Introït
On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose.
E.M. Cioran, Ébauches de vertige, 1979.
Stephan Eicher – Sébastien Bataille
« […] Stephan Eicher est un électron libre sans frontières, ni linguistiques ni musicales. […] un artiste insaisissable, inclassable, incapable de se répéter, devenu la plus européenne des stars du rock […]. »
Sébastien Bataille, p.14.

Après Jean-Louis Murat l’Auvergnat et Hubert Félix Thiéfaine le Jurassien, Sébastien Bataille est de retour avec une nouvelle biographie musicale, clôturant sa trilogie « Ours des montagnes », avec Stephan Eicher, l’« Helvète underground » (surnom renvoyant autant aux débuts du chanteur suisse dans le milieu underground qu’au célèbre Velvet emmené par Lou Reed et à… Alain Bashung, dont l’album Passé le Rio Grande s’ouvre sur le titre « Helvète underground »). Il s’agit aussi, précisons-le, de la première biographie consacrée à Stephan Eicher.
Tout comme pour Animal en quarantaine, sa biographie de Thiéfaine, Bataille offre un travail fouillé, riche de témoignages, et critique. Ce qui tombe bien, de la part d’un critique musical… Il ne verse ni dans le sensationnel, ni dans la louange, ni dans l’exécution. Cet équilibre sain autorise les néophytes qui, comme votre serviteur, ne connaissent de Stephan Eicher qu’un ou deux tubes entendus ici ou là à la radio, à se faire une opinion affinée et à se laisser convaincre.
Du chanteur suisse aux origines yéniches, nous retiendrons une sincérité totale et une propension à se laisser porter par les vents de l’instant, sans calcul. Sa carrière s’étoffe de nombreuses collaborations, dont celle avec l’écrivain Philippe Djian depuis un grand nombre d’années, et qui a débouché sur des tubes tels que « Rivière » ou « Déjeuner en paix » ; ou celle avec l’écrivain suisse Martin Sutter (dont je vous recommande la lecture, notamment celle des aventures de son gentleman cambrioleur Johannes Friedrich von Allmen), auteur de trois titre sur l’album Eldorado.
D’une plume agréable, Sébastien Bataille nous invite à la (re)découverte de Stephan Eicher, avec une force de conviction qui suscite notre curiosité mélomane. Après lecture, il me tarde de plonger dans l’univers de l’helvète underground en commençant par Hôtel.S, son « best-of », et ses deux chefs d’œuvre, Engelberg et Carcassonne.
Philippe Rubempré
Sébastien Bataille, Stephan Eicher, préface de Rodolphe Burger, Éditions de L’Archipel, juin 2025, 299 p.
Lectures juin
- L’Éternité à deux – Axel
- School girls #3 – Nill
- La Chambre de verre – Axel
- La Pharmacienne – Igor & Boccere, d’après Esparbec
- Aphrodite – Pierre Louÿs
- Pierre Gauvin (1903-1951) Officier de la Coloniale – Nicolas Couvrand
- La Petite Fasciste – Jérôme Leroy
- Le Sucre – Marc Obregon
- Le Bruit et la Fureur – William Faulkner
- Synthèse de l’art européen de la Renaissance à la Seconde Guerre mondiale – Émilien Vieu
- Chambre 121 (L’intégrale) – Igor & Boccère
- Objectif 23 – Aurélien Chrétien
- La Maison – Emma Becker
- La Meute. Enquête sur la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon – Charlotte Belaïch & Olivier Pérou
- L’Institutrice – Bruce Morgan
- Nouvelles incorrectes d’une Afrique disparue – Bernard Lugan
Échec et mat au Paradis – Sébastien Lapaque
« Cette rencontre que j’aurais aimé imaginer à Belo Horizonte, en septembre 1940, a donc réellement eu lieu, sur les hauts plateaux du Minas Gerais, un jour de l’été austral, en 1942. En janvier, plutôt vers la fin d’après les recoupements des chercheurs brésiliens qui ont reconstitué l’emploi du temps de Stefan Zweig avant son suicide. Très peu de jours, donc, avant sa mort, son renoncement à la vie. »
Sébastien Lapaque, pp. 44-45.

Le 23 février 1942, à Petropolis, dans l’état de Rio de Janeiro, au Brésil, l’écrivain Stefan Zweig se donnait la mort en compagnie de sa seconde épouse Lotte. Autrichien et juif, il avait fui l’Autriche et le nazisme pour la Grande-Bretagne, notamment, d’où, devenu suspect avec la déclaration de guerre en septembre 1939, il s’est exilé en Amérique du Sud, quittant définitivement sa chère Europe. « Adieu, vieille Europe, que le Diable t’emporte… », dirait Claude Rich dans Le Crabe-Tambour de Pierre Schoendoerffer… La veille de son suicide, Zweig laissait une lettre d’adieu dans laquelle il écrivait notamment :
« […] je pense qu’il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. » (je souligne).
Quelques temps auparavant, début 1942, l’écrivain en exil rend visite à Georges Bernanos en sa retraite de la Croix-des-Âmes, à Barbacena, état du Minas Gerais, 215 kilomètres de Petropolis environ. Que vient faire l’écrivain juif Stefan Zweig chez l’(ex)-maurrassien catholique Bernanos ? C’est tout le travail d’enquête de l’auteur de ce livre palpitant.
Avec Échec et mat au Paradis, Sébastien Lapaque s’engage dans un voyage au long cours dans les pas de Zweig et Bernanos au Brésil ; il y effectue plusieurs voyages ; apprend la langue portugaise ; rencontre témoins et descendants… et parvient à retracer une histoire et à recréer un dialogue, dont il n’existe nul stigmate, entre l’intransigeant catholique Bernanos et l’Européen juif Zweig, deux idéalistes à leur manière, dont la rencontre sublimera les différences.
Plume racée, récit admirablement composé, conté de voix de maître et suscitant l’envie folle de se (re)plonger dans les œuvres de Stefan Zweig et Georges Bernanos.
Philippe Rubempré
Sébastien Lapaque, Échec et mat au Paradis, Actes Sud, septembre 2024, 336 p.
Un cœur pur – Maxime Dalle
« À peine échappés de notre hôtel, je sens la présence de l’ange gardien de Milou et de son gentil petit diable alcoolique. Archibald […] semble porter une tour de Pise branlante. Son sac bleu dégueule de partout. Le coquin rêve déjà de bière glacée. Je la vois scintiller dans ses yeux. Shylock, quant à lui, avance fièrement en tête de cortège comme le capitaine Haddock au départ de l’ascension. Nous sommes sous la protection de notre imaginaire et rien, pas même le migou, ne nous arrêtera. »
Maxime Dalle, p. 99.

Maxime Dalle est un jeune aventurier littéraire et intrépide, entre autres cofondateur de la gazette Raskar Kapac ou marin dans le sillage de Jean Bart en pleine pangolinite aiguë. Dernier forfait en date : partir sur les traces de Tintin au Népal, non en compagnie d’Haddock à la recherche de Tchang, mais avec deux amis, Archibald et Shylock. La joyeuse confrérie s’engage dans les pas d’un cœur pur, capable de tout abandonner séance tenante sur une intuition pour voler au secours d’un ami.
Plus qu’une relation de voyage, Un Cœur pur est une ode à l’Amitié avec un grand A ; Amitié vécue lors du périple népalais ; Amitié idéalisée à travers les duos hergéens Tintin / Haddock d’une part, Tintin / Tchang de l’autre ; Amitiés remémorées dans une première partie aux accents autobiographiques… Chez Maxime Dalle, l’Amitié s’éprouve dans l’Aventure, à hauteur d’enfant, à bord du Pink Floyd commandé par le capitaine Patrick Tabarly, ou à l’assaut de l’Himalaya en compagnie d’Archibald et Shylock.
Le cœur pur, c’est bien sûr Tintin dans son périple tibétain ; c’est encore Haddock qui contre vents et marées (et contre lui-même) soutient son ami, quoi qu’il lui en coûte ; c’est aussi celui qui, à l’heure de la globalisation ultra individualiste et omniconnectée, résiste à la marchandisation et à la technicisation à outrance du monde qui nous enserrent dans leurs toiles virtuelles et en même temps ô combien concrètes. Le cœur pur, dans ce contexte, est celui qui promeut et défend des valeurs et des principes vrais – Amitié, Famille, Liberté, Aventure, Vie – non pas par la propagande, la publicité ou le prosélytisme, mais simplement en Étant. En vivant en conformité avec ses idéaux dans la mesure du possible. « Des faits et non des mots », écrivait le général Bigeard dans ses mémoires (De la brousse à la jungle, éditions du Rocher, 2002).
Maxime Dalle, à n’en pas douter, aspire à être un cœur pur, et nous invite à emprunter ce chemin. Laissez-vous séduire par la plume enjouée, et parfois facétieuse, de ce trentenaire pour qui le verbe Vivre se conjugue avec une majuscule !
Philippe Rubempré
Maxime Dalle, Un Cœur pur. Sur les traces de Tintin au Népal, Éditions Herodios, 2025, 178 p.
L’Extrême Droite expliquée à Marie-Chantal – Frédéric Saint Clair

Sous ce titre taquin, d’aucuns diront provocateur, Frédéric Saint Clair, politiste et ancien conseiller de Dominique de Villepin, éclaire un concept trop souvent employé à tort et à travers, ses usagers se gardant bien de le définir, la fameuse extrême droite… Cet anathème qui évite de se battre, donc de débattre en démocratie, en disqualifiant l’adversaire a priori.
« C’est donc fort de ces trois critères que je suis revenu à l’assaut de la forteresse bourgeoise, questionnant Marie-Chantal [archétype de la bourgeoise macroniste, N.D.R.] sur les motivations cachées d’un Éric Zemmour, d’une Marine Le Pen ou d’un Éric Ciotti. Pense-t-elle sérieusement que ces trois éléments, le coup d’État, la dictature et la discrimination, puissent être conjointement présents dans l’agenda politique, fût-il caché, de ces personnalités ? Qui peut croire cela ? Qui peut croire que Marine Le Pen fomente en secret un coup d’État ? Qui peut croire que les membres du Rassemblement national rêvent d’une dictature ? Marie-Chantal a convenu avec l’honnêteté intellectuelle qu’on lui connaît qu’effectivement, au regard de ces trois critères, le terme « extrême droite » n’était pas applicable… »
Frédéric Saint Clair, p. 32-33.
Un essai riche, en partie dialogué, compréhensible par tous et (très bien) sourcé, à mettre en toute les mains qui ne se satisfont pas de l’accusation paresseuse et lancinante d’extrême droite pour tout ce qui ne va pas dans le sens du vent progressiste.
Philippe Rubempré
Frédéric Saint Clair, L’Extrême Droite expliquée à Marie-Chantal, Éditions La Nouvelle Librairie, février 2024, 247 p.