Sur les chemins noirs – Sylvain Tesson
Tout est parti d’une chute. 8 mètres qui font prendre vingt ans à Sylvain Tesson. De longs mois d’hôpital et une promesse faite à lui-même : lui, le baroudeur des steppes, l’anachorète du lac Baïkal, l’aventurier insatiable, s’il remarche, traversera la France, son propre pays qu’il a trop peu exploré. Sur les chemins noirs est le récit de cette promesse tenue.
Pendant plus de trois mois, Sylvain Tesson traverse la France des chemins noirs, ces chemins perdus dans ce que l’administration appelle l’hyper-ruralité. Du Mercantour, à la frontière italienne, à la pointe du Cotentin et la Hague en passant par le Massif Central et le bocage mayennais, Un périple au coeur de la France oubliée de l’hyper-ruralité, de la France périurbaine snobée, s’attachant autant que possible à rester à l’écart des routes officielles et fréquentées, sur ces chemins noirs d’oubli et de perdition, peut-être, mais aussi chemins de beauté et de magie, de pureté encore vierge des saillies de l’aménagement du territoire… pour un temps compté, sans doute.
Dans un récit sobre et empreint de sagesse, Sylvain Tesson dresse le portrait d’une France trop souvent ignorée quand elle n’est pas méprisée, et promeut la marche comme thérapie reconstructrice de son corps abimé, bravant les séquelles physiques aux conséquences parfois cocasses – ainsi quand aux alentours de Laval, « une joggeuse opéra un demi-tour paniqué au moment où elle (le) vit« . L’auteur nous offre une nouvelle fois l’opportunité de voyager et d’admirer, de réfléchir et d’explorer. Une invitation à l’aventure, qui commence en bas de chez soi.
Philippe Rubempré
Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Éditions Gallimard, 2016, 143 pages.
Ab hinc… 233
« Mais, si l’exigence d’égalité est une noble aspiration dans sa sphère propre – qui est celle de la justice sociale -, l’égalitarisme devient néfaste dans l’ordre de l’esprit, où il n’a aucune place. La démocratie est le seul système politique acceptable, mais précisément elle n’a d’application qu’en politique. Hors de son domaine propre, elle est synonyme de mort : car la vérité n’est pas démocratique, ni l’intelligence, ni la beauté, ni l’amour – ni la grâce de Dieu. (…) Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste. » – Simon Leys
À la jeunesse
« À la jeunesse revient donc, aujourd’hui comme toujours, la tâche difficile de redécouvrir le monde, et de le renouveler, ne serait-ce qu’en portant simplement sur lui un regard neuf (…). »
Ainsi François-Xavier Bellamy présente le devoir essentiel qui échoit à la jeunesse d’aujourd’hui, comme il échut à celles d’hier et d’avant-hier. Comment la jeunesse peut-elle se réaliser et construire le monde de demain ? À elle de le dire. Ou plus exactement, à chaque jeune, à chaque adulte en devenir, de le dire et de l’écrire…
À la jeunesse propose une anthologie de discours et autres apologues destinés à cette jeunesse. De grands auteurs, comme Anatole France ou Émile Zola, de grands acteurs du monde, aussi divers que Saint-Exupéry et Barack Obama, de Lattre de Tassigny et Steve Jobs, ou Félix Éboué et Jean Jaurès, offrent à la jeunesse des clés pour déverrouiller l’avenir. Aux jeunes de se saisir ou non de ces pistes à explorer, aux jeunes de défricher ces témoignages au profit d’un monde que nous souhaitons tous, non sans une certaine candeur, meilleur.
Tel ce paladin de la Diète de Pologne cité par le maréchal de Lattre de Tassigny, souhaitons pour l’avenir une liberté dangereuse plutôt que la paix dans la servitude. La condition de l’homme est sa liberté, et la tragédie fait partie de sa condition. « Tout confort se paie. La condition d’animal domestique entraîne celle d’animal de boucherie » (Ernst Jünger). À la jeunesse d’en prendre conscience et de construire demain en Hommes libres.
Philippe Rubempré
À la jeunesse, présenté par François-Xavier Bellamy, Librio, 2016, 104 pages.
Ab hinc… 232
« Quiconque lutte dans l’unique espoir de biens matériels, en effet, ne récolte rien qui vaille de vivre. » – Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes
Un samouraï d’Occident – Dominique Venner
Dominique Venner est un personnage singulier, intègre et difficile à cerner. Bruno de Cessole le présente ainsi dans sa préface du Coeur rebelle* :
« Autant par tempérament que par principe Dominique Venner répugnait aux confidences personnelles comme à l’évocation nostalgique du passé. Il n’était pas de ces anciens combattants qui se complaisent à raconter leurs guerres d’antan, à déplorer leurs défaites ou se glorifier de leurs combats. Pas davantage l’ancien activiste puis militant politique qu’il fut, à une époque de sa vie, n’aimait tisonner les cendres d’une aventure qu’il assumait pleinement et dont il ne reniait rien, mais avec laquelle, ayant compris que sa vocation ne se confondait pas avec l’illusion de conquérir le pouvoir ou d’infléchir le cours de l’Histoire, il avait pris ses distances. «
Des distances, nous en avons avec les idées de Dominique Venner (et de sérieuses, parfois, qui ne sont pas l’objet de cette chronique) ; ce qui ne nous interdit nullement d’apprécier la droiture de l’homme, la plume de l’écrivain, l' »historien méditatif », ainsi qu’il se décrit, et le penseur qui interpelle et donne à réfléchir.
Le Bréviaire des insoumis
« L’insoumission relève d’abord de l’esprit avant de recourir aux armes »
Un samouraï d’Occident, sous-titré Le Bréviaire des insoumis, est la dernière oeuvre de Dominique Venner, son testament littéraire, éthique et politique (au sens grec), paru à peine plus d’un mois après son suicide spectaculaire devant le maitre-autel de Notre-Dame de Paris. Ce Bushido (code d’honneur des samouraïs, caste des guerriers au Japon) pour l’usage des Européens mérite lecture et méditation, critique et commentaire.
« Préférer se mettre le monde à dos que se mettre à plat ventre »
Un samouraï d’Occident est à la fois référence à la culture et à la civilisation japonaise que Venner admire, et volonté de faire de ce Bréviaire des insoumis une sorte de Bushido à l’européenne. Mais qui sont les insoumis ? Dominique Venner en donne une définition intéressante en ceci que, contrairement à ce que pourrait le laisser penser son image médiatique (et réductrice) d’historien proche de la droite radicale, elle dépasse tous les clivages. L’insoumission est un état d’esprit, pas une idéologie :
« Exister, c’est combattre ce qui me nie. Être un insoumis (…) cela signifie être à soi-même sa propre norme par fidélité à une norme supérieure. S’en tenir à soi devant le néant. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre le monde à dos que se mettre à plat ventre. »
Être un insoumis n’est donc ni une provocation, ni l’expression d’un extrémisme ou d’une violence politique, mais une fidélité, une éthique, un certain sens de l’honneur. Dans notre société occidentale contemporaine, où la seule forme de transcendance valorisée est le culte immanent du Saint-Fric globalisé (les autres formes, qu’elles soient de nature politique ou religieuse, étant le plus souvent incomprises, discréditées par leur passé et/ou les comportements de leurs fidèles), voici une conception iconoclaste de l’insoumission à opposer aux « rebellocrates » et autres « rebelles de confort » bien définis par Philippe Muray.
« La nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon »
Un samouraï d’Occident vaut aussi pour la lecture que nous propose Dominique Venner de L’Iliade et de L’Odyssée d’Homère, aède auquel il consacre un important chapitre (Ch. 5- « Nos poèmes fondateurs »). L’auteur revient en profondeur sur les épisodes fondateurs (de l’enlèvement d’Hélène au retour d’Ulysse à Ithaque), la personnalités des principaux personnages (Achille, Hector, Priam, Hélène…) et leurs legs à la civilisation européenne. Il en retire trois principes essentiels : la Nature (selon la définition d’Héraclite citée par Venner, « l’univers, le même pour tous les êtres, (qui) n’a été créé par aucun dieu ni par aucun homme ; mais (qui) a toujours été, est et sera feu éternellement vivant ») comme socle, l’Excellence comme but, la Beauté comme horizon. À mettre en regard :
1/ de l’exploitation, capitaliste, déraisonnable, et destructrice, de la nature ;
2/ de l’abaissement général du niveau et de l’ambition scolaires, au profit d’une employabilité à court terme, et d’une malléabilité supposée plus grande d’un corps électoral inculte (oubliant au passage que la seule forme d’expression qui reste aux incultes incapables d’argumenter est la violence, et que cette violence peut se déchaîner de manière incontrôlable, comme l’Histoire nous l’a montré) ;
3/ de la ruine de la beauté, tant en architecture où le « fonctionnel » (confort, ergonomie, écologie, économie) est fréquemment privilégié sur l’esthétique, qu’en art – la beauté ayant trop souvent été abandonnée en tant que valeur artistique au profit du marché international de l’art comptant pour rien et de ses impostures sonnantes et trébuchantes, à l’image du businessman Jeff Koons.
De sa lecture d’Homère, Dominique Venner retient une éthique qu’il propose en contrepoint de notre hubris capitalisto-financière, ce totalitarisme des marchés et des algorithmes financiers paré des atours de la démocratie. Sa réflexion nous interpelle et nous parait devoir être soumise à la dispute civilisée consubstantielle au débat démocratique.
Une éthique néo-stoïcienne
Dominique Venner remet à l’honneur le stoïcisme, cet art de bien vivre et de bien mourir cher à Sénèque, dans un long chapitre intitulé « Notre sagesse cachée ». Plus exactement, il revendique une forme de néo-stoïcisme, c’est-à-dire de philosophie stoïcienne confrontée à notre époque. Pour cela, il s’appuie sur les travaux de l’historien Pierre Hadot (qui fut professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de philosophie antique), sur la vie et l’oeuvre de l’empereur Marc-Aurèle ou encore sur La Princesse de Clèves, entre autres exemples. À l’heure où les livres dits de développement personnel tiennent les têtes de gondoles, à l’heure où la consommation d’antidépresseurs et autres psychotropes explose, quand les psys – -chiatres comme -chanalystes – et autres coaches individuels font fortune, Dominique Venner propose, dans son optique néo-stoïcienne, de reprendre le « contrôle de soi« , de vivre en cohérence avec la nature, et d’être « indifférent aux choses indifférentes« , celles qui ne dépendent pas de notre liberté (pauvreté, richesse, maladie, santé…). Venner réhabilite un comportement, aristocratique sans doute, relevant de la décence assurément, qui veut qu’on ne se plaigne pas, qu’on affronte les épreuves de la vie dignement, en êtres libres et responsables, qu’on ne parle pas à tort et à travers des sujets privés (famille, argent, santé). L’auteur s’en remet, à l’appui des stoïciens et des épicuriens, à un « bien vivre dans l’immanence en cessant d’être hanté par les angoisses de l’au-delà » (Dominique Venner soulève ici un point essentiel : nous considérons en effet que la transcendance fait gravement défaut à notre société matérialiste, capitaliste et marchande, et que celle-ci en souffre. Il serait bon de retrouver une forme collective de transcendance pour retrouver la Fraternité oubliée. La lecture attentive de Venner suggère que cette transcendance peut s’incarner dans la longue civilisation européenne et sa tradition – à savoir, non pas la tradition en son sens folklorique usuel, « addition composite » de rites passés, mais selon sa propre définition de la tradition comme étant ce qui ne « passe » pas, c’est-à-dire la « source des énergies fondatrices », « l’origine » qui « précède le commencement »).
Voilà les trois idées stimulantes que nous retenons principalement de ce Bréviaire des insoumis. Pour être complet, nous devons ajouter que l’ouvrage est riche, bien écrit, et qu’il donne à penser. Dominique Venner, après une introduction expliquant urbi et orbi, pourquoi ce livre hic et nunc, présente son parcours* (« Un samouraï d’Occident »), puis s’intéresse à l’hubris caractéristique de notre société occidentale contemporaine (« La métaphysique de l’illimité »). Après un « détour par le Japon », l’auteur revient sur « notre mémoire oubliée », avant de livrer sa lecture de « nos poèmes fondateurs » et de définir « notre sagesse cachée ». Chacun est libre de retenir et de piocher dans ce bréviaire les ressources qu’il estime utiles… ou pas.
*Dominique Venner est revenu longuement sur son parcours dans son ouvrage Le Coeur rebelle (Les Belles-Lettres, 1994), nouvelle édition revue et augmentée, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2014, préface de Bruno de Cessole.
Philippe Rubempré
Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insousmis, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2013, 317 p.