Asphyxie. Manuel de désenfumage pour notre temps – Harold Bernat
Comment lutter contre l’air du temps, contre cette imprégnation poisseuse qui vous explique à longueur de colonnes, d’ondes et d’écrans ce que vous devez penser et ne pas penser, faire et ne pas faire, croire et ne pas croire, dire et ne pas dire ? Comment dessiller nos paupières ? En aérant, en s’oxygénant l’âme, en prenant un grand bol d’air et en cessant d’être dupes. Voilà l’objet de cet étrange « manuel de désenfumage pour notre temps » intitulé Asphyxie.
Son auteur, agrégé de philosophie et enseignant, Harold Bernat, propose une réaction saine à la propagande totalitaire (au sens où elle englobe tous les aspects de la vie, de l’éducation à la consommation en passant par les loisirs et les choix « démocratiques ») libérale-libertaire qui voudrait que toute critique un peu fondée ou construite soit extrémiste ou irresponsable… Bernat nous invite à nous réapproprier nos modes de pensée. À travers quelques cas d’école, les « désenfumages », lesquels alternent avec des réflexions en profondeur, il réhabilite la critique politique, par essence conflictuelle ( ce qui ne signifie pas guerrière ou éradicatrice de ses adversaires) et nécessaire dans toute démocratie digne de ce nom. Il réhabilite le peuple contre les pseudos-élites qui ne cherchent qu’à perpétuer leurs places et privilèges en se foutant et de la France et du bien commun.
En érigeant le mouvement des Gilets Jaunes, sa réception médiatique et sa réponse policière en symbole, Harold Bernat montre à quel point la France et sa grandeur ont été confisquées à son peuple par une crème consanguine et corrompue, moralement à défaut de l’être financièrement, le cumul n’étant probablement et hélas sans doute pas une exception.
Un essai revigorant à lire pour se revivifier l’esprit et repenser l’époque.
Philippe Rubempré
Harold Bernat, Asphyxie. Manuel de désenfumage pour notre temps, Éditions de l’Escargot, 2020, 180p.
Ab hinc… 332
« Mais, n’en déplaise aux enfumés, il existe bien un lectorat caché, souterrain, des esprits qui comprennent parfaitement la nature des enjeux et les grosses ficelles de l’enfumage généralisé. Ces femmes et ces hommes, de bonne volonté critique, ne sont pas payés pour enfumer l’auditoire.Ils ont souvent un travail décent, un intérêt pour le bien commun et un esprit suffisamment résistant pour s’opposer encore. Il est de première nécessité, pour préserver une niche ou un marché, de les qualifier d’extrêmes ou de rétrogrades, rhétorique imbécile qui ne fait plus illusion. » – Harold Bernat, Asphyxie. Manuel de désenfumage pour notre temps, Éditions de l’Escargot, 2020.
Chers lecteurs, permettez-moi de vous souhaiter une année 2023 désenfumée, non pas du tabac cher à Sganarelle, mais de la propagande qui imprègne chaque parcelle de notre quotidien. Je vous souhaite d’être libres et heureux. Je vous souhaite d’être en bonne santé, l’intendance suivra !
Lectures décembre
- Avant-Guerre – Guillaume Faye & JM.E. Simon
- Ex libris eroticis 2 – Rotundo
- L’été noir – Jean-Claude Clayes
- Attention femmes – Alex Varenne
- Les larmes du sexe – Alex Varenne
- La correction ou la confusion des sens – Philippe de Saxe, illustrations d’Alex Varenne
- SUSPECTE [RESPAWN] – Zoé Sagan
- Jessica Ligari – Philippe Cavell & Robert Merodack
- Le pays où l’on arrive jamais – André Dhôtel
- Trois hommes dans un bateau – Jerome K. Jerome
- Mai 68 vu d’en face – Bernard Lugan
- Vagabondages littéraires – Michel Marmin
- Sa Majesté des Mouches – William Golding
- Le Grand Remplacement. Introduction au remplacisme global – Renaud Camus
- Siècle furieux – Papacito
- Les Passagers du vent #1 La fille sous la dunette François Bourgeon
- Michel entre deux feux – Georges Bayard
- Les Passagers du vent #2 Le ponton – François Bourgeon
- Carnets intimes d’une jeune fille pas rangée – Maïna Lecherbonnier
- Les Passagers du vent #3 Le comptoir de Juda – François Bourgeon
- Les Passagers du vent #4 L’heure du serpent – François Bourgeon
- Le Hussard fonce dans le tas – Alain Sanders
- L’Intervalle entre le marchepied et le quai – Bruno Lafourcade
- Terminus pour le Hussard – Xavier Eman
- Les Passagers du vent #5 Le bois d’ébène – François Bourgeon
- Les Passagers du vent #6 La petite fille Bois-Caïman I & II – François Bourgeon
- Le Hussard retrouve ses facultés – Bruno Lafourcade
- Les Passagers du vent #7 Le sang des cerises Livre 1 Rue de l’Abreuvoir – François Bourgeon
Contrecoeur. Chroniques d’une France sans lettres – Pierre Mari
Contrecœur réunit quelques « chroniques d’une France sans lettres », composées par Pierre Mari entre mai 2011 et août 2020. L’écrivain y martèle à chaque instant l’exigence littéraire (et esthétique) qui n’est plus dans la France contemporaine – ce qui désole quiconque a conscience du caractère profondément littéraire qui fut celui de la France jusqu’au siècle dernier encore. Généreux dans ses admirations (quelques très belles pages sur Flaubert, notamment), c’est toutefois quand il éreinte les fausses gloires de l’époque (Carrère, Darrieussecq, entre autres) que Pierre Mari s’avère le plus jouissif à la lecture – je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour une basse-cour dindesque bien rôtie pour quelques hivers rigoureux…
Il n’y a aucune jalousie, pas plus que de curiosité malsaine ou de méchanceté gratuite à se réjouir des critiques acerbes de Pierre Mari, justement car il réhabilite le travail de critique littéraire (qui, est-il besoin de le rappeler, n’est pas le mien au fil de ces pages), devenu ces dernières décennies copinage à but lucratif ou moralinisateur, hélas. La littérature ne peut être qu’aristocratique, comme l’art, comme la beauté. Rien de plus inégalitaire sur cette basse terre. On admire ce qui nous dépasse et nous transcende, pas le vulgum pecus… À démocratiser la culture, on a tué l’art et la beauté au profit du divertissement abrutissant et de la laideur quotidienne. On a démocratisé (qui peut être contre la démocratie, l’accès à la « culture pour tous »?) au nom des sacro-saints goûts et couleurs, qui voudraient que tout se vaut. Or, si tout se vaut, rien n’a de valeur. L’égalité n’existant qu’en mathématiques ou sur un plan juridique nécessairement discriminatoire et circonstancié, elle n’est jamais une réalité ontologique. L’axiome égalitaire appliqué aux arts et aux lettres est donc fallacieux dès l’origine.
Jules Verne, écrivain cher à mon cœur depuis mon enfance, l’écrivait à sa manière en 1877 à son éditeur Hetzel :
« […] dans l’échelle littéraire, le roman d’aventures est moins haut placé que le roman de mœurs. Balzac est supérieur à Dumas père ne serait-ce que par le genre. […] Je crois que, d’une façon générale et question de forme mise à part, l’étude du cœur humain est plus littéraire que les romans d’aventures. »
Est-ce à dire qu’Alexandre Dumas père est un écrivaillon ? Qu’aucun roman d’aventures littéraire n’a jamais été écrit ? Je ne le crois pas. Il existe simplement une hiérarchie forgée sur l’enclume des siècles, au fil du combat vital pour la beauté et la transcendance (bref, pour les arts : littérature, peinture, musique…) ; hiérarchie que ne saurait remettre en question un quelconque plumitif de Libé ou d’ailleurs décrétant ex nihilo que le slam vaut Verlaine ou mettant sur un même plan Jul et Mozart…
Les colères et admirations de Pierre Mari méritent de s’y attarder et de les méditer. L’écrivain et critique a bien cerné le drame de notre époque, qui n’en finit pas de virer au mélo sirupeux et indigeste. Armé de sa plume du meilleur acier, Mari nous ouvre les yeux, et nous en redemandons !
Philippe Rubempré
Pierre Mari, Contrecœur, éditions La Nouvelle Librairie, novembre 2021, 282p.
Western électrique – Pierre Gillieth
Nous sommes au mitan des années 1990. La scène se dresse au Mirail, célèbre quartier de Toulouse réputé pour sa joie de vivre ensemble et son plaisir de recevoir autrui… Une bagnole hors d’âge, des colleurs d’affiches du FNJ (le Front National de la Jeunesse – mouvement de jeunesse du Front national de Jean-Marie Le Pen) au cœur de la nuit… Achevons de planter le décor avec la bande-son de l’époque, scandant F comme Facho, et N comme Nazi à longueur de manifs, quand elle ne s’égosille pas sur le refrain fédérateur de la « Porcherie » des Bérus, « La jeunesse / Emmerde / Le Front na-tional ! ». La séance de collage d’affiches s’annonce prometteuse, et de fait, la valse avec Bachir est en passe de virer au tango funèbre…
Ainsi s’ouvre Western électrique, roman autobiographique signé Pierre Gillieth. Bertrand, alter-ego de l’auteur, héros et narrateur du roman, est issu de la grande bourgeoisie toulousaine, affilié à la famille Baudis par sa mère. Bien qu’issu d’une famille aimante (et aimée), Bertrand s’éloigne de son milieu d’origine, qu’il en vient à détester, et milite au FNJ. Il file un doux coton avec Sonia, assouvit sa passion du rock dans un groupe (apolitique, on ne mélange pas torchons et serviettes), et débute en parallèle un boulot d’huissier qui l’emmerde (et on le comprend !). En bref, une vie engagée à cent à l’heure en amitié, en amour, en politique et en musique !
À travers ce roman autobiographique, Pierre Gillieth – comme le héros de La Bandera, de Mac Orlan ; si c’est un pseudo, il dénote un goût sûr et racé de l’écrivain question littérature populaire – nous fait revivre la seconde moitié des années 1990, qui voit Le Pen atteindre le score de 15 % aux élections présidentielles de 1995, avec comme conséquences politiques la scission mégrétiste trois ans plus tard et le second tour en 2002, et musicales le désormais classique de Noir Désir « Un jour en France » ou le direct de Mano Solo et des Frères Misères « Il ne suffit pas ». Tout ce qui fait le sel d’un bon roman est présent : la vie, la mort, l’amitié, l’amour, l’apprentissage, la déception, les fidélités et les trahisons, in fine, les splendeurs et misères du militantisme, d’autant plus fortes que le parti est extrême.
Gillieth ne renie rien de son passé ni de ses opinions. Il ne s’offusquerait sans doute pas si, un peu par démagogie et beaucoup par facilité, je le qualifiais de « facho », ce terme galvaudé qui ne sert plus qu’à disqualifier un adversaire politique faute d’être suffisamment intelligent et/ou cultivé pour débattre avec lui. Sans partager ses opinions politiques, j’affirme sans détours que son Western électrique mérite le détour, et notre attention. Il recèle en effet de grandes qualités, dont en voici les principales à mes yeux : sa plume vive, enjouée, précise ; l’empathie naturelle que l’écrivain a su créer avec ses personnages ; un épisode de l’histoire récente raconté d’un point de vue qu’il nous est rarement donné d’écouter ou d’entendre ; et quelques idées reçues justement malmenées… Il est toujours piquant qu’un roman bouscule nos certitudes ; cela signifie qu’au-delà d’un simple divertissement, il change, de manière plus ou moins perceptible, quelque chose en vous. Après tout, qu’est-ce que la Littérature, si ce n’est des romans de grande tenue littéraire qui vous bouleversent à jamais ?
Amateurs de plumes racées et de style, aventuriers littéraires ou chevaliers du fauteuil en quête de témérité, osez Pierre Gillieth ! Quand bien même vous ne vous reconnaissez pas « identitaire », « réac » ou « facho »… Fort heureusement, lire un écrivain (ou un titre de presse) ne rime pas avec approuver ses opinions (même si, et singulièrement à gauche de l’échiquier politico-médiatique, de trop nombreux criminels imbéciles l’oublient trop facilement). On (je) continue bien de lire des ordures de génie comme Aragon ou Sartre, pour ne citer que le côté sinistre du spectre éditorial…
Je laisse (peu ou prou) le mot de la fin au grand Léon Daudet, qui disait en substance, « en matière de Littérature, j’emmerde la politique ! »
Philippe Rubempré
Pierre Gillieth, Western électrique, Auda Isarn, 2020, 153p.