Journal d'un caféïnomane insomniaque
mardi avril 23rd 2024

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Ab hinc… 359

Capture d’écran fr.news.yahoo.com, consulté le 30/01/2024

« La technique procure ce qu’il faut. La technologie procure ce dont on ignore avoir besoin. » – Sylvain Tesson

Kafka au candy-shop – Patrice Jean

Cette chronique a été revue et corrigée le 30 janvier 2024.

À l’heure de la ridicule et vaine polémique quant au choix de Sylvain Tesson comme parrain de l’édition 2024 du Printemps des Poètes, fruit de la veulerie, de l’inculture et de la lâcheté de ses signataires, paraît aux éditions Léo Scheer, dans la collection « Chez Naulleau », un salutaire essai signé Patrice Jean, répondant au titre étrange de Kafka au candy-shop, et sous-titré « La littérature face au militantisme ».

Mêlant avec brio humour, autobiographie et érudition, Patrice Jean défend une littérature du moi profond contre une littérature du moi social. Selon lui, la littérature ne peut – et ne doit surtout pas – être morale. Une bonne littérature heurte le lecteur ; elle le violente :

« Il faut vivre avec le mal, l’apprivoiser, le taquiner, le frapper, le circonscrire, mais ne pas se croire épargné par lui ni hors de ses griffes, et encore moins, petit soldat du bien, persécuter les autres au nom de cette position qu’on s’octroie arbitrairement en posant une couronne de vertu sur son propre chef. Vivre avec le mal, le dévoiler, pénétrer dans sa grotte, c’est la mission de la littérature [je souligne]. L’une de ses missions. Elle nous apprend à percevoir le mal dans les autres et en soi, elle le met en scène, le débusque sous ses masques de vertu. »

Patrice Jean, op. cit., pp. 20-21.

Le lecteur ne saurait sortir indemne d’un texte de littérature : la littérature est cet art de l’écrit qui métamorphose son lecteur, lequel n’est pas tout à fait le même une fois le livre refermé.

Proust contre « Sainte-Bave », pour reprendre le mot de Victor Hugo (ainsi surnommait-il le critique Sainte-Beuve, auteur des Causeries du lundi, accessoirement amant d’Adèle Foucher, son épouse). La littérature contre l’enquête policière. L’aventure contre la leçon. Nous regrettons avec Patrice Jean que les romans vantés aujourd’hui par les médias de grands chemins et les éditions ayant pignon sur rue ne soient trop souvent que moraline de papier et anathèmes grimés en vague romanesque. Il n’y a aucun risque à être dans l’air du temps et à dézinguer les tabous de l’époque. Tous ces écrivants décrits rebelles, courageux, engagés, ne sont en réalité, dans la majorité des cas, que des « mutins de Panurge » et des « rebellocrates » (Philippe Muray). Pour le dire autrement, littérature et militantisme ne font pas bon ménage.

Pour en être convaincu, lisez Kafka au candy-shop – et en passant, les romans de Patrice Jean, notamment L’Homme surnuméraire et Rééducation nationale (rue fromentin, respectivement 2017 et 2022), qui illustrent ce travers de notre temps en le brocardant joyeusement. Et lisez aussi Tesson, ne serait-ce que pour emmerder les pétitionnaires et autres apprentis censeurs à la noix de coco. Il n’est pas impossible que vous preniez plaisir à (re)découvrir cet écrivain-voyageur… En tout cas, Patrice Jean comme Sylvain Tesson sont deux écrivains de littérature dans la France du XXIème siècle. Je n’en dirais pas autant d’autres gloires contemporaines de l’édition que seul un résidu de charité chrétienne m’interdit de citer.

Philippe Rubempré

Patrice Jean, Kafka au candy-shop, Éditions Léo Scheer, collection « Chez Naulleau », janvier 2024, 157 p.

Ab hinc… 358

« Je ne crois plus à rien, je n’estime plus rien, je me contente d’avoir été la dupe, sans m’en repentir, de deux ou trois idées, la liberté, la fidélité, l’honneur. » – François-René de Chateaubriand

Les Nobles Voyageurs – Christopher Gérard

Si vous désirez visiter la capitale de la Belgique – cette vue de l’esprit, ainsi que l’affirmait avec malice Jacques Brel, taquin –, ne cherchez pas de guide chez Michelin ou à l’office de tourisme, comme il est d’usage dorénavant de baptiser les syndicats d’initiatives. Précipitez-vous Aux Armes de Bruxelles (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), vénérable brasserie de la ville et chant d’amour envoûtant signé Christopher Gérard.

En ces temps sinistres où la figure du père est tant sur la sellette, lisez Le Prince d’Aquitaine (Pierre-Guillaume de Roux, 2018), roman consacré par Christopher Gérard à son père, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fut pas exactement un père modèle. Un roman rare, sur lequel il faudra que je revienne, à mettre au panthéon des grands romans sur la figure paternelle, aux côtés du Grand Santini de Pat Conroy, du Professeur d’histoire de Vladimir Volkoff ou du Nain Jaune de Pascal Jardin.

Nostalgique des sagesses antiques et païennes, initiez-vous en compagnie d’Oribase en partageant Le Songe d’Empédocle (L’Âge d’Homme, 2003), de Brocéliande à Delphes en passant par Rome et les rives du Gange, le voyage mérite assurément le détour.

Essayiste, romancier, âme de feue la revue Antaïos et animateur du blogue littéraire Archaïon, Christopher Gérard est une plume qui compte pour qui Aime Lire à l’heure des foires aux livres bisannuelles pompeusement dénommées « rentrées littéraires ». Vous le lirez dans diverses publications, dont l’excellent Service littéraire, l’érudite et iconoclaste revue Livr’Arbitres ou encore Causeur. En 2013, Gérard a publié un recueil de portraits d’écrivains intitulé Quolibets. En 2023, les Éditions de la Nouvelle Librairie font paraître Les Nobles Voyageurs, journal de lectures de Christopher Gérard qui constitue une version (considérablement) enrichie de son ouvrage de la décennie précédente.

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La première chose qui m’a interpellé à la lecture est que ces Nobles Voyageurs sont une invitation au voyage. Êtes-vous prêt à embarquer ?

Comme une encyclopédie, les entrées sont classées par ordre alphabétique. Christopher Gérard y cisèle les portraits de ses écrivains choisis, toujours fidèles en amitiés littéraires, par-delà les polémiques parasites et vaines (Matzneff, par exemple, dont l’affaire éponyme révèle la profonde hypocrisie germanopratine), quitte à choquer les lombrics qui confondent littérature et moraline. Ainsi, cent vingt-deux princes de lettres sont honorés, de Jean-Claude Albert-Weil à Paul Willems, tous réfractaires, pour reprendre le terme de Bruno de Cessole, certains connus, d’autres plus buissonniers. La Belgique est bien entendu représentée (Baronian, De Decker, Pol Vandromme…) ; l’Europe orientale également, grâce à la fréquentation de Vladimir Dimitrijevic (1934-2011), fondateur et âme des éditions L’Âge d’Homme.

Christopher Gérard insuffle une irrésistible envie de se frotter aux écrivains qu’il dépeint d’une plume lumineuse. Les Nobles Voyageurs sont un recueil qui se lit comme un roman, et auquel on retourne comme à un bréviaire ; un bréviaire pour lecteurs insoumis, tels que le regretté Dominique Venner le concevait : « Être insoumis […] cela signifie être à soi-même sa propre norme par fidélité à une norme supérieure. S’en tenir à soi devant le néant. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre le monde à dos que se mettre à plat ventre. » Christopher Gérard appartient à cette aristocratie, cette race de seigneurs.

Enfin, saluons ici le chroniqueur qui met à l’honneur tant d’écrivains de qualité qui n’ont pas (toujours) l’aura qu’ils méritent dans cette foire à l’encan qu’est devenu le paysage éditorial franco-belge. Certains sont chers à mon cœur, et la lecture des Nobles Voyageurs saura vous convaincre de (re)découvrir, entre autres, Juan Asensio, Arnaud Bordes, François Cérésa, Bruno de Cessole, Luc Dellisse, Ghislain de Diesbach, Guy Dupré, Bruno Favrit, Pierric Guittaut, Patrice Jean, Bruno Lafourcade, Sébastien Lapaque, Érik L’homme, Olivier Maulin, Thomas Morales, Gérard Oberlé, Roger Scuton et j’en passe. Quant aux autres, il me tarde de les relire sous un jour nouveau ou de les explorer.

Philippe Rubempré

Christopher Gérard, Les Nobles Voyageurs, éditions La Nouvelle Librairie, 2023, 465 p.

Ab hinc… 357

« J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. » – Benjamin Constant

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