Journal d'un caféïnomane insomniaque
lundi novembre 25th 2024

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Magenta, détective dépravée – Celestino Pes & Nik Guerra

    Magenta, brune dominatrice, et son acolyte Lucrèce, blonde dévergondée, forment l’agence Shocking Stockings, littéralement bas choquants, tout un programme… Ces deux donzelles prennent prétexte de soi-disant enquêtes pour exercer leurs instincts dominateurs et fétichistes, et pour assouvir leur insatiable goût pour le voyage en terre jaune

Vous avez bien compris que ces enquêtes sont strictement interdites aux mineurs. Magenta est une bande-dessinée pornographique, disons-le, et très drôle, ne le cachons pas. Une bd qui mouille, si j’ose, son lecteur masculin, ce dernier apparaissant dans les cases par ses éjaculations dessinées. Dès lors, une sorte de jeu érotique s’instaure sans prise de tête entre les héroïnes et le lecteur.

Un noir et blanc léché (ok, c’est facile…) des plus appropriés à l’esthétique fétichiste et sadomasochiste accompagne le lecteur au fil des enquêtes en profondeur de Magenta et Lucrèce. Autant que les deux détectives dépravées, le lecteur s’attèle au service de la vérité avec plaisir.

Philippe Rubempré

Celestino Pes & Nik Guerra, Magenta, détective dépravée, Delcourt, coll. Érotix, 2011, 154 pages.

Un noir désir Bertrand Cantat – Andy Vérol

Ce qu’il est convenu de dénommer « drame de Vilnius » a bien failli éclipser totalement la seule vraie tragédie française de cet été 2003, ces vieux qu’on a laissés crever comme des chiens seuls chez eux ou dans des services d’urgences métamorphosés en mouroirs… Vous comprenez, la canicule, la plage avec les mômes, les vacances, on ne pouvait pas savoir, hein ? Rappeler cette évidence, que le vrai drame est l’abandon de leurs anciens par une partie de la population trop occupée par le barbeuque et l’apéro du soir, est un des mérites de la biographie qu’Andy Vérol consacre à Noir Désir, et singulièrement à son chanteur, Bertrand Cantat. Une biographie drivée à l’explosif dans un style tricoté de fanzine ; mutatis mutandis, une sorte de Nick Tosches français, celui de Réserve ta dernière danse pour Satan.

Quinze années après le décès de l’actrice Marie Trintignant des suites des coups portés par son compagnon Bertrand Cantat, drame humain, trop humain sur lequel nous n’aurons pas l’indécence de jacter, les passions se déchainent à nouveau, à l’occasion de la sortie du dernier album de l’ex-chanteur de Noir Dez et de la tournée qui suit (à l’heure où nous écrivons, les dernières dates sont annulées). L’ouvrage de Vérol remet les pendules à l’heure avec distance et nous rappelle que nous ne savons rien de ce qui s’est passé, sauf le sordide résultat ; rien que ce que médias partisans des deux bords et protagonistes ont bien voulu nous dire. La résurgence de cette histoire ne manque pas d’interroger les consciences, de sonder les reins et les coeurs. Un auditeur de Noir Désir resté fidèle à ses amours adolescentes est-il un salaud ? Le fan du chanteur Cantat qui achète ses disques, qui, horresco referens, assiste à ses concerts, est-il un immonde porc assoiffé de sang féminin ? Il faudrait le croire à entendre les réactions de bonnes âmes aux idées humanistes devenues folles ; qui ne veulent pas interdire les concerts mais qui viennent insulter les spectateurs, comme si ces derniers avaient tué Marie Trintignant une seconde fois ; qui rejettent de facto l’état de droit (et partant, une certaine idée de la démocratie), Cantat – qui a purgé sa peine et conserve le silence sur l’affaire – ayant le droit (je ne parle pas d’éthique ou de morale, mais de droit) d’exercer son métier de chanteur. Chacun se fera son opinion, mais on ne peut selon moi fonder les règles communes de vie en société sur les émotions de chacun, aussi légitimes soient-elles.

Revenons à la biographie musicale de Noir Désir et Bertrand Cantat (arrêtée à la libération conditionnelle du chanteur en 2007). À la fois portrait d’un groupe de rock, d’une patte musicale et de son époque, la bio signée Vérol ne verse pas dans le fanatisme imbécile propre aux boutonneux en quête de sensations ; pas plus l’auteur ne relit l’histoire du groupe à la lumière ténébreuse de la violence réelle et supposée de son chanteur. Il ne tente pas non plus, comme beaucoup s’y sont essayé, à dénicher interpréter et sur-interpréter dans les textes des chansons ce qui abonde dans leur sens.

Biographie critique donc. Vérol ne se prive pas de souligner les facilités du groupe, de ses influences trop soutenues aux prises de positions politiques un brin donneuses de leçons, « ces idées gnan-gnan qui ne cassaient pas des briques« , la distorsion entre le discours (anti-mondialisation, bien sûr) sur The holy economic war et le rapport concret entretenu par le groupe avec l’argent. Jamais le groupe si critique à l’encontre des multinationales – on se souvient du laïus adressé à Jean-Marie Messier, pédégé de leur maison de disques Universal, rebaptisée Univers Sale, lors des Victoires de la musique – n’a remis en question les marges que la major se faisait sur leur nom (p. 132)… contrairement à d’autres groupes imposant des prix de vente de disques et de places de concert accessibles à toutes les bourses pour rester cohérents avec leurs engagements, ainsi Fugazi ou Les Sales Majestés.

Le succès de Noir Désir s’explique beaucoup par l’énergie vitale déployée lors de concerts où tous jouent comme si c’était la dernière fois, certains devenant apocalyptiques, Cantat syncopé, batterie défoncée, larsens à volonté, et tous les excès à côté. Andy Vérol, amateur critique et éclairé, décèle les pépites dans chaque album, toujours des textes en français, rarement les titres attendus… Avec son image travaillée (Vérol insiste sur la riche collaboration et le travail exceptionnel du vidéaste Henri-Jean Debon), ses textes engagés, son rock bordelais, Noir Désir a réussi à devenir le groupe de rock d’une génération en France, qu’on les apprécie ou non, quels que soient le ridicule et/ou la démagogie de leurs engagements.

J’appartiens à cette génération Noir Dez, et même si la lutte contre le soi-disant retour du fââssssisme me fait doucement rigoler aujourd’hui, je connais encore et toujours par coeur Un jour en France ou Comme elle vient ; je ne peux entendre parler économie, chômage ou mondialisation sans que quelque part dans ma tête une paire de neurones fredonne The holy economic war. Si j’écoute moins Noir Dez maintenant, faut dire que je n’ai plus quinze ans, je les réécoute régulièrement, comme une madeleine de Proust rock’n’roll, avec autant de plaisir qu’avant, si ce n’est plus, m’étant débarrassé du sérieux estampillé artiste engagé.

Auditeur de Cantat et Noir Désir, salaud ? Relevons le gant. Si rester fidèle à ce qu’on a aimé (envers et contre toutes les polémiques, la mauvaise foi, les insultes, les invectives, les forfaits, les drames) c’est être un salaud, alors je suis un salaud. Tout lecteur de Céline est un salaud. Tout disciple d’Althusser est un salaud. Tout lecteur de Flaubert est un salaud. Tout être libre est un salaud. À titre personnel, je trouve ma place plus confortable que celle des néo Fouquier-Tinville et des tricoteuses 2.0. Question d’éducation, sans doute… Andy Vérol conclut sa biographie par ces lignes d’Artaud, « il ne faut pas trop se hâter de juger les hommes, il faut leur faire crédit jusqu’à l’absurde, jusqu’à la lie. » Je termine ma chronique sur cette bravade, que j’emprunte à l’écrivain et journaliste Christopher Hitchens, « mon opinion personnelle m’est suffisante, et je revendique le droit de la défendre contre tous les consensus, toutes les majorités, de tout temps, en tout lieu et en tout temps. Et quiconque tenterait de m’enlever ce droit peut prendre un ticket, se mettre dans la file, et m’embrasser le cul. »

Philippe Rubempré

Andy Vérol, Un noir désir Bertrand Cantat, Éditions Scali, 2008, 201 pages.

Introït

On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose.

E.M. Cioran, Ébauches de vertige, 1979.

 

Chouette retour sur Adios, de Thomas Moralès

    Qu’il est bon de se replonger avec nostalgie dans les chroniques de Thomas Morales par une chouette matinée ensoleillée de printemps, quand de la Mayenne en contrebas de notre colline nous parviennent dès potron-minet les encouragements destinés aux kayakistes du dimanche… Morales est un médecin de l’âme, comme un whisky généreux un soir d’automne pluvieux, un vaccin contre la connerie à l’égal de Georges Brassens et Gérard Oberlé. Avec lui, on taquine la truite chez René Fallet, on roule des mécaniques de légende aux côtés d’actrices sublimes. L’heure n’est pas à la mortifère prudence, on roule vite, on boit sec, on mange les abats, on sauce nos plats, et on ne peut qu’écrire à la hussarde. Pour tous ceux qui sont en délicatesse avec l’époque, les chroniques du sieur Morales sont un baume apaisant aux accents simoninesques, un élixir de jouissance dialogué par Audiard. Susciter la curiosité et la mélancolie, ce coquetèle gai et triste à la fois à l’image de ces vins de Loire dont l’auteur se souvient dans une chronique consacrée à Jacques Perret, voilà son art. On y plonge comme dans les eaux cristallines d’un lac auvergnat lors de nos vacances adolescentes. Je viens de relire Adios. Ma journée sera chouette.

Philippe Rubempré

Thomas Morales, Adios, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 172 pages.

Nos histoires de France – Daniel Picouly

    Une reproduction de planche pédagogique historique sur les rois de France en couverture. Il n’en fallait pas plus pour que dépasse mes a priori mitigés quant à l’écrivain Daniel Picouly, quoique de prime abord l’ouvrage Nos histoires de France m’attirât essentiellement par son iconographie. Je ne fus pas déçu.

Picouly est-il un Grantécrivain ? Qu’on me permette d’en douter. Il n’est toutefois pas dénué d’un certain talent pour raconter du haut de ses dix ans, avec légèreté et non sans une espiègle drôlerie, son histoire de France ; celle qu’il a vécu par procuration pendant ses heures de grand piquet, enfermé dans le placard – éclairé – où les planches pédagogiques étaient rangées par M. Brûlé, son instituteur. En 1958, Picouly, dix ans donc, est de son propre aveu un incorrigible cancre – pas traumatisé pour autant, d’ailleurs, ne résistant pas à un bon mot, quitte à entrer dans le Guiness book de son école pour le record de la catégorie « grand piquet ».

Partielle et partiale, et pour cause, les histoires de France de Picouly, racontées à hauteur d’enfant, sont épargnées par les grandes leçons d’humanisme et de morale, remplacées (les grandes leçons) par des références plus originales, des soldats Mokarex (qu’on trouvait dans les paquets de café) à la transposition de fameux épisodes et héros de la Grande Histoire de France dans le microcosme d’une classe de l’école primaire de Villemomble en 1958.

    Le récit de Picouly a la sagesse de ne pas s’étaler à l’infini façon diaporama-de-retour-de-vacances, ce qui eut été un cauchemar. Sa brièveté et son rythme enlevé mettent en valeur la véritable richesse de ce bel ouvrage, son iconographie. Ce ne sont pas moins de cent soixante planches pédagogiques de notre bonne vieille école de la République, héritière de celle de feu les hussards noirs, qui illustrent le texte, dans des reproductions en couleurs de qualité. Une vraie madeleine de Proust pour les nostalgiques de l’enfance et de l’école à l’ancienne, pour les rêveurs et les bovarystes, ou encore les passionnés d’histoire.

Nostalgique d’une époque que je n’ai pas connu et qui n’a sans doute jamais existé, je devais croiser la route de Daniel Picouly et de ses souvenirs, pour quelques instants de nostalgie, de plaisir, d’évasion… de liberté ?

 

Philippe Rubempré

Daniel Picouly, Nos histoires de France, Éditions Hoëbeke, 2011.

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