Lectures janvier
- Clés pour le temps présent. Précis inactuel de culture générale – Olivier Milza
- Les derniers chouans – Willy de Spens
- Neo Kinpatsua – Keso
- Sodome et Gomorrhe – Marcel Proust
- Delicate Fantasy 2 – Tohru Nishimaki
- Le samouraï virtuel – Neal Stephenson
- Les Délices du Démon – Nizzoli & Amico
Le Cabinet des Antiques. Les origines de la démocratie contemporaine – Michel De Jaeghere
Paru en novembre 2021 à la veille d’une année électorale potentiellement majeure en France, Le Cabinet des Antiques, sous-titré « Les origines de la démocratie contemporaine », tombe à pic pour remettre quelques pendules à l’heure. Michel De Jaeghere propose une somme de plus de 530 pages hors bibliographe, qui remet complètement en perspective notre démocratie contemporaine au regard de la démocratie athénienne et de la Rome antique, interrogeant avec un regard d’historien des concepts aussi essentiels que ceux de peuple, nationalité, citoyen, intégration, assimilation, ou des phénomènes aussi sensibles que celui de l’immigration, par exemple. Ainsi, le directeur du Figaro Histoire questionne-t-il l’identité de la France et le sens de son projet commun.
Bien qu’il s’agisse avant tout d’une œuvre historique, l’auteur ne se cache pas pour autant derrière une prétendue objectivité impossible à atteindre – il s’en explique d’ailleurs fort bien – et assume amener, dans les deux derniers chapitres, l’eau de ses réflexions et interrogations au moulin du débat historico-philosophico-politique essentiel qu’il aborde et projette sur le devant de la scène. Il sait qu’on le lui reprochera ; ses plus féroces détracteurs seront, il y a fort à parier, ceux-là mêmes qui confondent leur idéologie avec l’objectivité historique. Michel De Jaeghere revendique l’honnêteté intellectuelle à juste titre : d’une part, elle est accessible à l’honnête homme ; d’autre part, elle est franche.
Puisant à de nombreuses sources historiques et contemporaines d’horizons divers, De Jaeghere nourrit un dialogue incessant entre passé et présent, offre un large état des recherches et considérations sur le sujet, n’hésitant pas à exposer les thèses et points de vue avec lesquels il est en désaccord pour les discuter de manière civilisée, au fleuret des arguments. Jamais une attaque ad hominem (ce qui change d’un Gérard Noiriel comparant le juif Zemmour à l’antisémite Drumont dans un ouvrage intitulé Le venin et la plume, éditions La Découverte, 2019 ; ou des historiens réviwokistes). De Jaeghere, historien, journaliste et gentilhomme ; ce n’est pas incompatible.
Il est particulièrement pertinent et stimulant de se plonger dans Le Cabinet des Antiques en cette année présidentielle. Les thèmes de fond qui y sont développés au regard de l’histoire viennent percuter les certitudes établies et susciter notre réflexion. La démocratie est-elle le « pire des régimes à l’exception de tous les autres », selon le mot fameux de Winston Churchill ? Ou bien, plus trivialement, le régime dans lequel quand onze imbéciles font face à dix philosophes, ce sont les premiers qui l’emportent (Jacques Brel) ? Vous vous doutez que la réponse est tout sauf simple, et que Michel De Jaeghere ne livre pas de prêt-à-penser en UberBook… Tout son travail consiste, au contraire, à mettre en relation les faits et l’histoire des idées, de Platon et Aristote à nos jours.
Ouvrage exigeant, Le Cabinet des Antiques n’en reste pas moins une lecture indispensable pour tout citoyen éclairé, par delà les options philosophiques, politiques ou religieuses. Nous le sentons depuis un certain nombre d’années, maintenant, la France n’est plus ce qu’elle a été – hélas, sur la mauvaise pente – en termes de puissance, d’éducation, de richesse, et j’en passe… L’augmentation continuelle et continue de l’abstention aux élections se double de révoltes diverses, de Bonnets Rouges en Gilets Jaunes, de la montée des « extrêmes » aux manifestations des « anti-pass » (lesquels ne se confondent pas avec les anti-vax, même si à des fins électoralistes et bassement politiciennes, gouvernement et médias grand public entretiennent sciemment la confusion en les amalgamant, divisant ainsi pour mieux régner, et nous faisant avaler des anacondas liberticides et injustifiés avec la complicité d’institutions à la botte, qui abandonnent sans vergogne ni trompettes déontologie et honnêteté au profit du calcul cynique des politocards les plus vils). Tous ces faits n’étant que les symptômes d’une dépression profonde qu’on ne veut pas regarder en face car nous en sommes collectivement responsables (certains plus que d’autres, tout de même).
Par delà les querelles politiciennes, la démagogie inhérente au système et la triste farce à laquelle se livrent les candidats déclarés et leurs godillots, Michel De Jaeghere nous invite à nous arrêter, à prendre de la hauteur et le temps de la réflexion au regard du temps long et de notre histoire. Il en va de l’avenir de notre beau pays, la France.
Philippe Rubempré
Michel De Jaeghere, Le Cabinet des Antiques. Les origines de la démocratie contemporaine, Les Belles Lettres, 2021, 572p.
Fort comme une bête, libre comme un dieu, La Furia débarque !
Saluons ici l’arrivée dans vos kiosques et librairies de La Furia, revue d’actualité satirique créée à l’initiative de Laura Magné, Laurent Obertone, Papacito et Marsault. Ce nouveau « mook » se veut satirique et libre, et revendique son droit à l’impertinence et à l’insolence, n’en déplaise aux « ligues de censeurs et autres procéduriers fragiles » cordialement invités à « aller [se] faire mettre ».
Premier numéro de 160 pages avec, outre les signatures des fondateurs, les plumes d’Élisabeth Lévy, de Julien Rochedy, Peno, Stéphane Édouard et bien d’autres. Articles de fond, articles satiriques, bandes-dessinées (Marsault mouille le maillot et invite des jeunes dessinateurs à exercer leur talent), retour en grâce du roman-photo, savoir-vivre, cuisine… Cette nouvelle publication est un véritable tour de force, financée uniquement par ses abonnés (plus de 20 000 avant même la première parution), bien entendu ignorée par les « grands » médias.
Pas de caporalisme à La Furia, chaque plume est singulière et conserve sa personnalité. Seule la qualité du propos compte (pas de censure, en bref). La prime livraison est consacrée à la démocratie, thème d’actualité en cette année de singeries électoralistes. Et pour l’avoir lue de la première à la dernière ligne, je peux attester de la grande qualité du travail (qu’on soit en accord ou pas avec les positions affichées, cela importe peu. Qui se revendique démocrate et est incapable de penser contre lui-même n’est qu’un pantin sans consistance, un faux-derche en diable, un apprenti dictateur à la noix de coco – merci Archibald -, bref, un ersatz de démocrate, un danger pour la démocratie et la liberté – notamment la liberté d’expression).
Je vous invite donc à découvrir cette nouvelle revue poil à gratter qui se revendique de et rappelle en effet le Hara-Kiri de la grande époque de Choron – en version plus droitarde, reconnaissons-le.
La Furia #1, en kiosque et en librairie, 14,90€.
Trois jours et trois nuits. Le grand voyage des écrivains à l’abbaye de Lagrasse
« Refuser l’alliage, refuser l’ambiguïté, c’est refuser la vie, c’est refuser les contradictions qui sont inhérentes au temps, à ce monde, et qui ne se dénouent que dans l’Éternel. »
Gustave Thibon
À l’initiative de l’éditeur Nicolas Diat, par ailleurs préfacier de l’ouvrage, quatorze écrivains d’horizons divers ont été invités à partager trois jours et trois nuits de clôture à l’abbaye de Lagrasse, partageant la vie sobre de service et de prière des moines augustiniens redonnant vie à ce site datant de Charlemagne, fort malmené pendant la Révolution. Le résultat est ce beau livre offrant quatorze réflexions très singulières.
Tous les écrivains invités ne sont pas catholiques, loin de là. Jean-Paul Enthoven est athée de culture juive, Boualem Sansal athée de culture musulmane ; d’autres, à l’instar de Sylvain Tesson ou Pascal Bruckner, ne sont pas croyants ; d’autres, comme l’excellent Sébastien Lapaque, sont eux profondément catholiques. Le récit né de leur séjour à Lagrasse, les uns succédant aux autres, reflète le personnalité et les questionnements essentiels de chaque auteur. Ainsi, on ne sera pas surpris du dialogue incessant entre légèreté mondaine et quête de sens chez Frédéric Beigbeder. Certains, comme Camille Pascal, cultivent leur jardin secret avec une certaine pudeur, ce dernier s’intéressant essentiellement à l’histoire de cette abbaye. D’autres, notamment Simon Liberati, sont plus torturés. Une lecture toujours enrichissante, même si nous pouvons regretter la plume Saint-Germain-des-Prés jusqu’à la caricature d’Enthoven, qui laisse la désagréable impression qu’il s’écoute écrire.
Signalons le texte de Boualem Sansal qui, n’ayant pu se déplacer en raison de la pangolinite aiguë qui nous emmerde depuis deux ans, livre une passionnante réflexion sur le sacré et les religions du Livre.
Nul besoin d’être croyant pour découvrir ce bel ouvrage, globalement très agréable à lire, et qui donne à réfléchir à ce que notre société contemporaine a perdu de plus précieux : le sens du Sacré et du Mystère. Vous ne sortirez pas tout à fait indemne de votre lecture…
Ont participé à cet ouvrage : Pascal Bruckner, Sylvain Tesson, Camille Pascal, Jean-René Van Der Plaetsen, Frédéric Beigbeder, Jean-Paul Enthoven, Jean-Marie Rouart et Xaver Darcos (tous les deux de l’Académie française), Franz-Olivier Giesbert, Sébastien Lapaque, Thibault de Montaigu, Louis-Henri de La Rochefoucauld, Boualem Sansal et Simon Liberati.
Sont présents à chaque instant la communauté des moines augustiniens de Notre-Dame de Lagrasse, emmenés par le Père Emmanuel-Marie Le Fébure du Bus.
Philippe Rubempré
Collectif, Trois jours et trois nuits, préface de Nicolas Diat, postface du Père Emmanuel-Marie Le Fébure du Bus, Fayard/Julliard, 2021, 358 p.
Ab hinc… 315
« On n’apprend pas le latin et le grec pour les parler, pour travailler comme serveur, interprète ou représentant commercial ; on apprend pour connaître directement la civilisation de ces deux peuples, et donc le passé, mais qui est le fondement nécessaire de la civilisation moderne, c’est-à-dire pour être soi-même et se connaître soi-même, de manière consciente. » – Antonio Gramsci