Rééducation nationale – Patrice Jean
Merveilleux et subtil contempteur de l’air du temps, ironiste talentueux, professeur de lettres, Patrice Jean, auteur de l’inénarrable Homme surnuméraire (rue fromentin, 2017), est avec le rabelaisien Olivier Maulin et le voltairien Bruno Lafourcade l’un des écrivains les plus drôles et les plus (im)pertinents de sa génération. Avec Rééducation nationale, paru en juillet dernier, il s’attaque à un mammouth qu’il connaît parfaitement pour le pratiquer au quotidien, l’Éducation nationale.
Dans ce court roman délicieusement ironique, Jean met en scène Bruno Giboire, en reconversion es qualité de professeur de lettres au lycée André Malraux. Néophyte issu de la fonction publique territoriale, Giboire a la foi du charbonnier quant aux théories pédagogiques de Philippe Meirieu, qu’il n’est pas loin de sanctifier. Rééducation nationale est le récit de sa première année d’enseignement.
Patrice Jean nous plonge au cœur d’un système parfaitement décrit, nous offrant une galerie de portraits des plus jouissives, tant sa profondeur et sa justesse jusque dans la caricature font mouche. Du proviseur au prof gauchiste militant en passant par les supposés réacs ou fachos (entendre ceux qui privilégient la transmission des savoirs sur les ateliers pédagogiques et citoyens), la caricature se fond dans la réalité, ainsi avec le récit de l’inspection subie par Giboire, révélatrice d’une dérive pédagogiste de l’enseignement. La citation de l’inspectrice de lettres de Pays de la Loire en exergue du roman atteste de cette confusion inquiétante entre le réel et sa caricature, qui se constate par ailleurs dans le journalisme ou la politique. Tout bascule dans le monde idéal de Bruno Giboire quand il est proposé de vendre la statuette khmer offerte par André Malraux himself lors de l’inauguration du lycée pour financer des ateliers « pédagogiques et citoyens »…
Patrice Jean signe ici un grand roman sur l’Éducation nationale telle qu’elle va, c’est-à-dire de mal en pis, avec les résultats que l’on sait, constatés par toutes les personnes de bonne foi, les classements internationaux et dénoncés depuis vingt ans au moins par des enseignants compétents et dignes de ce nom, à l’instar de Jean-Paul Brighelli (La Fabrique du crétin, JC Gawsewitch Éditeur, 2005 ; La Fabrique du crétin 2 – Vers l’apocalypse scolaire, éditions de l’Archipel, 2022, entre autres). À la fois drôle et inquiétant, Rééducation nationale nous fait prendre conscience, si ce n’était pas déjà le cas, de l’urgence absolue de mettre un terme définitif aux délires pédagogos et de revenir aux fondamentaux, la transmission des savoirs et une école sanctuarisée, protégée des idéologies politiques ou religieuses, une école à-même de former des êtres libres et responsables.
Philippe Rubempré
Patrice Jean, Rééducation nationale, rue fromentin, 2022, 140 p.
Ab hinc… 330
« […] Je m’insurge contre l’abus de langage par lequel, de plus en plus, on en vient à confondre le racisme défini au sens strict et des attitudes normales, légitimes même, et en tout cas inévitables.
Le racisme est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus, de quelque façon qu’on le définisse, l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique. On ne saurait ranger sous la même rubrique, ou imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs.
Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de penser au-dessus de toutes les autres, et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché. Cette incommunicabilité relative n’autorise certes pas à opprimer ou détruire les valeurs qu’on rejette ou leurs représentants, mais maintenues dans ces limites, elle n’a rien de révoltant. Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de communauté se conservent et trouvent dans leurs propres fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement. » – Claude Lévi-Strauss, préface au Regard éloigné, 1983.
Cité in l’excellent Jean Szlamowicz, Les moutons de la pensée. Nouveaux conformismes idéologiques, Les éditions du Cerf, 2022.
Lectures septembre
- Jon Shannow #3 Pierre de sang – David Gemmell
- Giovanna ! Ah ! – Giovanna Casotto
- Le Parti d’Edgar Winger – Patrice Jean
- Giovanissima ! – Giovanna Casotto
- Macadam – Mattias Köping, dessins de Marsault
- Degenerate Housewives #2 ->5 – Rebecca
- Hot Moms # L’intégrale – Rebecca
- Giovanissima #3 – Giovanna Casotto
- Giovanissima #4 – Giovanna Casotto
- Les mondes de Jules Verne. Une odyssée entre rêve et réalité – Jean-Yves Paumier
- Viol d’un couple – Salomon Grundig
- Arthur et Janet. À fleur de peaux – Cornette & Karo
- Blitz – Floc’h & Rivière
- Le souci des plaisirs. Construction d’une érotique solaire – Michel Onfray
- L’invention du désir – Carole Zalberg
- Sexe attitude – Pauline d’Orgel
- L’école des biches – G.Lévis, adaptation J.M. Lo Duca, d’après Ernest Baroche
- Terra incognita #1 Les Survivants – Perrotin / Chamy / Verney
- Contes pervers – Régine Deforges, Gérard Leclaire
- Carré noir sur dames blanches – Alex Varenne
- Minority Report – Philip K. Dick
- Guérilla #3 Le dernier combat – Laurent Obertone
- Ombre & Lumière – Parris Quinn
Ab hinc… 329
« Quand tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir. » – Sénèque