Journal d'un caféïnomane insomniaque
dimanche septembre 14th 2025

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La langue des médias – Ingrid Riocreux

langue-des-medias    Avec La langue des médias, essai justement sous-titré Destruction du langage et fabrication du consentement, Ingrid Riocreux pratique l’autopsie de l’information telle que véhiculée par les médias, c’est-à-dire partiale et partielle, emprunte de propagande (sens contemporain) et d’idéologie dans les médias dits officiels comme dans ceux de la « réinfosphère », prompts à réutiliser les méthodes reprochées aux précédents.

Je ne reviens pas sur la destruction du langage : il vous suffit d’ouvrir les oreilles en écoutant la radio ou la télévision. Et, mea culpa, je ne m’exonère pas d’une involontaire mais probable participation : une relecture attentive des mes chroniques publiées depuis six années maintenant témoignerait sans doute ici ou là un manque de relecture ou  un relâchement de la syntaxe… parfois volontaire, parfois pas vu…

Ce dont nous nous doutions et qui là est démontré, exemples nombreux et variés à l’appui, est la manipulation de l’information à des fins idéologiques ou moralisatrices. La restitution prétendument objective des faits (notamment par France Info, véritable cas d’école abondamment cité) se révèle à y regarder plus attentivement largement subjective dans le ton, le choix des termes employés, la manière d’exprimer les faits… ou d’en passer sous silence tout ou partie. À écrire ces lignes, il me semble savoir cela plus ou moins consciemment depuis mes études d’histoire, au cours desquelles j’ai appris à interroger les sources avec un regard critique et à les vérifier. Ce que nous apprend Ingrid Riocreux, c’est que le Journaliste (avec une majuscule, stéréotype de la profession) est le plus souvent sincère quand il prétend être objectif. Sincère et manipulé. N’ayant pas appris la rhétorique, il soutient l’idéologie (ou la pensée) dominante – quelle que soit celle-ci par ailleurs – avec la foi du charbonnier, comme si elle était vérité vraie, objective, incontestable (cf les débats sur le mariage pour tous, le droit à l’IVG, l’accueil des « migrants »… liste non-exhaustive). Ce qui n’est pas sans poser un léger, oh, tout léger problème dans un pays qui se veut démocratique, c’est-à-dire où les citoyens sont supposés voter en toute connaissance de cause. Destruction de l’école et abandon des humanités, destruction du langage et fabrication du consentement (à grands renforts de deux poids, deux mesures, et d’indignations sélectives) forment un coquetèle qui ressemble de plus en plus au cercueil de la démocratie. Le risque est parfaitement décrit par Ingrid Riocreux :

« On a coutume de dire que l’ascenseur social est en panne. Cela signifie que la démocratie est morte, qu’elle a dégénéré en oligarchie. Ceux qui ont le pouvoir le gardent ; ceux qui ne l’ont pas n’ont aucun espoir de l’acquérir. Sous prétexte de tendre la main aux seconds,les premiers leur vendent des entraves séduisantes : à travers les médias serviles, une information « de qualité », à travers une école délétère, une éducation « d’excellence ».« 

Et de conclure que « l’illettrisme entraine la violence, et la sécurité appelle la tyrannie. Le système qui, par son oeuvre éducatrice (scolaire et médiatique), se targuait d’engendrer des personnes libres et responsables, pétries des idéaux les plus nobles, s’écroulera donc sous les coups de ce qu’il a lui-même produit, en réalité : un gibier de dictature.« 

L’essai d’Ingrid Riocreux est particulièrement intéressant par la mesure, la justesse et la lucidité de son propos, ainsi que par l’équilibre idéologique et politique des exemples choisis à l’appui de sa démonstration. À l’encontre de toute forme de complotisme comme de complaisance, l’auteur éclaire ce qui pourrait n’être qu’une regrettable déformation professionnelle du Journaliste ; lequel, dûment averti pourrait y remédier, ou du moins essayer. Le Journaliste ne le fera pas, c’est hélas plus que probable. Il préfèrera sans doute hurler au complot, au populisme ou à je ne sais quoi de discréditant pour un discours auquel il n’est pas en mesure de répondre de manière argumentée. Ceux qui se laisseront aller à cette bassesse d’esprit et de comportement, en plus d’illustrer le propos de cet essai, dévoileront leur vrai visage, indigne d’Albert Londres, portant les stigmates d’une insignifiance mâtinée de crédulité militante. Reste au citoyen à s’emparer du travail d’Ingrid Riocreux et exercer son libre-arbitre quant aux informations dont on l’abreuve à longueur de temps.

Philippe Rubempré

Ingrid Riocreux, La langue des médias. Destruction du langage et fabrication du consentement, L’Artilleur, 2016, 333 p.

Ab hinc… 227

« Ce sont les démocrates qui font les Démocraties, c’est le citoyen qui fait la République. Une Démocratie sans démocrates, une République sans citoyens, c’est déjà une dictature, c’est la dictature de l’intrigue et de la corruption. La Liberté de ne sera pas sauvée par les institutions (…).

Qui ne défend la liberté de penser que pour soi-même, en effet, est déjà disposé à la trahir. Il ne s’agit pas de savoir si cette liberté rend les hommes heureux, ou si même elle les rend moraux. Il ne s’agit pas de savoir si elle favorise le mal plutôt que le bien (…). Il me suffit qu’elle rende l’homme plus homme, plus digne de sa redoutable vocation d’homme, de sa vocation selon la nature, mais aussi de sa vocation surnaturelle (…). » – Georges Bernanos, La France contre les robots, Le Livre de Poche, 1970, pp. 28-28 (pour avoir la citation intégrale)

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Lectures – septembre

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  1. Le monde du bout du monde – Luis Sepulveda
  2. Exorcismes spirituels III – Philippe Muray
  3. Désintégration française – Dimitri Casali
  4. Maisons de famille – Denis Tillinac
  5. Un homme juste (nouvelles américaines – 1) – Vladimir Volkoff
  6. Qui veut la peau de Vénus ? – Bruno Nassim Aboudrar
  7. Le dernier amour d’Attila Kiss – Julia Kerninon
  8. L’horreur de Dunwich – H.P. Lovecraft
  9. Le caniveau sans lune – Sokal

Ab hinc… 226

« Plus l’homme entre dans le génie de sa patrie, mieux il concourt à l’harmonie du globe ; il apprend à connaitre cette patrie, et dans sa valeur propre, et dans sa valeur relative, comme une note du grand concert, il s’y associe par elle, en elle il aime le monde. La patrie est l’initiation nécessaire à l’universelle patrie. » – Jules Michelet, Le Peuple

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L’âme française – Denis Tillinac

ame-franc%cc%a7aise    Denis Tillinac ne manque pas de panache, son essai traitant du bonheur d’être réac en atteste s’il en est besoin. Sa définition de L’âme française n’en manque pas non plus : littéraire, aventureuse, désinvolte, galante, mettant l’honneur et l’amitié au-dessus de tout… Tillinac signe un nouvel essai enlevé, qui se lit comme un roman. Sa lecture nous laisse un sentiment de joie mêlée de fierté et d’enthousiasme ; elle nous pousse à aller de l’avant, non au service de je ne sais quelle idéologie (ou parti), plutôt une incitation à mieux se connaître pour mieux se dépasser. Invitation lancée au lecteur et à la France.

Désireux de « peindre une belle inconnue qui s’éveille d’une longue somnolence : la sensibilité de la droite française. Ses figures symboliques, ses paysages mentaux, ses lieux de pèlerinage, en somme sa raison d’être et son honneur« , Denis Tillinac rend justice à cette âme trop souvent réduite par la gauche politique, sociétale et médiatique à un ersatz de passéisme intolérant. Évidemment, la liberté de l’individu plutôt que l’embrigadement du collectif, l’aventure plutôt que la société du « care » (l’expression est de Martine Aubry, c’est dire si elle est riche de promesses joyeuses), la conscience de la nature humaine plutôt que l’illusion de la changer (qui a conduit au pire, de la Terreur au totalitarismes), le réel plutôt que l’idéologie, l’honneur plutôt que la moraline… on comprend la gêne d’une gauche tabula rasa, de ce fait incapable d’entendre, à défaut de comprendre, qu’on puisse penser différemment, que le Progrès comme religion universelle et sens unique de l’histoire puisse ne pas faire l’unanimité. La gauche ne doute pas, l’idée de la possibilité d’un cul-de-sac ne l’effleure pas, même quand elle se prend le réel dans la figure comme un poing dans le plexus. La soit-disant droite politique actuelle n’est pas en reste, toujours à la remorque d’une gauche qui a su intelligemment et avec succès (soyons beau joueur) mettre en application les idées d’Antonio Gramsci (avec mention très bien quant au langage). Tillinac l’explique et le démontre très bien : être de droite ne rime pas (nécessairement) avec voter à droite. Autrement dit, selon sa conception, des gens de droite peuvent voter à gauche, sans même savoir qu’ils sont de droite. Tillinac démontre aussi à merveille que la gauche « n’a pas le monopole du coeur » comme le dirait un ancien Président de la République classé au centre-droit, en réalité libéral-libertaire tendance pro-business et désaffiliation, donc pas de droite.

La droite est multiple, René Rémond l’a magistralement exposé (Les droites en France, Aubier-Montaigne, 1982 (1954)). Tillinac en montre la diversité par ses lieux de mémoire et de pèlerinage, de la crypte de Saint-Denis à Colombey en passant par Combourg. Magie des lieux, en quelque sorte… On est cependant d’autant plus touché qu’il s’attache aux héros littéraires (les Trois Mousquetaires, Cyrano…), réels (Mermoz, Guynemer…) ou cumulards (Chateaubriand). In fine se dégagent des « valeurs » telles que l’esprit chevaleresque, l’honneur, la liberté, la désinvolture, l’aventure, le panache, l’héritage ou l’altérité (que Tillinac baptise joliment « éternel féminin« ), qui dressent un portrait idéal, à la fois imaginaire et réel, de l’homme de droite tel qu’il peut se fantasmer et s’y reconnaitre…

Bien plus qu’un éloge de la droite, L’âme française est une déclaration d’amour à la France, à son essence, à sa littérature, ses lieux magiques et ses paysages sublimes, à son savoir-vivre et son esprit. Tout est bon en France, jusque dans nos contradictions de Gaulois bagarreurs et ripailleurs chers à Goscinny et Uderzo. L’âme française ne manque pas de panache ni de profondeur !

Philippe Rubempré

Denis Tillinac, L’âme française, Albin Michel, 2016, 246 p., 18,90€

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