-defense-de-la-liberte-d

Les fautes d’orthographe et d’accords sont d’origine.

(3)La loi à laquelle il est fait référence ici, et le contexte politique et religieux auquel il sera fait référence tout au long de ce texte sont ceux de la France.

(5)Je n’oublie pas Bourmeau, Birnbaum, Diallo, Boutjelda et les autres… Pour une fois, Caroline Fourest est du côté de la laïcité, ce qu’elle n’est pas quand elle apporte son soutien aux Femen lorsque ces dernières agressent des lieux de cultes catholiques (lieux protégés au même titre que synagogues, temples et mosquées au titre de la loi de 1905).

(6)Appris ce jeudi 15 janvier 2015 que le médiapartique Edwy Plenel fera conférence commune avec Tariq Ramadan sur le « droit à l’insertion pour tous » et les « difficultés de la Jeunesse Musulmane en France (les majuscules ne sont pas de mon fait) à l’appel de l’association Actions pour un monde sans frontières qui œuvre « à l’insertion professionnelle des jeunes de banlieue. Cf l’article d’Eugénie Bastié sur le site du magazine Causeur :

http://www.causeur.fr/plenel-ramadan-amsf-voyage-la-mecque-31099.html

(7)Cf notre éditorial intitulé « Vous avez dit Librairtaire ? » sur le site du Librairtaire : http://librairtaire.fr/wordpress/?page_id=2

(8)La fameuse 17ème Chambre a considéré que Houellebecq devait être relaxé, par conséquent ses propos ne relèvent pas du racisme mais bien de la critique d’un religion, donc d’une idéologie, donc du débat intellectuel, n’en déplaise aux petits marquis de la Gôgoche médiatique.

Ab hinc… 147

« Le plus honnête homme n’est pas celui qui entre dans les règles apparentes. C’est celui qui reste à sa place, travaille, souffre, se tait. » – Charles Péguy

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