Ce monde est tellement beau – Sébastien Lapaque

« Si quelqu’un marche le jour, il ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde, mais si quelqu’un marche la nuit, il trébuche parce que la lumière n’est pas en lui. »
Jn, 11, 10
Jules Verne, entre autres de ses talents, nous a offert quelques romans initiatiques restés dans les mémoires jeunes et moins jeunes. Ainsi, Deux ans de vacances, robinsonnade sur une colonie d’enfants que le hasard et quelques malveillants ont livrés à eux même sur une île sans doute déserte ; ou son chef d’œuvre, L’Île mystérieuse, où la civilisation renaît du néant sous la férule scientifique et bienveillante du professeur Cyrus Smith. Un positivisme très XIXe siècle…
À sa manière, Sébastien Lapaque nous offre un roman initiatique. Avec Ce monde est tellement beau, Lapaque révèle l’Immonde, une apocalypse au sens premier du terme, et propose un chemin pour en sortir. Son héros, prénommé Lazare, comme le général républicain Lazare Hoche, a la révélation de l’Immonde un dimanche de vacances d’hiver – il exerce le noble métier de professeur d’histoire-géographie. L’Immonde, c’est notre monde ; la « civilisation » occidentale friquée, individualisée, publicitée, réseaux-socialiste et technologisée à tout crin ; pour résumer, la société libérale-libertaire consumériste et inculte, progressiste, en marche vers le néant…
Quitté par sa compagne, Lazare trouve sens et goût à la vie dans la fréquentation de ses amis Walter, lettré, Denis, juif, Saint-Roy, prof de philo, le curé Raguénès, sa voisine Lucie à la présence rassérénante autant qu’éphémère et aléatoire, fréquente Xavier, le frère de Walter, en son domaine du Kèpos dans le Finistère, où il noue des relations vraies avec la nature et les hommes. L’amitié véritable offre à Lazare de centrer sa vie sur l’essentiel et d’en expurger le futile contemporain pour y laisser s’exprimer l’Éternel. La majuscule n’est pas une erreur : il y a chez Lazare un chemin de Foi qui se dessine, chercher en tout la présence de Dieu. Que nous soyons croyant ou non importe peu et ne gène en rien la lecture ; nous avons à faire à un roman, pas un catéchisme. Mais ce beau roman nous rappelle que l’Homme a besoin de Transcendance, d’Espoir. Tout ne se résume pas à ce confort dont Ernst Jünger disait qu’il se paye toujours, rappelant que « la condition d’animal domestique entraîne celle d’animal de boucherie »…
Ce monde est tellement beau est une apocalypse. Comme chez saint Jean, ceux qui savent chercher la beauté du monde dans l’amitié, l’amour, la nature, les croyants ajouteront à raison la Foi, seront sauvés. Lazare n’est pas que le prénom du général républicain Hoche ; c’est aussi le prénom du frère de Marthe, que Jésus ressuscite au chapitre 11 de l’Évangile de Jean…
Sébastien Lapaque signe ici un roman d’initiation et de renaissance, une bouffée d’optimisme sain, d’un optimisme qui marie l’espérance de la Béatitude à la lucidité stoïcienne.
Philippe Rubempré
Sébastien Lapaque, Ce monde est tellement beau, Actes Sud, janvier 2021, 328 p.
Ab hinc… 295

« S’imaginer que nos petits-enfants combineront toutes les traditions contradictoires dans un ensemble harmonieux, qu’ils seront en même temps panthéistes, théistes et athées, libéraux et totalitaires, enthousiastes de la violence et ennemis de la violence, c’est imaginer qu’ils vivront dans un monde qui non seulement dépasse notre imagination et nos dons prophétiques, mais dans lequel il n’y aura plus aucune tradition viable, ce qui veut dire qu’ils seront des barbares au sens le plus fort du terme. » – Kolakowski, cité in Pascal Bruckner, Le Sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, 1983, p. 204.
Ab hinc… 294

« La destruction du système scolaire français correspond historiquement à l’expansion de l’idéologie néolibérale dans la sphère politique. Fâcheuse corrélation. Mais qui n’est pas seulement une corrélation. La transformation de l’école en lieu d’épanouissement, et non plus d’émancipation, des individus au nom de théories pédagogiques qui ont montré leur capacité à créer les inégalités qu’elles prétendaient combattre a ouvert la voie à une normalisation du système éducatif français pour l’intégrer au grand marché mondial. Le remplacement des savoirs par les compétences comme objectif premier est au cœur de ce processus. Le concept, porté d’abord par les généreux pédagogues centrés sur « l’enfant au cœur du système », est en fait directement importé du management et constitue le cœur de l’idéologie néolibérale en matière d’éducation : chaque individu est détenteur d’un capital humain qu’il doit faire fructifier pour s’insérer sur le marché mondial. Et le rôle d’un système éducatif est de mettre en place les outils performants qui permettront de développer au mieux les compétences de chacun. Ce modèle est porté par l’OCDE, qui s’emploie depuis les années 1980 à uniformiser les systèmes éducatifs pour les vider de toute dimension nationale et démocratique. »
Natacha Polony, Sommes-nous encore en démocratie ?, pp. 73-74
Les Éditions de l’Observatoire, février 2021, 89 p., 10 euros.
Ab hinc… 292

« Selon ce modèle [la post-démocratie, ndr], les élections peuvent certes aboutir à des changements de gouvernements, mais le débat électoral se résume à un spectacle étroitement contrôlé, géré par des équipes de professionnels dont les techniques de persuasion prennent en compte un nombre très limité de thématiques. La plupart des citoyens jouent un rôle passif, silencieux, voire apathique, et répondent uniquement aux signaux qu’on leur envoie. Derrière le rideau de fumée du jeu électoral, la politique est en réalité façonnée en privé par les interactions entre les gouvernements élus et les élites qui, pour l’essentiel, représentent les intérêts patronaux. » – Colin Crouch, Post-démocratie