Journal d'un caféïnomane insomniaque
samedi juillet 5th 2025

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Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson

dans forets siberie    Récit autobiographique, Dans les forêts de Sibérie est le journal de retraite de Sylvain Tesson dans une cabane sise au bord du lac Baïkal entre février et juillet 2010. C’est aussi, et sans doute avec plus de force encore que celui de Dominique Venner (1), le bréviaire d’un insoumis. Hymne à la Liberté, ode à la Nature, Dans les forêts de Sibérie explose de fraîcheur, sans mauvais jeu de mots : fraîcheur de sa plume ; fraîcheur du climat sibérien ; fraîcheur de son rapport à la modernité technico-consumériste inculte… Dans le même temps, Tesson insuffle à son récit la chaleur de la vie : chaleur du poêle à bois dans la cabane au coeur de l’hiver russe ; chaleur de la vodka à 40° qui réjouit les coeurs en détruisant les foies ; chaleur de banya (sorte de sauna chauffé à 80°) qui régénère les corps et les âmes ; chaleur de l’accueil russe et de l’amitié partagée.

Fidèle à son goût des aphorismes, Sylvain Tesson en parsème généreusement son récit, en en faisant les phares et balises donnant sens et repères à son expérience. L’aventurier s’était promis lors d’un premier passage sur le Baïkal d’y revenir. Par ailleurs, ce Robin du froid avait décidé d’expérimenter l’érémitisme avant ses quarante printemps. Chose faite à trente-huit. Mieux qu’une psychanalyse pour savoir si l’on se supporte, la retraite en forêt. Une cabane de bois de neuf mètres carrés. Une provision substantielle de vodka, cigares et cigarillos. Une bibliothèque soigneusement choisie : lectures en retard, romans, essais philosophiques ou artistiques, tout ouvrage éloigné de son lieu de retraite, exception faite des guides faunistiques et floristiques. Vivres, outils, de quoi pêcher. La retraite sibérienne n’est pas de tout repos. Mais l’intensité de l’observation de la nature et de l’introspection est d’autant plus profonde que la fatigue des corvées de bois et la rudesse du climat s’insinue.

Six mois loin de tout et de tous, seul, Robinson des forêts sans Vendredi, naufragé volontaire du lac Baïkal. Six mois de réflexion, de randonnées de promenades. Changement total du rythme de vie, ressenti jusque dans les rythmes du corps. Six mois de solitude entrecoupée de visites clairsemées, pêcheurs ou gardes forestiers russes passant vider une bouteille de vodka et discuter autour d’un saucisson. Partager l’anachorèse de Sylvain Tesson est une aventure littéraire autant qu’intérieure. Dans les forêts de Sibérie appartient à cette catégorie de livres qui vous accompagnent  tout au long d’une vie, et qui gagnent à être lus et relus…

Le mot de la fin est pour l’auteur : « L’ermite ne s’oppose pas, il épouse un mode de vie. Il ne dénonce pas un mensonge, il cherche une vérité. » Je vous souhaite de poursuivre cette quête, mais pas d’arriver. Il me semble que la seule fin possible n’est que le terminus des prétentieux, comme dirait Audiard.

Il y a quelque chose de Brel chez Sylvain Tesson dans leur rapport à l’aventure chantée par le Grand Jacques, également chantre de la quête

Philippe Rubempré

Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie, Éditions Gallimard, 2011, 270 pages, 17,90 euros.

(1) Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Pierre-Guillaume de Roux, 2013, 317 pages.

Le Grand Santini – Pat Conroy

Grand Santini    Pat Conroy vient de nous quitter le 4 mars dernier, bouffé par un crabe. J’ai rencontré cet écrivain en lisant Charleston Sud, puis Le Prince des Marées. Un roman de Pat Conroy est une invitation à partager quelques heures la vie des habitants du Dixieland, ce Sud que l’auteur aimait envers et contre tout. À l’instar de Julien Green et de sa trilogie consacrée au Sud, Les Pays lointains, Les Étoiles du Sud, et Dixie (Seuil, 1987, 1989, 1994), Conroy donne envie de le goûter ce Sud mythique, ce climat si particulier, cette gastronomie, son étiquette aristocratique au charme désuet, quoique… Il aura, hélas, fallu que sonne le glas de cet envoûteur à plume pour que je lise son premier roman publié en 1976, Le Grand Santini.

Le Grand Santini s’appelle en réalité Wilbur « Bull » Meecham ; c’est le nom de guerre de ce lieutenant-colonel, pilote virtuose de l’US Marines Corps. Dévoué au Corps des Marines, marine lui-même jusqu’à la caricature, Bull Meecham pousse le vice jusqu’à élever ses enfants et diriger sa famille comme une compagnie militaire. Avec son épouse Lillian, dévote éduquée dans la grande tradition du Sud, ils ont quatre enfants : Ben, l’ainé, basketteur prometteur voué par son père au Corps ; Mary-Anne, pleine d’esprit et d’un cynisme ravageur, et les deux plus jeunes, Matt et Karen. Tous redoutent leur père, le Grand Santini, ego redoutable omniprésent et autoritaire. D’origine irlandaise, il est violent et parfois porté sur la boisson pour le malheur des siens. Ce roman retrace la vie de la famille Meecham durant deux années. Bull, de retour d’une mission d’un an en Méditerranée, est muté à Ravenel, bourgade sise en Caroline du Sud, où il doit prendre le commandement d’une escadrille. Pour son fils ainé, ce sera donc à Ravenel qu’il terminera son lycée. Fatigué de son père qu’il hait ou croit haïr, il n’attend que son bac pour dégager de la maison…

On plonge avec délices et volupté dans l’histoire de cette famille. Cette saga s’achève sur un événement capital, révélateur, qui vient couronner, comme une cerise sur un gâteau, d’une lumière nouvelle et d’un sens profond ce roman. C’est aussi une chronique de la vie dans le Deep South des années 1960, de la ségrégation et du sexisme, mais également et malgré la Guerre Froide et la menace cubaine, d’une certaine insouciance bercée par le soleil et les vagues. Roman choral articulé autour de la famille Meecham, Le Grand Santini déploie toute une gamme de personnages aussi intéressants les uns que les autres – voire troublants pour un lecteur européen non-averti des moeurs de nos amis d’Outre-Atlantique – qui rappelle Simenon dans la manière de faire ressentir les personnages plutôt que de les décrire.

Le Grand Santini est avant tout un grand roman sur la famille, la paternité, la relation au père. Drôle souvent, jouissif parfois, profond, émouvant, ce roman donne à lire, à plaisir, à réfléchir. Dès son premier livre, Pat Conroy s’est imposé avec la signature d’un grand romancier, d’un écrivain aussi à l’aise avec son propos et les subtilités de la langue qu’un mérou en Méditerranée. Le Grand Santini : un grand roman d’un grand écrivain ; un grand livre qui ne vous laissera pas tout à fait indemne.

Philippe Rubempré

Pat Conroy, Le Grand Santini, traduit de l’Anglais (États-Unis) par Éric Chédaille, Pocket, 2009, 666 pages.

Ab hinc… 203

« Nos tartufes devraient tenir compte de notables changements intervenus pendant ces vingt cinq dernières années. La vieille morale chrétienne, si pratique, a tendance à s’effacer devant une éthique plus froidement utilitaire mais, fort heureusement, tout aussi contraignante, et qui par là-même devrait leur suggérer d’autres priorités qui leur permettront de rendre la vie de leurs concitoyens de plus en plus difficile, car il s’agit toujours de protéger contre lui-même un peuple imbécile. » – Georges Pichard

Curiosa. La bibliothèque érotique – Alessandro Bertolotti

Curiosa    La publication par les éditions de la Martinière du très bel ouvrage d’Alessandro Bertolotti est une promesse de plaisir pour les amateurs avertis, bibliophiles, érotomanes ou cumulards… La littérature érotique, la gravure, le dessin, la photographie – tout support pouvant se présenter dans un livre et être collectionné en bibliothèque – sont à l’honneur de ce guide établi au regard de la collection personnelle et riche de l’auteur.

Chapitrée en grandes thématiques que sont l’héroïne libertine (et ses déclinaisons au fil des siècles), le couvent bordélique, l’école d’amour, les fruits verts, les flammes d’un autre amour et le sadomasochisme, la visite de ces Curiosa de la bibliothèque érotique de Bertolotti brosse une histoire de l’érotisme littéraire de l’antiquité à nos jours et établit une nomenclature des passions, fantasmes ou perversions (selon votre option philosophique, morale ou religieuse), de la pédérastie à la nymphette, de l’homosexualité au sadomasochisme. L’auteur propose à la fois des notices érudites et la présentation plus ou moins étoffée d’oeuvres exemplaires, tout en laissant une large place à une iconographie judicieuse et léchée (si je puis me permettre ce mauvais jeu de mots). Cette bibliothèque érotique constitue pour les amateurs et les bibliophiles un précieux document, l’auteur possédant nombre d’ouvrages rares et de qualité. Elle peut aussi ouvrir ses portes aux curieux désireux de plonger dans les arcanes et le stupre de ce superbe lupanar littéraire.

Alessandro Bertolotti, en nous offrant cette fenêtre sur son enfer personnel, propose aussi une réflexion stimulante sur la littérature et l’érotisme, leur lien charnel avec la liberté, dans l’histoire et dans les moeurs, dans leurs rapports avec la censure, qu’elle soit d’origine politique ou religieuse. Il signe un ouvrage sérieux, plaisant et pimenté, à ne mettre qu’entre des mains et sous des yeux avertis qui sauront y puiser la substantifique moelle de la plus humaine des passions.

 

Philippe Rubempré

Alessandro Bertolotti, Curiosa. La bibliothèque érotique, traduit de l’italien par Denis-Armand Canal, Éditions de la Martinière, 2012, 256 pages.

Chronique publiée sur le Salon Littéraire

L’Histoire de France racontée par le cinéma – Dimitri Casali & Céline Bathias

histoire france cinema    Inlassable défenseur de l’Histoire de France et éternel vulgarisateur, Dimitri Casali n’a de cesse de multiplier les vecteurs de transmission : (alter)manuel, essai, précis, même opéra rock ! Parmi cette frénésie (non-exhaustive), il est à signaler L’Histoire de France interdite, la gageure d’avoir écrit le complément à la réédition du Petit Lavisse et l’Histoire de France racontée par le cinéma, co-écrit avec Céline Bathias et objet de la présente chronique.

Ce bel ouvrage à l’iconographie particulièrement soignée retrace l’histoire de notre pays depuis Vercingétorix jusqu’à Mitterrand à travers une sélection de films plus ou moins historiques, mais révélateurs de périodes, faits, personnages ayant à jamais marqué notre imaginaire et notre inconscient collectifs. Si le François 1er incarné par Fernandel n’a à peu près rien d’historique, il est, comme chaque film cité (la filmographie est non-exhaustive, inévitablement, l’objectif étant de susciter la curiosité du lecteur et de l’inviter à l’approfondir), une occasion pour les auteurs de raconter un épisode de l’Histoire de France, ici le règne de François 1er, illustré de photographies extraites du film. Les notices sont courtes, elles vont à l’essentiel : il n’est pas question de délivrer magistralement un cours d’histoire, mais de donner des repères et plus si affinités…

Chaque film est présenté à travers son réalisateur, son année de sortie et ses principaux interprètes, ainsi qu’à travers un « pitch » (aarrrgghhh ! En France on parle de résumé, pas d’homophone d’une brioche industrielle peu recommandable du point de vue gustatif et d’une qualité dont je vous laisse juge), résumé parfois très critique tant sur la qualité historique que cinématographique des oeuvres. L’ouvrage se conclut sur un index bienvenu des réalisateurs et des films présentés.

Force est de constater qu’une espèce de bovarysme fonctionne dans cette histoire cinématographique de la France. Elle donne envie de voir, de revoir, de découvrir. J’ai le sentiment que l’histoire est une passion ou un ennui, sans réelle demi-mesure. Les passionnés seront servis ; ils n’apprendront rien en terme d’histoire, mais s’ouvriront un potentiel d’exploration cinématographique certain. Quant aux autres, ceux piqués de cinéma notamment, ils ont à leur disposition une clé concrète et agréable pour aborder l’Histoire de France en premier lieu, et l’Histoire en général. Un sain virus !

Philippe Rubempré

Dimitri Casali & Céline Bathias, L’Histoire de France racontée par le cinéma, François Bourrin Éditeur, 2011, 288 pages, 34 euros.

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