Ab hinc… 209
« Jamais l’humanité n’a réuni tant de puissance à tant de désarroi, tant de soucis et tant de jouets, tant de connaissances et tant d’incertitudes. L’inquiétude et la futilité se partagent nos jours. » – Paul Valéry
Ab hinc… 208
« Toute la duplicité de l’art contemporain est là : revendiquer la nullité, l’insignifiance, le non-sens, viser la nullité alors qu’on est déjà nul. Viser le non-sens alors qu’on est déjà insignifiant. Prétendre à la superficialité en des termes superficiels. » – Jean Baudrillard
Captives de l’île aux pirates – Nicolas Van De Walle
La rivalité entre la duchesse Von Dominax (sic !) et la princesse Irina se disputant le pouvoir sur la Boundarie (re-sic !) sert de prétexte à cette aventure bondage. Une fantaisie en noir et blanc, scénarisée et dessinée par Nicolas Van De Walle, qui fleure bon les vieux films de pirates, le Technicolor en moins, le bondage en plus.
Si le bondage – l’art d’attacher, très érotique – est à l’honneur, il ne s’agit toutefois pas d’une bande-dessinée pornographique. Nul mâle à l’horizon, et si de temps à autre un sein ou une chatte pointent le bout de leur nez entre deux cordes, cela reste bien innocent. Un peu de poésie érotique au sein d’une lutte de pouvoir avec son lot d’espionnes machiavéliques et envoûtantes, une lutte pleine d’humour et de rebondissements dont le scénario n’est pas sans rappeler, dans son échafaudage, les grands classiques de la bande-dessinée d’aventures des glorieuses années 1950 (et un peu 1960) mâtinés de John Willie, parsemées de Gwendoline.
Bref, Captives de l’île aux pirates est un divertissement charmant, coquin et attachant (je sais, elle est facile, celle-là !), sans une once de vulgarité. À ne pas mettre pour autant entre de trop jeunes mains.
Philippe Rubempré
Nicolas Van De Walle, Captives de l’île aux pirates, Éditions Point Image – JVDH, 2007, 80 pages, prix selon bouquiniste.
Ab hinc… 207
« Le pouvoir en France, qu’il soit monarchique ou populaire, a toujours eu le goût des médiocres. L’intelligence y fut toujours redoutée. » – François Mauriac
Vive la France – Michel Audiard
Vive la France, notre histoire revisitée par Michel Audiard.
L’histoire de France revisitée par Audiard ne manque pas de sel ni de bons mots. S’intéressant essentiellement à l’histoire du Vingtième Siècle, depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à la mort du Général, la vision personnelle d’Audiard offre une histoire de France au vitriol, où personne n’est épargné, même si certains ont les faveurs de l’auteur. Ainsi vous ne considérerez plus le Général de Gaulle de la même manière après avoir vu ce documentaire hilarant et irrespectueux. Politiquement incorrect, Audiard n’aurait sans doute pas pu le produire aujourd’hui, personne n’aurait pris le risque de le financer. Si par extraordinaire il l’avait pu… il collectionnerait un procès toutes les trois minutes !
Nostalgique d’un certain savoir-vivre, Audiard moque généreusement Marthe Richard, la manie du sport et le tourisme concentrationnaire. Il raille les hordes de « cocu(e)s » (le terme est employé par Michel Audiard dans son commentaire) beuglant Franco la muerte dans les rues de Paris avant d’aller claquer leur salaire à Benidorm dès l’août venu. Ce documentaire est l’histoire de la fin d’une époque, celle où les bidasses pendant les guerres, « cocus » entre elles, s’en remettaient au GrantHomme, excusez du peu : Joffre, Foch, Pétain, Clémenceau, Blum, Pétain, de Gaulle… non sans contradictions et revirements. Le passage sur la Résistance est un petit chef d’oeuvre où il explique qu’il n’en parlera pas par respect pour ceux qui l’ont vraiment faite, par égard pour ceux qui croient l’avoir faite, et par compassion pour ceux qui en ont seulement entendu parler. Cet épisode prend tout son sens et son piment quand l’image défile sous le commentaire. Ça ne plaira pas à tout le monde ! Cette ère fut assassinée par la fin des maisons closes et la chute de l’empire colonial. Avril 1946 et la propagande en faveur des sports et loisirs sont pour Audiard les vraies raisons de Mai-1968 !
En bref, voici une histoire de France subjective, irrespectueuse, iconoclaste et foutrement drôle ! Audiard a écrit son commentaire avec sa verve des grands jours, et le dit sur un ton j’dis ça, j’dis rien tout à fait plaisant et soulignant le ridicule de nos travers. Toutefois, n’allez pas croire que ce documentaire est anti-France ou repentant, il n’en est rien. Michel Audiard brocarde notre histoire avec gourmandise et affection, à l’image de Frédéric Dard et de son Histoire de France expliquée à Bérurier, quoique dans un style différent. Il est certain qu’Audiard est français jusqu’au bout des ongles et qu’il aime son pays. Sans doute un peu moins ce que les mirlirtaires (j’emprunte le terme à Gérard Oberlé) et les politichiens en ont fait avec le soutien des « cocus »…
Philippe Rubempré
Vive la France, réalisation Michel Audiard, avec la collaboration de Henri Viard, illustrations Siné, France, 1974, 72 min, Noir & Blanc, format 16/9 compatible 4/3, son mono, tout public.