Baden-Powell – Philippe Maxence
Il faut saluer ici le merveilleux travail de Philippe Maxence : sa biographie de Baden-Powell incarne le fondateur du scoutisme avec brio, lui rendant un hommage vierge de toute forme d’obséquiosité ou de flagornerie. C’est un Baden-Powell vivant qui se dévoile sous la plume de l’écrivain.
Maxence retrace le parcours singulier du chef de tous les scouts, un parcours forgé par un contexte familial aimant mais complexe, marqué par les décès, notamment ceux du frère préféré de Robert Stephenson Smyth Baden-Powell, Auguste, et de son père, alors qu’il n’était âgé que de trois ans. Henriette-Grâce, sa mère, aura une influence déterminante sur BP, et ce jusqu’à sa mort. Les études ne sont pas le fort du jeune Robert, mais au collège de Charterhouse, il croise un maître, Haig-Brown, qui devient son ami, lui qui a compris qu’un enfant ne se résume pas à un carnet de notes.
Maxence revient ensuite longuement sur la carrière militaire de Baden-Powell, si déterminante dans la création future du scoutisme. De l’Inde à l’Afrique du Sud en passant par Malte, tout un pan de l’histoire de l’Empire britannique défile au gré des affectations et des guerres de Baden-Powell, où il déploie ses talents de comédien, chanteur, musicien, où sa ruse, son sens de l’observation et de la dissimulation seront de précieux compagnons.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la création du scoutisme, à ses débuts en fanfare qui deviennent rapidement erratiques, ses difficultés, ses querelles, ses succès, ses joies et ses amitiés indéfectibles, son extraordinaire développement à l’échelle de la planète. Philippe Maxence n’élude aucune question : des influences aux dissidences, des maladresses aux prouesses, c’est l’oeuvre d’une vie qui s’écrit, intrinsèquement mêlée à celle de la famille de Baden-Powell et à sa carrière militaire.
Il faut remarquer la richesse de la bibliographie et des annexes proposées, entre cartes, articles, biographies… Philippe Maxence enrichit sa biographie utilement, et les annexes seront lues avec profit… et j’ajoute plaisir.
Cette biographie tient à la fois du livre d’histoire, du roman d’aventures et du récit initiatique. Elle se lit d’ailleurs comme le meilleur des polars, et est composée par une plume agile, fluide et exigeante, Maxence faisant montre d’un réel talent pour la narration. Mais c’est surtout le portrait d’un homme avec ses forces et ses faiblesses, ses influences (Kipling, Conan Doyle…), ses admirations (John Dunn…), ses amitiés (Winston Churchill, Frederick Russell Burnham, McLaren…), qui a su se dépasser pour le plus honorable des services, essayer de rendre le monde un peu meilleur, en donnant de l’espoir et en montrant, par l’exemple de sa vie, que chacun d’entre nous peut y apporter sa pierre, aussi modeste soit-elle.
Philippe Rubempré
Philippe Maxence, Baden-Powell, Tempus, 2016, 500 pages.
Ab hinc… 257
« Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour des vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. » – Molière, Dom Juan, V, 2.
Ab hinc… 256
« Rien, il n’y a plus rien, les mots s’enfuient
Je ne rattrape plus les étoiles dans la nuit
Les pages restent vides sans mon ennui
La lassitude a tué mes envies
Je meurs, je vais m’écraser sur le sol
Et mourir simplement, comme un homme
Il aura été bien inutile, mon vol
Comme une vie noyée dans du rhum
Tout est éphémère c’est la grande loi
Rien n’y résiste, pas même les rois
La plus grande poésie est un souffle
Que l’oiseau transporte quand il souffre. »
Pont de Veyle, Expressions pervers
Ab hinc… 255
« Apprendre à penser, à réfléchir, à être précis, à peser les termes de son discours, à échanger les concepts, à écouter l’autre, c’est être capable de dialoguer, c’est le seul moyen d’endiguer la violence effrayante qui monte autour de nous. La parole est le rempart contre la bestialité. Quand on ne sait pas, quand on ne peut pas s’exprimer, quand on ne manie que de vagues approximations, comme beaucoup de jeunes de nos jours, quand la parole n’est pas suffisante pour être entendue, pas assez élaborée parce que la pensée est confuse et embrouillée, il ne reste que les poings, les coups, la violence fruste, stupide, aveugle. » – Jacqueline de Romilly
Ab hinc… 254
« Vous défiliez, les poings serrés, levés. J’allais au café. Je vous regardais traîner des pieds sous les banderoles, d’un pas lourd (la théorie n’incite guère au sprint). Des 10/18 amochés dépassait de la poche de vos duffle-coats. Vous aviez lu Marx, Lénine, Marcuse, ces noms qui ne disent plus grand-chose à personne. J’avais autre chose à faire. Je préférais boire à votre santé un whisky tassé, sans glace pour une fois, fidèlement, à l’écossaise. Vous en auriez eu bien besoin. Vous vous y êtes mis, depuis, avec un métro de retard, comme toujours. Pour nous, le whisky était le supplément indispensable, un accessoire de la panoplie, un cadeau qui n’attendait pas Noël. C’était un truc, nous en parlions tout le temps. Le whisky était la pour la couleur, le clin d’oeil. C’était presque de la récitation, un morceau d’anthologie. Chez quel auteur suis-je quand je trempe mes lèvres délicates dans ce verre où tintent les glaçons ? Frank ? Fitzgerald ? Drieu ? Blondin ? On était entre nous, de la bonne compagnie, du personnel choisi, trié sur le volet, d’un commerce exquis, stylé. Ce liquide ambré convenait aux intérieurs l’hiver, aux feux de cheminée, aux rues tranquilles du VIIe arrondissement où il ne se passe jamais rien – le VIIe, c’est le dimanche des arrondissements. » – Eric Neuhoff, Un Triomphe.