À la première personne – Alain Finkielkraut
Finkielkraut à la première personne. À soixante-dix ans, le penseur revient sur son parcours, non pas dans une autobiographie, mais dans une enquête où il questionne ce qui le caractérise et ce dont on l’affuble à tort ou à raison. Je préfère penseur à philosophe quant à Alain Finkielkraut, car bien que réfléchissant à l’être et la vie, il n’a pas bâti de système de pensée philosophique à l’instar d’un Kant, d’un Hegel ou d’un Sartre.
Dans son texte bref et poignant de sincérité, taillé à la serpe, Finkielkraut revient sur l’amour, sur sa judéité et son soutien critique à l’État d’Israël, les rencontres essentielles de sa vie, Bruckner, Foucault, Roth, et surtout Milan Kundera, auquel le livre est dédié. Le penseur analyse aussi sa relation à l’oeuvre de Heidegger et à l’impact qu’a eu le scandale de la publication des Cahiers noirs sur la réception de la pensée heideggerienne.
À travers les essentiels de sa vie, c’est avant tout l’occasion pour Alain Finkielkraut de se dévoiler en vérité et d’essayer de comprendre pourquoi ceux qu’il appelle ironiquement le « parti ouaf-ouaf » guettent le moindre de ses battements de cil pour le taxer de facho, de réac, de raciste, voire, ce qui est arrivé dernièrement, de l’empêcher de tenir une conférence – belle vision de la démocratie que celle du parti ouaf-ouaf... Le « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » a fini par se retourner contre Saint-Just. Sans souhaiter l’aller simple pour l’abbaye de Monte-à-Regret aux membres du parti ouaf-ouaf, nous les verrions sans déplaisir se prendre les pieds dans le râteau et manger le manche en pleine poire. L’examen auquel se livre Finkielkraut révèle à quel point la liberté d’expression, et par là même la Liberté, est compromise en France. Pas tant par son Gouvernement (quoiqu’avec la loi dite sur les Fake News, ce dernier contribue largement à ce recul civilisationnel), mais par les GAFA, nombre d’associations, les communautaristes de toutes obédiences, les anywhere. Paradoxalement, la Liberté est menacée par les tenants du progressisme le plus audacieux au moins autant que par ceux de l’identitarisme crasse à relents communautaristes.
En revenant sur son parcours, Alain Finkielkraut nous tend un miroir de notre époque et nous offre à réfléchir sur ce que la France et le monde deviennent.
Comme le disait Bukowski, il ne reste que trois solutions, « se saouler, se flinguer ou en rire ».
En rire quotidiennement ; se saouler de temps en temps ; se flinguer quand les deux premières options deviennent impossibles.
Philippe Rubempré
Alain Finkielkraut, À la première personne, NRF Gallimard, 2019.
Adios, Tierra del Fuego – Jean Raspail
Araucanie, Patagonie, Terre de Feu, détroit de Magellan, Cap Horn, Port-Famine, Ushuaïa, Punta Arenas, Alakalufs, Yahagans, Mapuches… Ces noms enchanteurs ont fait rêver bien des générations d’enfants – celles d’avant la télévision et le numérique, quand l’enfance était encore possible. Ils évoquent pourtant des peuples disparus ou presque, des terres hostiles que mère-nature a taillées à la pointe de l’eskiltuna, ce couteau traditionnel du Sud fuégien… Lire Raspail donne envie de relire Francisco Coloane, à moins que ce ne soit le contraire…
L’auteur du Camp des Saints et du Roi au-delà de la mer est aussi un explorateur qui a, lui aussi, enfourché sa monture et quitté la ville au crépuscule par la porte du Sud qui n’était plus gardée… C’est un plaisir enfantin que de l’accompagner en Terre de Feu pour une tournée d’adieux et un devoir de mémoire accompli. Sur les traces des Fuégiens et d’Orélie-Antoine 1er, roi de Patagonie, Raspail essaime quelques signes sur une piste au bord de laquelle on se prend à rêver lui emboiter le pas.
Raspail ou l’aventure de la Patagonie vivante. Consul général de Patagonie ayant rallié nombre de preux chevaliers à sa cause, Raspail a repris aux British l’archipel des Minquiers, lâché par la France, devenu la Patagonie Septentrionale, sise au large de Granville et Saint-Malo, entre Jersey et Chausey. Cette réponse à l’invasion des Malouines par Thatcher provoqua l’incrédulité moqueuse avant de se métamorphoser en quelques remous diplomatiques et force unes de presse, dont celle du notable Times !
Adios, Tierra del Fuego, un peu d’aventure et de poésie dans notre monde terne et déclinant ; un peu de justice rendue aux Alakalufs et autres Yahagans ; les honneurs et la gloire aux rêveurs et au roi d’Araucanie et de Patagonie, Sa Majesté Orélie-Antoine 1er de Tounens, et ses successeurs… son cosas de Patagonia…
Philippe Rubempré
Jean Raspail, Adios, Tierra del Fuego, Éditions Albin Michel, 2001, 390 pages.
Lectures – septembre
- FDP de la mode – Marsault + Papacito
- Madame est servie – Thomas Morales
- Théorie de la dictature – Michel Onfray
- Sans filtre. L’intégrale – Marsault
- Ex-libris eroticis -Massimo Rotundo
- L’empire du politiquement correct – Mathieu Bock-Côté
- Un peu de nuit en plein jour – Érik L’Homme
- Les poneys sauvages – Michel Déon
- No society. La fin de la classe moyenne occidentale – Christophe Guilluy
- Le scandale des EHPAD. Une aide-soignante dénonce le traitement indigne des personnes âgées – Hella Kherief, en collaboration avec France Carp
Lectures – août
- Gueule de bois – Olivier Maulin
- Pottsville, 1280 habitants – Jim Thompson
- Philippe de Broca – Thomas Morales
- La colère de Maigret – Simenon
- Georges Brassens – Alphonse Bonnafé
- Maigret aux assises – Simenon
- Écrits d’exil 1927-1928 – Léon Daudet
- Plan de bataille pour OSS. 117 – Jean Bruce
- Le clan des Siciliens – Auguste Le Breton
- Un Patachon dans la mondialisation – Thomas Morales
- La potion magique de Georges Bouillon – Roald Dahl
- Tartarin de Tarascon – Alphonse Daudet
- Allmen et les libellules – Martin Suter
- Les récrés du petit Nicolas – Sempé/Goscinny
Un été chez Max Pécas – Thomas Morales
L’été, la chaleur, les corps qui se dévoilent, une certaine torpeur languide… C’est la saison anti-snob, le règne de la légèreté et des petits plaisirs coupables, le temps où l’on aime bien tout ce qui est bon, surtout si c’est très mauvais, pour paraphraser la soeur médecin des Hospices de Beaune, dans La Grande Vadrouille. En passant Un été chez Max Pécas, Thomas Morales rend justice à ces instants privilégiés de liberté et de joie que la Faculté, l’Académie et les politocards rêvent de rogner voire d’interdire… Pour votre bien et au nom de votre santé, bien entendu.
Que celui qui n’a jamais zappé sur un film de Max Pécas dans la moiteur étouffante d’un été à la campagne lui jette la première pierre… Les plaisirs simples ne se démodent pas sous la plume de Morales. De l’apéro au barbecue en passant par le Tour de France – dernière grande compétition sportive gratuite, donc réellement populaire -, du slow aux amours de vacances en passant par la carte postale, parfois grivoise, horresco referens, le chroniqueur nous raconte avec malice et humour ces bonheurs populaires honnis par une pseudo-élite qui les considère comme populistes. Un honneur quand on songe que le prix Eugène Dabit du roman populiste a couronné René Fallet ou Jean-Pierre Chabrol ! Je ne peux m’empêcher de penser qu’il est aussi cocasse d’être traité de populiste par une pseudo-élite bankerisée que de l’être de pute par un julot ou une mère maquerelle…
Un été chez Max Pécas se déguste sous forme de courtes et savoureuses chroniques, qu’il est de bon ton d’accompagner d’un pastaga ou d’un rosé bien frais, bob Ricard vissé sur le crâne, en attendant que braises se fassent… On se calme, on boit frais, on lit Morales et on retrouve le moral !
Philippe Rubempré
Thomas Morales, Un été chez Max Pécas , Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 85 pages.