Ab hinc… 326
« La vie est un combat / le métier d’homme est un rude métier. / Ceux qui vivent sont ceux qui se battent.
Il faut savoir / que rien n’est sûr, / que rien n’est facile, / que rien n’est donné, / que rien n’est gratuit. / Tout se conquiert, tout se mérite. / Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu. » – Hélie de Saint-Marc, Que dire à un jeune de vingt ans
Leur jeunesse – Bruno Lafourcade
Bruno Lafourcade est un écrivain que nous défendons dans ces pages. Il a été professeur de lettres – histoire en CFA, enseignant donc à des élèves passant un baccalauréat professionnel en alternance. Leur jeunesse est son journal, en écho à Notre jeunesse de Charles Péguy, que Lafourcade cite en exergue :
« Nous sommes les derniers. Presque les avant-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge, un tout autre monde. »
Leur jeunesse, sous-titré « Journal d’un professeur », dévoile une réalité de l’enseignement professionnel en centre de formation pour les apprentis – CFA (les choses sont légèrement différentes en lycée professionnel, quoique les grandes lignes soient hélas identiques) : l’administration y apparaît veule et obnubilée par des impératifs de communication (numérique…) ; les élèves, incultes, souvent illettrés (mais pas analphabètes), curieux selon toutes les acceptions du mot, usant d’un langage plus qu’appauvri… ; et enfin, une galerie de profs qui ne sont pas piqués des vers… On est soulagé de constater qu’il reste des gens qui y croient encore (ou du moins, qui ne courbent pas l’échine) et qui essayent d’instruire leurs élèves contre vents administratifs et marées pédagogistes. Cependant, dans l’ensemble, le constat est désespérant – et recoupe notre expérience du lycée professionnel.
Des générations de jeunes sacrifiées à la sacro-sainte mondialisation « heureuse » (forcément heureuse, puisque Alain Minc, fin analyste de la France et de son destin politique – il soutenait Pécresse aux derniers comices politiciens – vous le dit!) et au néolibéralisme financier, avec la complicité des pédagogos, de Meirieu en Dubet. Instruire, transmettre, appartenir, Être sont devenus des agressions, presque des crimes. Il faut encadrer le « jeune » pour qu’il construise lui-même son savoir. À partir de quoi ? Bonne question, et accessoirement, tant pis pour les milieux défavorisés économiquement et culturellement. Le par cœur ? Inutile, y a Internet…
Foutaises que tout cela ! C’est une inversion de l’éducation et de l’instruction : on ne vise plus à élever le jeune (l’élève : nomen omen) pour qu’il devienne un être libre et responsable ; non, désormais, il s’agit d’empêcher, d’interdire au jeune de devenir libre : il doit devenir un consommateur ignare, liquide, sans consistance, soumis, éternel cocu d’élections Potemkine, pareil à ses semblables, parfaitement interchangeable avec les milliards d’humains métamorphosés en gouttes d’eau dans l’océan du cynisme globalisé, mercantile et utilitariste en marche. En matière d’éducation et d’instruction, le crime n’est pas dans la Réaction.
Lisez Leur jeunesse ; faites-vous une idée du désastre en cours. Goûtez la plume tranchante et délibérément ironique de Bruno Lafourcade. Il a l’art de rendre au lecteur vivante sa propre expérience.
Philippe Rubempré
Bruno Lafourcade, Leur jeunesse, Jean-Dézert Éditeur, mars 2021, 244 p.
Lectures mai
- Akarad #1 L’homme qui devint Loup – Franz & F. Plisson
- Les Implacables #1 Bye Bye Prêcheur ! – Sommer/Djian
- L’ère de l’individu tyran. La fin du monde commun – Éric Sadin
- Anibal Cinq : Dix femmes avant de mourir – Jodorowsky & Bess
- L’Inconnu – Magnus
- Philosophie de droite – Julien Rochedy
- Nous autres – Eugène Zamiatine
- Noir – Sylvain Tesson
- La Guerre des Boutons – Louis Pergaud
- Cosaque blues – Erik L’Homme
- Le Grand Meaulnes – Alain-Fournier, Bernard Capo
- Songe de Platon – Voltaire
- Un peu de nuit en plein jour – Erik L’Homme
- Chances – Horacio Altuna
- Déchirer les ombres – Erik L’Homme
- Micromegas – Voltaire
- 3615 Alexia – Frédéric Boilet
- Dom Zauker : Santo subito – E. Pagani & D. Caluri
- Le crocheteur borgne – Voltaire
- Cosi-Sancta – Voltaire
- Big Twin #1 – Achdé
- China Girl – Massimo Rotundo
- Notre histoire 1922-1945 – Hélie de Saint-Marc, August von Kageneck
- Femmes fatales – Max & Mique Beltran
- Examen de conscience. Nous étions vaincus mais nous nous croyions innocents – August von Kageneck
- MASCA Manuel de Survie en Cas d’Apocalypse – Erik L’Homme, Eloïse Scherrer
- Nouvelle Sparte – Erik L’Homme
Et maintenant, voici venir un long hiver… – Thomas Morales
« Que serais-je devenu sans la présence de ces acteurs, actrices, chanteurs, chanteuses, écrivains et autres artistes des Trente Glorieuses ? Je leur dois tout. Mon inconstance et mes foucades. »
En plaçant son recueil de « nécrologies de papier » sous le double parrainage de Blondin, prince de la chronique arrosée à la hussarde, et de Villon, prince des voleurs et roi des poètes, Thomas Morales emprunte une nouvelle fois ces chemins buissonniers chers à nos cœurs de nostalgiques inconsolables. Comme l’a remarqué notre chroniqueur dans Un Patachon dans la mondialisation (je crois), « ce n’était pas mieux avant ; c’était mieux toujours. » Dès lors, qui mieux que lui pour célébrer comme il se doit les gloires de ces années heureuses qui nous quittent les unes après les autres ?
L’exercice consiste à rédiger une nécrologie en un temps imparti à l’annonce du décès ; cela n’a donc rien à voir avec les mondanités attendues, préparées (parfois des années) à l’avance, surgelées puis réchauffées trente secondes au micro-onde pour se garantir des « vues » au cas où un « grand » passerait l’arme à gauche…
Thomas Morales excelle dans l’art du portrait nostalgique, à la fois hommage à la vie et l’œuvre du disparu, et portrait d’une époque – lequel, par ricochets, en dit long sur la (misérable) nôtre. Sans œillères artistiques ou idéologiques, Morales rend ainsi hommage à des artistes (Belmondo, Varda, Marielle, Legrand, Audran…), des écrivains (Déon, d’Ormesson, osons Dabadie…), des iconoclastes (Tapie, Sylvia Kristel), et à son regretté éditeur Pierre-Guillaume de Roux.
La nostalgie joyeuse – c’est un art de vivre, une politesse – de Morales nous entraîne, le temps de quelques pages à l’honneur d’une idole, au cœur de souvenirs souvent idéalisés, d’une époque heureuse que nous croyons avoir vécue, et qui n’a peut-être (sans doute?) jamais existé… Qu’importe ! Ce n’était pas mieux avant, c’était mieux toujours.
Philippe Rubempré
Thomas Morales, Et maintenant, voici venir un long hiver…, Éditions Hélopoles, avril 2022, 190 p.
Lectures avril
- Salut les Bidasses #65 Elephantasia – Collectif, Elvifrance
- Les Maudits. Ces écrivains qu’on vous interdit de lire – Sous la direction de Pierre Saint-Servant
- Hurrah Raspail ! Hommages, témoignages et études – Sous la direction d’Adrien Renouard, assisté par Anne Letty
- Panique à Porterhouse – Tom Sharpe
- Le chemin des écoliers – Marcel Aymé
- Le Capitaine Fracasse – Théophile Gautier
- Les derniers jours des fauves – Jérôme Leroy
- Dernier round à Marseille – Michel Brice
- Gros plan du macchabée – Léo Malet
- Carnets rebelles volume 2 – Dominique Venner
- Albertine disparue (La Fugitive) – Marcel Proust
- Les enquêtes du commissaire Raffini : Si tu vas à Rio – Rodolphe & Maucler
- Les enquêtes du commissaire Raffini : Les eaux mortes – Rodolphe & Maucler
- Les aventures de Jack Bishop : Panique sur le Mékong – Chapelle, Marniquet, Chanoinat
- Le Temps retrouvé – Marcel Proust