Journal d'un caféïnomane insomniaque
lundi novembre 25th 2024

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Manolete, le Calife foudroyé – Anne Plantagenet

Aujourd’hui incomprise quand elle n’est pas exécrée, à l’image de la chasse, la tauromachie n’en traduit pas moins une forme de quintessence de la tragédie du vivant. Par définition, l’être qui nait, qu’il soit humain, animal ou végétal, est destiné à mourir. La tauromachie, lointaine héritière des jeux du cirque romain, perpétue cette tradition d’esthétisation et de codification de la non-appréhendable autant qu’inéluctable mort. La corrida est cruelle, mais elle n’est pas gratuite. Sans elle, la race des taureaux de combat disparaît purement et simplement – qui a parlé biodiversité ? – ou est classée espèce nuisible pour l’homme comme pour la faune et la flore qu’il a domestiquées.

Manolete a incarné dans les années 1940 cette tragédie. Le torero cordouan surnommé le Calife meurt foudroyé à trente ans dans une ultime joute où l’estocade vire en coup fourré. L’annonce de sa mort a fait la une des journaux de la Pologne communiste à l’Amérique du Sud ; le tirage en Espagne a été plus important que celui de la fin de la Seconde Guerre mondiale ! Même ses adversaires saluèrent son courage face à la bête. Manolete vivait la tauromachie comme le Pape le catholicisme. Son âme se confondait avec la corrida aux dépens de son corps et de ses amours.

Avec Manolete le Calife foudroyé, Anne Plantagenet signe une biographie éclairée et vibrante de la légende taurine. Découpée façon corrida, elle se dévore comme un bon polar. Quel parcours que celui qui fut surnommé el nino (le petit), être chétif et malingre, qui va se hisser aux sommets des arènes en habit de lumière, jusqu’à une gloire internationale ! Le portrait brossé par Anne Plantagenet se signale tout particulièrement par sa capacité à restituer l’ambiance, à vous saisir aux tripes ; l’ultime faena de Manolete vous arrache une larme. Vous respirez à l’unisson de Manolete au fil des 320 pages et des corridas.

Qu’on soit aficionado ou non, et je ne le suis pas – ce n’est pas ma culture –, Manolete est admirable par sa ténacité face à une vie qui ne l’a pas épargné plus que les taureaux. Sa vie, pour n’être pas exemplaire, fut toujours fidèle à l’honneur et à la liberté, jusqu’au sacrifice ultime. En cela, Manolete mérite notre respect, il a vécu en Homme.

Philippe Rubempré

Anne Plantagenet, Manolete, le Calife foudroyé, Au Diable Vauvert, 2010.

Lectures – novembre

Lectures automnales…
  1. Neropolis – Hubert Monteilhet
  2. Une minute quarante-neuf secondes – Riss
  3. Gwendoline en cours pour la Gold Cup et autres raretés – John Willie
  4. Le Niçois – Joann Sfar
  5. Crépuscule des Titans – Papacito
  6. 666 Ante demonium – Froideval & Tacito
  7. Microclimat. Pluie de gags en Mayenne – D.Rocher & Marykyta
  8. Le Mur des Cons – Philippe Bilger
  9. 666 Allegro demonio – Froideval & Tacito
  10. 666 Demonio fortissimo – Froideval & Tacito
  11. 666 Lilith Imperatrix Mundi – Froideval & Tacito
  12. 666 Atomik requiem – Froideval & Tacito
  13. 666 Ite, missa est – Froideval & Tacito
  14. Islamophobie. Intoxication idéologique – Philippe d’Iribarne
  15. L’île du dernier homme – Bruno de Cessole
  16. Gully Traver – Alex Varenne

Journal d’un indigné, magnitude 7 sur l’échelle de Hessel – André Perrin

Trois ans après ses Scènes de la vie intellectuelle en France, sous-titrées « L’intimidation contre le débat », André Perrin récidive avec son Journal d’un indigné, « Magnitude 7 sur l’échelle de Hessel » (Stéphane). Le philosophe creuse son sillon d’intelligence et d’honnêteté contre la spirale toujours plus envahissante de la tartufferie politico-médiatico-universitaire et la progression rampante du totalitarisme mou inhérent à la société liquide.

André Perrin a collectionné dans son journal, tenu irrégulièrement entre 2009 et 2019, ses réactions, indignations, amusements, à l’écoute ou la lecture des médias, principalement classés à gauche tels Libé, Le Monde, France Inter ou encore France Culture.Certaines de ses réflexions ont paru dans des publications comme Causeur, Mézetulle ou le Figaro Vox. Plume agile et érudite, Perrin ne manque ni d’humour ni de malice pour dégonfler les baudruches, éclairer les manipulations, les vérités tronquées ou à sens unique, ou révéler les impostures et dévoiler les contradictions.

Sont particulièrement mis à l’honneur les chantres du Bien, de la démocratie et de la liberté, pour peu que ces dernières leur soient jalousement réservées et ne s’appliquent pas à leurs adversaires réduits à l’état d’ennemis à abattre médiatiquement, politiquement, et si possible, financièrement…

On appréciera ainsi Madame Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation nationale, donner une leçon de culture générale à l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy en faisant montre crânement de sa propre inculture ! Eh oui, Madame le Ministre, comme le disent les écoliers dans les cours de récréation, la culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale… et parfois on se fait prendre avec les doigts dans le pot. Dans le même registre, Madame Filipetti, alors ministre de la Culture, qui gazouille1 à grand renfort de fautes d’orthographe qu’un élève de troisième n’est plus censé commettre. Heureusement qu’elle est agrégée de lettres classiques et écrivain !

Plus tragiques sont les notes relatives à l’honnêteté de l’information et à sa manipulation, singulièrement sur des sujets comme l’antisémitisme, l’islamisme, la pédophilie ou la présomption d’innocence. Les grands médias de service public, de gauche ou dit de référence comme Le Monde, se révèlent d’une profonde malhonnêteté intellectuelle, indigne dans une démocratie. On ne glose pas là sur des fantasmes, mais bien sur des faits dûment datés et sourcés par l’auteur.

André Perrin brosse un tableau de dix années de vie médiatique en France, commettant un ouvrage salutaire à lire et à faire lire. On ne s’étonne plus, pas plus qu’on s’en réjouit, de la décrédibilisation de la presse « du système », du fait qu’elle soit aussi décriée, et que ses valets, qui osent encore se revendiquer journalistes, soient autant détestés. La Charte de Munich2 , avec sa déontologie, semble être passée par pertes et profits, jetée aux oubliettes de l’histoire. Le combat pour le Bien peut se mener à la déloyale !

Trop de politiciens, de journalistes, d’universitaires, ont dérogé à l’honneur et sont encore aux manettes. Si la France reste une démocratie sur le papier, les libertés, et notamment les libertés d’expression et d’information, sont de plus en plus empêchées, quand elles ne sont pas réprimées au nom de la sensibilité chatouilleuse de minorités x ou d’intérêts communautaristes ou financiers y. La liberté d’expression n’a de sens, disait Orwell, que si elle offre la possibilité de dire à l’Autre ce qu’il n’a pas envie d’entendre. En France, novembre 2019, la liberté d’expression est en passe d’entrer en soins palliatifs, et l’actualité ne laisse guère entrevoir de rémission à court ou moyen terme.

Comme le disait Bukowski, il ne reste que trois solutions, « se saouler, se flinguer ou en rire ».

En rire quotidiennement ; se saouler de temps en temps ; se flinguer quand les deux premières options deviennent impossibles.

Philippe Rubempré

André Perrin, Journal d’un indigné. Magnitude 7 sur l’échelle de Hessel, préface de Pierre Manent, L’Artilleur, août 2019.

1En référence à un réseau dit social incarné par un oiseau bleu. Twitt peut se traduire par gazouillis.

2Adoptée en 1973 à l’initiative du Syndicat National des Journalistes, elle définit un cadre déontologique et des bonnes pratiques pour l’exercice du journalisme. On ne rappellera jamais assez qu’une presse libre, indépendante et plurielle est consubstantielle à toute démocratie.

Lectures – octobre

  1. Le grand procès de l’Histoire de France – Dimitri Casali
  2. FDP de la Mode 2 L’ultime croisade – Marsault & Papacito
  3. Sans la liberté – François Sureau
  4. Breum #2 Blindage et liberté – Marsault
  5. Condor – Caryl Férey
  6. Breum #3 C’est pas la taille qui compte – Marsault
  7. Dernière pute avant la fin du monde – Marsault
  8. Contes libertins – Jean de la Fontaine, Milo Manara
  9. Guerilla 1. Le jour où tout s’embrasa – Laurent Obertone
  10. Guerilla 2. Le temps des barbares – Laurent Obertone
  11. Erma Jaguar, l’intégrale – Alex Varenne
  12. Knock ou le triomphe de la médecine – Jules Romains

Chroniques du Léopard – Appollo & Tehem

Réjouissant roman graphique que ces Chroniques du Léopard. Le Régime de Vichy vu depuis une adolescence réunionnaise et une amitié exceptionnelle. Lucien, blanc pauvre admis au sein du prestigieux lycée Leconte-de-Lisle de Saint-Denis en raison de l’héroïsme de son père, partage avec son camarade Charles – et pour l’essentiel, avec votre serviteur – la médiocrité en gym, la nullité en latin (j’ai bien écrit pour l’essentiel…), le pathétique en maths, le goût de l’histoire et l’amour des lettres ; sans oublier la passion de la Liberté, qui signifiait encore quelque chose en ces temps troubles.

Au fil de leur année scolaire et des amours adolescentes, nous accompagnons avec grand plaisir et non sans une certaine nostalgie le parcours de Lucien et Charles, entre velléités poétiques et luttes politiques. Les seconds rôles, hauts en couleurs à l’image du surveillant, pétainiste bambochard, surnommé Laï-Hong, en raison de sa fréquentation assidue du bouge éponyme, sont parfois célèbres, à l’image d’un Raymond Barre devenu Premier ministre de Giscard ou des frères Vergès, respectivement devenu avocat des diables et héraut du PC réunionnais…

Ce retour sur la Réunion vichyste puis gaulliste (Le Léopard est le navire des Forces Françaises Libres qui a libéré l’île) se déguste avec un bonheur enfantin et incite furieusement à découvrir ou redécouvrir l’île Bourbon, comme on ne l’appelle plus, exception faite de sa vanille.

Philippe Rubempré

Appollo & Tehem, Chroniques du Léopard, Dargaud, 2018, 196 p.

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