Ab hinc… 266

« Car la mort n’est pas à craindre. Tant qu’elle n’est pas là, pourquoi en avoir peur ? Et quand elle est là, il n’est plus temps d’y penser. Ainsi parlait l’un de nos grands anciens.
Comme lui, écartez cette crainte inutile. Elle corrompt nos pensées, elle corrode nos actes.
Puisque vous ne pouvez échapper à la mort, changez votre regard sur elle. Cela ne dépend que de vous. »
Patrice Franceschi, Éthique du samouraï moderne. Petit manuel de combat pour temps de désarroi, Propos 24.
Ab hinc… 265

« Chez Homère, la vie, cette petite chose éphémère et si commune, n’a pas de valeur en soi. Elle ne vaut que par son intensité, sa beauté, le souffle de grandeur que chacun – et d’abord à ses propres yeux – peut lui donner. Une conception bien différente de celle véhiculée par tant de ces sagesses de bazar, de ces platitudes qui ont envahi l’esprit des masses occidentales et incitent à désirer une vie la plus longue possible, fût-elle médiocre et larvaire. » – Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, PGDR, 2013.
Vendredi 24 avril 2020
En relisant Un samouraï d’Occident, le Bréviaire des insoumis de feu Dominique Venner, je tombe dans le chapitre intitulé « Notre mémoire oubliée » sur un paragraphe consacré à Henri de Montherlant racontant le choc vécu à huit ans à la lecture de Quo vadis, le roman d’Henryk Sienkiewicz. Ce roman dont l’action se situe sous le règne de Néron confronte le premier christianisme au stoïcisme de Sénèque, et surtout de Pétrone. J’ai donc relu ce livre, dont on m’avait offert une version illustrée quand j’étais gamin, et je me suis aussi souvenu que quelque part devait traîner une adaptation cinématographique polonaise dans ma dvdthèque, revue également.

Grand bien m’en a pris. Le roman se dévore avec autant de voracité que quand j’étais môme, mais le plaisir se double d’une réflexion sur la vie et la mort, ou plus exactement, sur le sens de la vie et le sens de la mort, à la lumière du christianisme antique et du stoïcisme. Un excellent choix de lecture en ces temps décadents dans lesquels on a voulu nous faire croire que la mort n’était pas normale, qu’elle était nécessairement souffrance et peine, où on a voulu la faire disparaître de notre quotidien avec un certain succès. Le Covid 19 est venu balayer cette comédie d’un goût douteux. La mort appartient à la vie, pleinement. Il est tout aussi important de réussir sa mort, si ce n’est plus, que de réussir sa vie. La souffrance aussi appartient à la vie. On peut toujours se raconter des histoires, créer un homme bionique ou jouer du cornet à piston devant la tour Eiffel en s’imaginant qu’elle va danser la samba, la mort est bien présente. Autant en prendre acte, et la chanter joliment, comme Brassens dans Oncle Archibald, par exemple, ou vivre en étant conscient de cette borne ultime.
Là, Quo vadis nous donne avec le récit de la mort de Pétrone une belle leçon de dignité face à la mort. Se sachant condamné par Néron, l’arbitre des élégances organise une fête entouré de sa femme et de ses amis; il prend acte de son sort et met cérémonieusement fin à ses jours en compagnie d’Eunice, son aimée, dans les chants, les danses et les libations, accompagné par le siens. Cette mort donne à réfléchir ; elle remet en question pour les non-croyants la vision glauque, forcément glauque, de la mort véhiculée par les médias et les politiques, au point de se mêler de votre santé et de brider vos libertés pour vous obliger à mourir en bonne santé (ou à travailler toujours plus longtemps pour des intérêts financiers qui ne seront jamais les vôtres). Le sacrifice des Chrétiens est, lui aussi, à sa manière, exemplaire dans l’acceptation de la souffrance par la Foi ; leur attitude est même, osons l’écrire, absolument admirable.
J’avais envie de vous parler de Quo vadis, ce beau roman qui résonne singulièrement en temps de confinement versus mortem. Il pose de passionnantes questions sur notre rapport à la mort et à la souffrance, à l’heure où elles sont mises en scène et exploitées sans vergogne par une large partie des politiciens, des médias et des médecins. À bientôt.
Quo vadis, Henryk Sienkiewicz, Le Livre de Poche, Classiques, 2001.
Quo vadis, film de Jerzy Kawalerowicz, 2001, en dvd.
La chasse du comte Zaroff, vous n’en sortirez pas indemne !
À l’aventure, et sa petite sœur, l’espérance !1

À l’heure où nous écrivons cette chronique, nous sommes confinés depuis un mois et pour un mois encore, a minima. L’occasion de se replonger dans sa dvdthèque. Et quoi de plus dépaysant qu’une partie de chasse pour s’évader ? L’excellente maison Bach Films a édité en coffret collector La chasse du comte Zaroff, produit en 1932 par Schoedsack et Cooper, qui produiront également King-Kong un an après. Un très beau produit, enrichi du texte de la nouvelle originelle de Richard Connell et d’un bonus de grande qualité. Saluons ici le travail d’orfèvre de Bach Film.
La chasse du comte Zaroff nous rappelle qu’il est des confinements plus confortables que d’autres… Un yacht fait naufrage à proximité d’une île tropicale entourée de récifs et de requins. Seul Bob Rainsford, chasseur émérite, sauve sa peau et atteint le rivage. Se guidant à l’instinct à travers une jungle, il débouche sur une forteresse, dont la présence est pour le moins incongrue en ces lieux. La porte massive présente un étrange heurtoir orné d’un buste de centaure au coeur transpercé d’une flèche, portant dans ses bras une jeune femme évanouie. On a connu des accueils plus rassurants… Interloqué mais nécessitant secours, Rainsford frappe. Reçu par le comte Zaroff, propriétaire solitaire de cette île où il vit reclus avec ses domestiques et ses chiens, il fait la connaissance de deux autres naufragés également hébergés là, Eve Trowbridge et son frère Martin. L’accueil est chaleureux, Zaroff fait montre d’un grand savoir-vivre et d’une culture aristocratique, et s’avère passionné de chasse. Ayant fait de la chasse sa vie, Zaroff explique à Rainsford, chasseur de grand gibier et auteur d’ouvrages cynégétiques, pratiquer sur cette île une chasse unique, que lui seul connaît, un gibier unique au monde, the most dangerous game, le gibier le plus dangereux… sans plus de précision. C’est ce soir-là qu’Eve, alertée par la disparition de son frère, cherche de l’aide auprès de Rainsford. S’engageant dans la galerie des trophées, ils découvrent la nature du gibier et de la chasse extraordinaire vantée par Zaroff. Leur refuge se transforme alors en cauchemar cynégétique…
Pour les amateurs de vieux films et d’aventures, La chasse du comte Zaroff est superbe ! Le comte, Janus chasseur, génie cosaque à double visage, exerce un charme dérangeant ; les décors, cette forteresse au coeur d’une île tropicale peuplée de jungle, marécages, gouffres et rivière torrentueuse, tout ici est fait pour faire tourner la boîte à bovaryser ! Le suspense va crescendo jusqu’à l’ultime image du film ; l’aventure est mémorable. Bel objet cinématographique et chouette aventure, mais aussi matière à réflexion sur notre condition. Les échanges entre deux chasseurs émérites, Zaroff et Rainsford, confrontent deux sens de l’honneur, la noblesse s’allie à la cruauté, la justice au compromis.
La chasse du comte Zaroff offre une belle d’1h30, évasion appréciable en ce printemps confiné. Un dernier mot sur les boni, ils sont vraiment soignés. Les cinéphiles se régaleront avec les commentaires de Stéphane Bourgoin et les entretiens avec Jacques Zimmer. Le coffret comporte également la traduction de la nouvelle de Connell, et l’adaptation radiophonique par Orson Welles, notamment. Enfin, un second DVD propose le remake de 1961, Bloodlust, signé Ralph Brooke, et le film Chang, produit par Schoedsack et Cooper en 1927.
Bonne évasion !
Philippe Rubempré
La chasse du comte Zaroff (The Most Dangerous Game), USA, 1932, réalisation Irving Pichel & Ernest B. Schoedsack, production Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack, avec Leslie Banks, Joel McCrea, Fay Wray et Robert Amstrong. Réédition coffret Bach Film édition collector, 2009, 1h23, noir et blanc, VOSTFR, format 4/3, tout public.
1 Retranscrit plus ou moins fidèlement d’un dialogue d’Arsène Lupin, avec Georges Descrières.
Jeudi 16 avril 2020

Déjà un mois de confinement, et on en reprend a minima pour un mois supplémentaire… L’occasion de se replonger dans quelques madeleines, comme Bob Morane, par exemple : de l’air, de l’aventure, l’esprit chevaleresque et des méchants comme on ne sait plus en faire… J’ai donc repris hier le tome 12 de l’intégrale publiée par les éditions Ananké là où je m’étais arrêté, sans doute l’été dernier. Grand bien m’en a pris ! Le secret de l’Antarctique dévoile un confinement aussi volontaire qu’inattendu aux bons soins du professeur Blaise du Pont d’Arc, établi dans une vallée jurassique tropicale et inouïe, au coeur du Sixième continent glacé, invisible et ignorée jusque-là, peuplée de brontosaures, tyrannosaures et autres joyeusetés préhistoriques. Comment Bob se retrouve-t-il au coeur de cette vallée perdue percluse de dangers ? Vous le saurez en embarquant !

Cette lecture heureuse m’a rappelé ma jeunesse, ce côté ours solitaire qui me faisait admirer et rêver devant les fictions à confinement dont la littérature a le secret. Qui n’a jamais bovarysé ? Longtemps j’ai voulu être Nemo aux commandes de mon Nautilus, et qu’on me foute enfin la paix avec l’intendance ! Sentiment renforcé après avoir vu et revu, dans le film 20 000 leagues under the sea des frères Fleischer, James Mason incarner Nemo, sa présence, son timbre, et son regard halluciné et hallucinant, mélange d’ivresse de douleur intime et de pouvoir extraordinaire de vengeance… J’éprouve toujours cette fascination pour les repaires et les antres sous-marins, celui de Rastapopoulos dans le médiocre Tintin et le lac aux requins, celui du savant fou, le Patron, aux mains duquel tombent Jo, Zette et Jocko dans Le Manitoba ne répond plus, ou encore la grotte aménagée en base secrète dans Le secret de l’Espadon, où officient le professeur Philip Mortimer et le Capitaine Francis Blake, sous la plume d’Edgar P. Jacobs.
La paix et la liberté loin du regard des autres, avec comme atouts l’intelligence et la débrouillardise que nous offrent un Jules Verne ou un Daniel Defoe dans leurs robinsonnades, ces confinements plus ou moins involontaires au grand air du large ; ou alors doté d’une richesse à l’origine mystérieuse qui confère un pouvoir exceptionnel comme celui du Dr Antékritt confiné sur son île dans Mathias Sandorf.
L’anticipation et la science-fiction ont, en miroir, offert des confinements formidables dans des fusées ou des obus, je pense à Tintin, bien sûr, mais aussi à la trilogie de Jules Verne qui envoie en l’air Barbicane, Ardan et Niccholl pour un tour de lune acrobatique ! Dans toutes ces oeuvres, le confinement est une fenêtre de liberté, un espoir, une création ; pas un aveu d’impuissance devant un virus envahissant.

Certains ont pratiqué le confinement volontaire, les moines et moniales en sont des exemples vivants. L’aventurier Sylvain Tesson en est un autre, lui qui s’est confiné six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal, expérience qu’il a magnifiquement relatée dans son livre intitulé Dans les forêts de Sibérie. L’aventure est admirable et donne à rêver, mais savoir qu’elle est possible enlève un peu de magie et d’évasion. Finalement, si magie du confinement il doit y avoir, celui-ci doit être choisi. Au coeur d’une bibliothèque, la nuit, l’horizon est des plus dégagés et la plus grande des libertés s’offre à vous, solitaire ; là, vous pouvez vivre, cela change d’exister. À bientôt.
Oeuvres citées ou suggérées :
Le secret de l’Antarctique, Henri Vernes
20 000 lieues sous les mers, Jules Verne
20 000 Leagues under the sea, Richard Fleischer, 1954, Studios Walt Disney
Tintin et le lac aux requins, Raymond Leblanc, 1972
Les aventures de Jo, Zette et Jocko – Le Rayon du mysère 1ère partie : Le « Manitoba » ne répond plus, Hergé
Le secret de l’Espadon, Edgar P. Jacobs
L’île mystérieuse, Jules Verne
Deux ans de vacances, Jules Verne
Robinson Crusoe, Daniel Defoe
Mathias Sandorf, Jules Verne
Objectif Lune, Hergé
On a marché sur la Lune, Hergé
De la Terre à la Lune, Jules Verne
Autour de la Lune, Jules Verne
Sans dessus dessous, Jules Verne
Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson
La bibliothèque, la nuit, Alberto Manguel