Jeudi 16 avril 2020
Déjà un mois de confinement, et on en reprend a minima pour un mois supplémentaire… L’occasion de se replonger dans quelques madeleines, comme Bob Morane, par exemple : de l’air, de l’aventure, l’esprit chevaleresque et des méchants comme on ne sait plus en faire… J’ai donc repris hier le tome 12 de l’intégrale publiée par les éditions Ananké là où je m’étais arrêté, sans doute l’été dernier. Grand bien m’en a pris ! Le secret de l’Antarctique dévoile un confinement aussi volontaire qu’inattendu aux bons soins du professeur Blaise du Pont d’Arc, établi dans une vallée jurassique tropicale et inouïe, au coeur du Sixième continent glacé, invisible et ignorée jusque-là, peuplée de brontosaures, tyrannosaures et autres joyeusetés préhistoriques. Comment Bob se retrouve-t-il au coeur de cette vallée perdue percluse de dangers ? Vous le saurez en embarquant !
Cette lecture heureuse m’a rappelé ma jeunesse, ce côté ours solitaire qui me faisait admirer et rêver devant les fictions à confinement dont la littérature a le secret. Qui n’a jamais bovarysé ? Longtemps j’ai voulu être Nemo aux commandes de mon Nautilus, et qu’on me foute enfin la paix avec l’intendance ! Sentiment renforcé après avoir vu et revu, dans le film 20 000 leagues under the sea des frères Fleischer, James Mason incarner Nemo, sa présence, son timbre, et son regard halluciné et hallucinant, mélange d’ivresse de douleur intime et de pouvoir extraordinaire de vengeance… J’éprouve toujours cette fascination pour les repaires et les antres sous-marins, celui de Rastapopoulos dans le médiocre Tintin et le lac aux requins, celui du savant fou, le Patron, aux mains duquel tombent Jo, Zette et Jocko dans Le Manitoba ne répond plus, ou encore la grotte aménagée en base secrète dans Le secret de l’Espadon, où officient le professeur Philip Mortimer et le Capitaine Francis Blake, sous la plume d’Edgar P. Jacobs.
La paix et la liberté loin du regard des autres, avec comme atouts l’intelligence et la débrouillardise que nous offrent un Jules Verne ou un Daniel Defoe dans leurs robinsonnades, ces confinements plus ou moins involontaires au grand air du large ; ou alors doté d’une richesse à l’origine mystérieuse qui confère un pouvoir exceptionnel comme celui du Dr Antékritt confiné sur son île dans Mathias Sandorf.
L’anticipation et la science-fiction ont, en miroir, offert des confinements formidables dans des fusées ou des obus, je pense à Tintin, bien sûr, mais aussi à la trilogie de Jules Verne qui envoie en l’air Barbicane, Ardan et Niccholl pour un tour de lune acrobatique ! Dans toutes ces oeuvres, le confinement est une fenêtre de liberté, un espoir, une création ; pas un aveu d’impuissance devant un virus envahissant.
Certains ont pratiqué le confinement volontaire, les moines et moniales en sont des exemples vivants. L’aventurier Sylvain Tesson en est un autre, lui qui s’est confiné six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal, expérience qu’il a magnifiquement relatée dans son livre intitulé Dans les forêts de Sibérie. L’aventure est admirable et donne à rêver, mais savoir qu’elle est possible enlève un peu de magie et d’évasion. Finalement, si magie du confinement il doit y avoir, celui-ci doit être choisi. Au coeur d’une bibliothèque, la nuit, l’horizon est des plus dégagés et la plus grande des libertés s’offre à vous, solitaire ; là, vous pouvez vivre, cela change d’exister. À bientôt.
Oeuvres citées ou suggérées :
Le secret de l’Antarctique, Henri Vernes
20 000 lieues sous les mers, Jules Verne
20 000 Leagues under the sea, Richard Fleischer, 1954, Studios Walt Disney
Tintin et le lac aux requins, Raymond Leblanc, 1972
Les aventures de Jo, Zette et Jocko – Le Rayon du mysère 1ère partie : Le « Manitoba » ne répond plus, Hergé
Le secret de l’Espadon, Edgar P. Jacobs
L’île mystérieuse, Jules Verne
Deux ans de vacances, Jules Verne
Robinson Crusoe, Daniel Defoe
Mathias Sandorf, Jules Verne
Objectif Lune, Hergé
On a marché sur la Lune, Hergé
De la Terre à la Lune, Jules Verne
Autour de la Lune, Jules Verne
Sans dessus dessous, Jules Verne
Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson
La bibliothèque, la nuit, Alberto Manguel
Jeudi 9 avril 2020
C’est avec un certain effarement, quoique sans grande surprise, que je constate à quel point la Liberté est sacrifiée, hier et demain à la sécurité, aujourd’hui à la santé. Les dénégations du Sinistre de l’Intérieur ne dupent personne, et le gouvernement réfléchit sérieusement à mettre en place le traçage des téléphones portables au nom de la sécurité sanitaire. Sur la base du volontariat (ce qui rend le procédé inopérant) et avec l’anonymat garanti, vous (r)assure-t-on… Après tout, il n’est pas interdit de croire au Père Noël. Pour ce qui me concerne, cette propension exponentielle à abandonner la Liberté, nos libertés individuelles et collectives, au moindre prétexte n’en finit pas de m’inquiéter. Si la Liberté suppose des limites et ne rime pas avec licence, elle n’en est pas moins notre bien le plus précieux, ce qui nous différencie de l’être interchangeable voulu par la société liquide mondialisée et de l’esclave, ce qui nous différencie de l’animal biologiquement déterminé ne disposant pas de conscience.
J’affirme que la Liberté et l’Honneur sont les deux jambes qui permettent à l’Homme d’être à la hauteur de sa condition. Voici quelques lectures, quelques réflexions sur la Liberté qu’il est bon de relire en ces temps confinés.
L’avocat François Sureau remet les pendules à l’heure avec deux de ses ouvrages récents, Pour la liberté. Répondre au terrorisme sans perdre la raison (Taillandier, 2017) et Sans la liberté (Tracts Gallimard n°8, septembre 2019). Il démontre que le sacrifice de la liberté, ce travers actuel, est déraisonnable et comporte en germe plus de conséquences préjudiciables que de garanties de progrès commun.
On gagnera aussi à lire ou relire Bernanos, dont Le Monde a publié une anthologie, Georges Bernanos face aux imposteurs (2012, anthologie présentée par Jean Birnbaum). Les saines colères de l’écrivain catholique, ce « Grand d’Espagne » auquel Roger Nimier dédia son livre éponyme, réveillent notre ardeur et notre combativité. Ne rien céder, ne pas déroger. Cette sélection nourrit notre réflexion et constitue une intéressante introduction à l’oeuvre de Bernanos.
Enfin, rappelons qu’il n’y a pas de Liberté (ni de démocratie) sans distinction entre vie privée et vie publique. Le respect de la vie privée est en voie de disparition, qui du fait des États (y compris ceux prétendus démocratiques), qui du fait des multinationales mondialisées (et au premier chef les nuisibles GAFAM). Prenons-en conscience avec Luc Dellisse et son merveilleux essai Libre comme Robinson. Petit traité de vie privée (Les Impressions nouvelles, 2019), et organisons notre vie privée pour donner le moins de prise possible aux liberticides de tout poil. Il s’agit de ne céder que sur les marges auxquelles il est impossible de raisonnablement résister sans sacrifier notre vie sociale largo sensu.
Comme l’écrivait Maurras, le désespoir est une connerie en politique. Gardons donc l’espoir d’un réveil collectif face aux multiples atteintes à la Liberté et à nos libertés, un espoir modéré car nous sommes lucides. À bientôt.
Dimanche 5 avril 2020
Sept cavaliers quittèrent la Ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’était plus gardée, avec leur lecteur dans les fontes, loin du confinement imposé. Lire Raspail en ces temps étranges offre une respiration, un changement d’air bienvenu, un goût de liberté apprécié à sa juste valeur. L’époque appelle l’évasion, l’aventure, le voyage. La littérature – et plus généralement, la lecture – le permet et plus que jamais est une hygiène mentale en plus du plaisir qu’elle prodigue généreusement. La quête désespérée (les plus belles quêtes sont désespérées, pour l’Honneur) des cavaliers de Raspail nous entraîne dans une Europe du Nord fantasmée mais Ô combien rafraîchissante et régénératrice. Cela vous revigore l’âme et vous met du baume au coeur.
Pour se réchauffer, un petit périple autour de la mer Noire en compagnie de l’inénarrable Kéraban vous redonnera le sourire. Entre défense du tabac et des fumeurs et piques bien senties sur le mariage (une pensée pour les couples confinés dans un logement exigu et sans extérieur), cette farce vernienne promet bien des aventures et des rires, à cent lieues de la moraline Covidique et des sermons philippiques. Si en plus vous avez la chance de lire Jules Verne (relire 20 000 lieues sous les mers en période de confinement, ou De la Terre à la Lune) dans une belle édition, le plaisir de lecture se double d’un plaisir sensuel. J’ai commencé Kéraban le Têtu hier dans une édition cartonnée Hachette de 1934, illustrée par R.G. Gautier. Le toucher, le grain, l’odeur du livre sont un voyage dans le voyage que ne permettent pas la plupart des éditions récentes.
Confiné ou pas, j’accompagne Chateaubriand tous les matins dans son périple de Paris à Jérusalem. La semaine dernière, nous visitâmes la Grèce, un périple riche en rencontres passionnantes et en paysages sublimes.
Ne pas oublier les corps. L’enfermement relatif dans lequel on nous oblige à végéter ouvre de voluptueuses opportunités et quelques lectures grivoises pimentent délicieusement vos soirées. Relire ou lire les trois tomes d’Ogenki clinic de Haruka INUI offre un panel de jeux érotiques et d’humour potache avec fous rires et excitation garantis ! Si l’infirmière Ruko Tatase exerçait en ce moment, nul doute que le nombre de malades du Covid 19 augmenterait sensiblement, que moult damoiselles et damoiseaux s’empresseraient de se faire soigner à coup de « spéciale Tatase »…
La lecture, plaisir voluptueux, élévation de l’esprit, empêche que ce confinement imposé nous transforme en cons finis, quoique pour certain.e.s (ridicule, l’écriture inclusive, non ?) il soit déjà trop tard. À bientôt.
Lectures mars
- 20 000 Lieues sous les mers – d’après Jules Verne, Adaptation et scénario Fabrizio Lo Bianco, dessins Francesco Lo Storto
- Squeak the Mouse ! – Mattioli
- Degenerate housewives #1 – Rebecca
- Nana – Émile Zola
- L’esprit de Tepeyolt – Les grands classiques de l’épouvante, réédition Elvifrance
- Le Masque de la Mort rouge – Edgar Allan Poe
- Monstres fabuleux et autres amis littéraires – Alberto Manguel
- Le piège de Saïgon – Pierre Nord
- Naufragé volontaire – Alain Bombard
Lectures février
- Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver – Matthew B. Crawford
- Sido – Colette
- Je bois donc je suis – Roger Scruton
- Huis-Clos – Jean-Paul Sartre
- Le Mariage de Figaro ou la folle journée – P.-A. C. de Beaumarchais