Ab hinc… 230
« Je n’ai rien à voir avec ce système, pas même assez pour m’y opposer. » – Walt Withman
La Révolution buissonnière – François Jonquères
Excellente surprise que ce premier roman signé François Jonquères. La Révolution buissonnière ou le destin de François de Llucia (1752-1794), député de l’Assemblée législative, maire de Perpignan, pourfendeur d’Espagnols et un brin coureur de jupons, fin lettré et fier bretteur, le panache en étendard jusqu’au bout ! Ce roman retrace à la fois son parcours et les grandes étapes de la Révolution française dont il fut l’acteur ou le témoin.
François Jonquères, descendant des Llucia, fait ici son entrée en littérature avec un roman historique, inspiré d’un personnage bien réel, qui est aussi un roman d’aventures. La découverte dans la demeure familiale du journal de Llucia ainsi que sa correspondance, en partie publiée dans divers ouvrages et revues historiques, fournissent à l’auteur une matière première au potentiel formidable. Son art est de la façonner en se jouant des codes de genre sans pour autant brouiller les pistes et perdre son lecteur. Sans non plus s’égarer dans une période maintes fois abordée en littérature. Sa Révolution buissonnière, de la dentelle !
Avec brio et non sans humour, François Jonquères narre la vie romanesque de son fougueux ancêtre, nous rappelant ainsi à chaque page qu’il fut un temps où le mot honneur avait un sens. Son narrateur – lui-même ? – s’autorise ici ou là quelques banderilles bien senties quant à notre monde contemporain, surprenantes autant que rafraichissantes. Il n’hésite pas à rendre explicitement hommage aux écrivains qu’il admire, de Choderlos de Laclos, personnage du roman, à Antoine Blondin.
Au coeur de cette période trouble et fondatrice que fut la Révolution française, le panache et les paradoxes apparents de François de Llucia détonnent ! Semper fidelis, à ses valeurs comme à ses amis. Courageux et peu commun à une heure où la bascule à Charlot du bon docteur Guillotin tourne en trois huit !
Avec ce premier roman, François Jonquères invite à un voyage dans le passé, de Perpignan à la Place de la Révolution, faisant revivre à chaque fois l’esprit des lieux et du temps. Cette invitation à l’Aventure rend hommage aux hommes d’honneur et de lettres, et témoigne d’une manière buissonnière, sans manichéisme ni moraline, de cette Révolution encore régulièrement au coeur de nos débats contemporains. Un régal !
Philippe Rubempré
François Jonquères, La Révolution buissonnière, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 219 pages.
Ab hinc… 229
« Être de gauche ou être de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile. Toutes deux sont en effet une forme d’hémiplégie morale. » – Ortega y Gasset
Adios – Thomas Morales
En plus d’être un romancier talentueux, qui nous a enchanté avec les Mémoires de Joss B., Thomas Morales est un chroniqueur curieux et boulimique de vie. En témoigne Adios, recueil de chroniques publiées dans différents magazines de Causeur à Automobile légende, et sous-titré Éloge du monde d’avant. Qu’il s’intéresse à la littérature, au cinéma, à la télévision, à la musique ou aux belles mécaniques, Thomas Morales nous régale de sa nostalgie joyeuse et érudite, vivante, tendre, parfois féroce, jamais mortifère. Une nostalgie qui s’apprécie « comme ces vins de Loire qui rendent mélancoliques, c’est-à-dire gai et triste. »
Morales remet à l’honneur une époque, des années 1950 au début des années 1980, où être Français n’était ni une gloriole empreinte de chauvinisme, ni une honte repentante, mais un honneur ; une époque où la légèreté et l’insouciance étaient une forme de politesse et de pudeur face aux difficultés de la vie, étalées aujourd’hui sans vergogne à la télévision et sur les réseaux dits sociaux ; une époque où le « vivre ensemble » allait de soi, le populo croisait le rupin dans des villes d’où il n’avait pas encore été chassé par la gauche mondialisée. Le petit peuple n’avait pas encore été sacrifié sur l’autel de la finance et du Saint-Fric globalisé. Il existait au cinéma chez Lautner, par exemple, ou en littérature, chez Malet, autre exemple, lieux dont il a disparu en tant que sujet au profit des pleurnichards narcissiques ou de caricatures qui feront fortune le jour où la connerie et la vulgarité seront remboursées par les assurances sociales.
C’est avec un grand plaisir qu’on dévore les chroniques de Thomas Morales, se disant qu’il est temps de relire René Fallet et Jacques Perret, regrettant qu’Antoine Blondin ne soit plus de ce monde pour faire (re)vivre un Tour de France transformé en partie de cache-cache entre pharmaciens et brigade des stups. La plume de Thomas Morales est à la fois iconographique et musicale. Comment ne pas entendre la voix cassée de Nino Ferrer à la lecture d’Oh ! Eh ! Hein ! Bon…, hommage sobre et émouvant à ce « Ray Charles rital »… Comment ne pas voir défiler planches et phylactères à l’évocation de Pilote, faisant revivre Goscinny, Mai 1968, la naissance de L’Écho des Savanes et de Métal Hurlant ?
Adios rappelle à notre mémoire des temps où nous étions plus libres, un monde disparu où prendre sa voiture était un acte de liberté, pas un crime contre l’humanitarisme vert. Qui a la nostalgie des belles bagnoles se régalera On the Road à bord de Peugeot 403 ou d’AMC Pacer. C’est la magie et l’art de Thomas Morales, nous faire quitter un instant la grisaille quotidienne pour des temps plus jolis… Même si comme le chantait Brassens, « Il est toujours joli / le temps passé »…
Thomas Morales, nostalgique à l’heure de la tabula rasa et fine lame des lettres françaises.
Philippe Rubempré
Thomas Morales, Adios, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 172 pages.
Ab hinc… 228
« L’émancipation de l’individu a pour envers sa soumission toujours plus complète aux injonctions de la mode et aux pulsions consuméristes, et une impuissance collective qui transforme le cours du monde en fatalité et vient, en retour, peser sur les individus. Ainsi, par le règne du libre et « doux commerce », chacun se trouve plongé dans un monde de plus en plus démesuré, enrôlé dans une guerre économique sans trêve, soumis à un darwinisme social où les victimes se multiplient, où croissent à nouveau les tensions et la peur. Les hommes étaient censés avoir pris en main leur destin, et ils n’entendent plus parler que d’exigences d’adaptation. »
Olivier Rey, « La folie des grandeurs ou le règne de l’illimité », entretien avec Gaultier Bès de Berc et Alain de Benoist in Elements n°156, juillet-septembre 2015