Journal d'un caféïnomane insomniaque
mardi novembre 26th 2024

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Ab hinc… 206

« J’ai regardé en bas les soumis qui se hâtaient, les démunis. Certains se bousculaient pour arrêter des taxis. À cette heure de la journée, cela prenait plus longtemps d’aller n’importe où en taxi qu’en métro. Sans doute étaient-ils trop fainéants pour faire à pied les quelques centaines de mètres qui les séparaient de la station. (…) C’est une drôle d’engeance, ces esclaves blancs aux ignobles carrières d’indolence lucrative. Dire qu’ils méritent la mort reviendrait à dénigrer la mort. Et ce serait absurde, de plus, car en un sens ils sont déjà morts… » – Nick Tosches, Moi et le Diable

Coeurs Sourds – Laura Desprein

« C’est pas normal d’être normal« 

coeurs sourds    Écrire sur l’adolescence sans mièvrerie est une gageure que peu d’écrivains ont su relever avec brio. Le théâtre offrant par sa forme dialoguée la possibilité de la suggestion permet de faire ressentir au lecteur/spectateur ces questionnements et états d’âme par lesquels il transite ou est passé. Avec Coeurs Sourds, Laura Desprein, auteur dont nous apprécions particulièrement l’univers et la plume (et que nous suivons avec plaisir) a su transmettre cette quintessence bordélique et contrastée de l’adolescence.

Un groupe de cinq adolescents âgés de 15 à 18 ans, même lycée, se retrouvent, se croisent et s’entrecroisent dans une friche mal définie leur servant de repaire. De leurs échanges vifs, émus, coléreux, blasés, joyeux, de ces discussions se profile la quête du Moi, ce besoin de « se poser en s’opposant » comme le dirait Sartre. Tout l’art de Laura Desprein est d’avoir su incarner cet âge ingrat, sans théorie pompeuse ni leçon de morale, mais de la plus noble des manières, avec le coeur. Cette sincérité transpire à la lecture. Les souvenirs et les réminiscences de cette période si étrange, souvent difficile, et que pourtant on ne peut s’empêcher, parfois, de regretter, remontent à la surface, nous rappelant le chemin de vie qui nous a fait adulte. Et modulant notre regard de « vieux » sur cette faune incomprise attachante et souvent insupportable, les adolescents.

Coeurs Sourds des amours perdues avant d’être gagnées, des oscillations de l’âme, des préjugés, de la quête de soi… Coeurs Sourds est aussi une belle incarnation de l’amitié, vertu cardinale de toute personne honnête. Le propos de la pièce est intemporel et pourtant singulier dans sa puissance d’évocation. Cette pièce dégage une force de vie bienvenue en ces temps médiocres.

Philippe Rubempré

Laura Desprein, Coeurs Sourds, L’Atelier du Grand Tétras, 2015, 72 pages, 13 euros.

Lectures mars

  1. Les Tuniques Bleues – Blue Retro – Lambil & Cauvin
  2. Les Tuniques Bleues – Grumbler et fils – Lambil & Cauvin
  3. Les Tuniques Bleues – Vertes années – Lambil & Cauvin
  4. Les Tuniques Bleues – L’oreille de Lincoln – Lambil & Cauvin
  5. Les Tuniques Bleues – Émeutes à New-York – Lambil & Cauvin
  6. Les Tuniques Bleues – Mariage à Fort Bow – Lambil & Cauvin
  7. Bérurier au sérail – Frédéric Dard
  8. Les voyageurs de l’Histoire : Louis XIV – Pierre Decomble et Rosemonde Haurez
  9. Curiosa, la bibliothèque érotique – Alessandro Bertolotti
  10. Le Livre d’Or de la Poésie française – Pierre Seghers
  11. Démolition avant travaux – Philippe Meyer
  12. J’ai vu mourir Fargo – Roger Vilard
  13. Brouillard – Jean-Claude Pirotte
  14. Un poulet chez les spectres – Ed McBain

Ab hinc… 205

« La France, je l’aime comme si elle n’était pas ma patrie.

Nuance, les pauvres d’esprit !

Eh ! les chauvins ! pas de gourance, je vous en prie.

Moi, je n’aime pas ma patrie, j’aime la France. »

Georges Brassens

Petite histoire de l’Érotisme dans la BD – Henri Filippini

pte hist erotisme bd    Publiée en 1988, oeuvre d’un érudit en la matière, Henri Filippini, bien connu des bédéphiles érotomanes ou non, cette Petite histoire de l’Érotisme dans la BD retrace l’aventure éditoriale de la BD pour adultes des sages débuts d’avant-guerre aux polissonnes années 1980, de la clandestinité des Tijuana bibles à l’audace d’Alex Varenne ou de Serpieri.

Auteur plus tard d’un dictionnaire de la BD érotique de référence publié par La Musardine et régulièrement réédité avec mise à jour, Henri Filippini offre un propos clair et agréable à lire sans sacrifier l’exigence intellectuelle. Richement illustré, et pour cause, ce précis s’avère être une histoire raisonnée et critique de l’érotisme en bande-dessinée, véritable nomenclature d’auteurs, oeuvres et publications consacrés à la licence dans le neuvième art. Une très belle manière de découvrir ou redécouvrir nombre de dessinateurs talentueux, quoique catalogués sulfureux par les âmes prudes, et une production qui, si elle n’est pas épargnée par le bas de gamme et le « commercial », se révèle souvent soignée. Les techniques utilisées sont variées, du noir et blanc parfaitement maitrisé par Magnus à l’hyper-réalisme d’un JC Clayes. Contrairement à une idée reçue, les scénarii sont la plupart du temps travaillés (à l’exception de la production masturbatoire destinée aux sex-shops) comme l’illustre remarquablement Marie-Gabrielle de Sainte-Eutrope de Georges Pichard.

Cette Petite histoire de l’Érotisme dans la BD est aussi un ouvrage politique au sens noble du terme. Dédié par Henri Filippini « à la liberté d’expression« , il s’ouvre sur une préface aux petits oignons signée par l’immense Georges Pichard, maître français au trait unique. Ce texte qui revendique la liberté d’expression, de création et de lecture démontre avec humeur et humour qu’en la matière, l’État comme les religions, la morale ou la protection de l’enfance ne sont que des prétextes à censure imposés par une autorité prétendument légitime au nom du Bien. Le libre-arbitre de l’individu est de fait complètement nié. L’Empire du Bien sait ce qui est bon ou non pour vous, il le sait mieux que vous et vous l’imposera malgré vous si ce n’est contre vous. C’est sans doute plus relatif aujourd’hui pour l’érotisme, mais d’une actualité Ô combien criante pour d’autres plaisirs terrestres tels que le tabac ou l’alcool, néfaste pour la santé comme chacun le sait, mais pas autant que la connerie de ceux qui veulent les prohiber. Vivre tue. Heureusement pour ces derniers qu’ils l’ignorent, ils en mourraient.

Pour en revenir à nos pin-ups et comme le disait le regretté Jean-Jacques Pauvert, « le censeur est au fond celui qui ne croit ni aux hommes, ni à l’éducation, ni surtout à lui-même. » Il en est de même pour l’hygiéniste moralisateur de l’Empire du Bien.

Philippe Rubempré

Henri Filippini, Petite histoire de l’Érotisme dans la BD, Yes Company, 1988, 129 p., prix selon bouquiniste

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