Rhum – Blaise CENDRARS
Rhum… ou la vie de Jean Galmot, journaliste, écrivain, industriel, député de la Guyane, présumé corrompu dans ce qui fut dans les années 1920 la célèbre affaire des rhums (toute ressemblance avec une actualité sinistre étant purement involontaire).
Cendrars a suivi cette affaire Galmot (et oui il a vraiment existé l’huluberlu !) et en a tiré un roman comme on pose un acte politique. Il est effarant de constater que les conflits d’intérêts, la chasse à l’homme, les fuites judiciaires, l’acharnement médiatiques sont toujours d’actualité. Criants d’actualité. Sans prendre parti pour les uns tout en critiquant les autres, Cendrars dévoile la mécanique implacable d’un système dit républicain pour se débarrasser d’un gêneur. On pourrait croire que c’est inventé. Vérifications d’usage effectuées, il n’en est rien et le plus triste, c’est que même quand c’est finit, ça recommence…
Le texte est nerveux. La prose de Cendrars est précise, tranchante, exacte. Rien de superflu, rien de manquant. L’auteur joue merveilleusement avec les pièces du dossier, n’hésitant pas à les citer et à couper son texte. Le rythme n’en est pas pour autant affecté, au contraire.
Un roman brillant, du point de vue littéraire, du point de vue politique (je répugne à user du terme de « morale politique », la politique est amorale par essence, et on peut toujours jouer du cornet à piston devant la tour Eiffel en s’imaginant qu’elle va danser la samba – expression empruntée à Hergé, elle restera ce qu’elle est), et du point de vue du bovaryste. Rhum se dévore comme un roman d’aventures formidables ; tout y est, le journalisme, la jungle, les colonies, les affaires, les méchants, les bons & les traitres, les faux-semblants… et l’identification au personnage fonctionne.
Bovarysme ou syndrome de Stockholm ? A vous de le dire…
La gueule du lion – J. CHRISTOPHE
Roman d’aventures, roman d’amitié, roman initiatique pour les jeunes garçons (et filles) en pleine construction de leur personnalité.
Italie du Nord, première moitié du XVIeme Siècle. Bernard, fils d’un soldat français et d’une Italienne du cru, perd tout, volé par des crèvent-la-dalle. Sa mère n’y survit pas. Il a 14 ans. Il a un objectif : rejoindre la Sérénissime, où il sera en sécurité, et où il pourra gagner sa vie en travaillant à l’arsenal. Il se joint à la bande d’affamés et plonge vers son destin. Il va croiser Federigo, fils d’un orfèvre vénitien. De cette rencontre naît une amitié et une fidélité, un certain sens de l’honneur célébré tout au long de ce court roman pour la jeunesse.
Le roman est magnifiquement illustré par des peintures (et détails) vénitiennes dans une reproduction couleur de qualité, à l’honneur de l’éditeur, la Bibliothèque de l’Amitié, ainsi que par un semis de dessins signés Boudignon appuyant le texte.
Le roman s’inscrit dans son époque (il a été publié en 1971), ne l’oublions pas avant d’en juger les thèmes à l’emporte-pièce. C’est une belle introduction à ce qu’est l’amitié, la vraie, celle avec un grand A comme A la vie, A la mort…
Des néons sous la mer – Frédéric CIRIEZ
Jouissif ! Et je ne l’écris pas en raison du thème du roman, la prostitution. Non, c’est vraiment jouissif grâce à la langue agile de l’auteur. C’est ingénieux, inventif, inattendu, osé, exagéré… du point de vue de l’écriture. C’est un feu d’artifice de singularités, toutes et chacune étant justifiée(s) par les besoins de la narration.
Nous sommes en 2012, après l’élection présidentielle. La prostitution est légalisée. Sic ! Un claque s’est ouvert dans un ancien sous-marin (diesel) de la Royale (marine française) à la réputation sulfureuse (le sous-marin). Il est du côté de Paimpol. Le lupanar est presqu’anagramiquement dénommé Olaimp (toute référence à Manet et à la mythologie étant purement non-fortuite).
Écoutons, lisons le vestiaire des lieux nous raconter ce boxon qui rime avec émotion autant qu’avec prostitution.
Ce roman a du fond. Il aborde sous un extérieur plaisant, littéraire, drolatique, la très épineuse question de la prostitution. Avec, il faut le reconnaître, une grande lucidité. Et l’intelligence de ne pas juger.
Le roman milite-t-il pour la réouverture des bordels et la légalisation de la prostitution ? Lisez-le, faites votre opinion propre. Quoi qu’il en soit, c’est remarquablement écrit du point de vue langue et littérature ; l’histoire est impeccable du point de vue roman ; le fond est bien présent pour susciter la réflexion.
Pour un premier roman, brillant, et … Chapeau !
100 plus beaux musées du monde – Ed. Gründ
Intituler son livre les 100 plus beaux musées du monde et ne pas y faire figurer le Getty Center de Los Angeles… ça décrédibilise dès le départ ! Ami amateur d’art, tu n’apprendras pas grand chose, voire rien du tout, en découvrant ce livre.
Comme son titre l’indique, c’est un tour du monde des musées, avec pour chacun une courte notice résumant son origine, son histoire et citant les principales oeuvres exposées. Très intéressant si vous souhaitez vous adonner au tourisme culturel.
Je reproche à ce bouquin (beau bouquin, soyons honnête) d’être un coup d’éditeur, un piège à touriste, certainement publié en amont de quelque fête à cadeaux. D’ailleurs, difficile de savoir qui sont les rédacteurs du comité éditorial. Sont-ce des historiens d’art ? des muséographes ? des journalistes ? des rédacteurs à la sauce verte Michelin ? Nous connaissons le nom du traducteur, c’est déjà ça.
Je ne suis pas là pour faire la pute, ni pour descendre le bouquin, et si je vous en parle, c’est que j’ai pris un certain plaisir (voire un plaisir certain) à le lire. Ça se lit comme une bande-dessinée. Les notices, pour être légères, n’en sont pas moins relativement bien rédigées, d’accès facile (ce qui semble logique dans un ouvrage de vulgarisation).
La très grande qualité de cet ouvrage reste la reproduction des oeuvres. Il a été fait le choix très judicieux de ne pas chercher à reproduire un maximum d’oeuvres et de préférence les plus connues. Au contraire, les oeuvres reproduites ont été soigneusement choisies ; elles sont représentatives de l’âme des musées visités, et la « célébrité » des oeuvres montrées a laissé la place à la qualité des oeuvres in situ. Enfin, et j’en termine là, c’est un vrai plaisir d’admirer la qualité des reproductions et de l’impression.
Un livre de vulgarisation, léger sur le fond, insuffisant voire inexistant en art, mais plaisant tout de même car de lecture aisée, divertissante et grâce à une iconographie judicieuse et de grande qualité.
JANUS – t1 : La compagnie des ombres
Dessin : Régis VAN WINSEN – Scénario : Virginie CADY – Couleur : Abel ORAIN
Pauvre Léopold de Gygès ! Quel mal lui a pris de participer à une séance de spiritisme chez la mystérieuse comtesse Sokorowska ! Le voilà affublé d’un fantomatique et renaissant alter ego… bien trop agité à son goût ! Bondissant, bagarreur et coureur, infatigable avec ça!
De quoi dynamiter le paisible quotidien tendance bridge et mondanités d’un noble parisien de la Belle Époque. Jusqu’au jour où… Gygès apprend que ce double fantomatique est le fruit d’un appel de l’énigmatique comtesse. Pourquoi ? Léopold en acceptera-t-il les enjeux? Aura-t-il le choix ?
Et voilà une plaisante aventure qui démarre en trombe dans le Paris de la Belle Époque, sublimé par les dessins de Régis van Winsen et les couleurs d’Orain (je pourrais rester indéfiniment devant certaines cases dont le dessin et l’ambiance me font péter la machine à bovaryser). Le scénario est extrêmement bien ficelé, les dialogues pleins d’humour.
Un tome à ce jour (sauf erreur de ma part), paru chez Nuclea, maison qui requiescat in pace (sauf erreur 2 de ma part). En espérant qu’un éditeur avisé se risque pour notre bonheur à publier la suite des aventures de Gygès…
(Et Janus dans tout ça, me direz-vous ? Lisez le tome 1 et priez pour la suite…)