Jeudi 9 avril 2020

C’est avec un certain effarement, quoique sans grande surprise, que je constate à quel point la Liberté est sacrifiée, hier et demain à la sécurité, aujourd’hui à la santé. Les dénégations du Sinistre de l’Intérieur ne dupent personne, et le gouvernement réfléchit sérieusement à mettre en place le traçage des téléphones portables au nom de la sécurité sanitaire. Sur la base du volontariat (ce qui rend le procédé inopérant) et avec l’anonymat garanti, vous (r)assure-t-on… Après tout, il n’est pas interdit de croire au Père Noël. Pour ce qui me concerne, cette propension exponentielle à abandonner la Liberté, nos libertés individuelles et collectives, au moindre prétexte n’en finit pas de m’inquiéter. Si la Liberté suppose des limites et ne rime pas avec licence, elle n’en est pas moins notre bien le plus précieux, ce qui nous différencie de l’être interchangeable voulu par la société liquide mondialisée et de l’esclave, ce qui nous différencie de l’animal biologiquement déterminé ne disposant pas de conscience.
J’affirme que la Liberté et l’Honneur sont les deux jambes qui permettent à l’Homme d’être à la hauteur de sa condition. Voici quelques lectures, quelques réflexions sur la Liberté qu’il est bon de relire en ces temps confinés.
L’avocat François Sureau remet les pendules à l’heure avec deux de ses ouvrages récents, Pour la liberté. Répondre au terrorisme sans perdre la raison (Taillandier, 2017) et Sans la liberté (Tracts Gallimard n°8, septembre 2019). Il démontre que le sacrifice de la liberté, ce travers actuel, est déraisonnable et comporte en germe plus de conséquences préjudiciables que de garanties de progrès commun.
On gagnera aussi à lire ou relire Bernanos, dont Le Monde a publié une anthologie, Georges Bernanos face aux imposteurs (2012, anthologie présentée par Jean Birnbaum). Les saines colères de l’écrivain catholique, ce « Grand d’Espagne » auquel Roger Nimier dédia son livre éponyme, réveillent notre ardeur et notre combativité. Ne rien céder, ne pas déroger. Cette sélection nourrit notre réflexion et constitue une intéressante introduction à l’oeuvre de Bernanos.
Enfin, rappelons qu’il n’y a pas de Liberté (ni de démocratie) sans distinction entre vie privée et vie publique. Le respect de la vie privée est en voie de disparition, qui du fait des États (y compris ceux prétendus démocratiques), qui du fait des multinationales mondialisées (et au premier chef les nuisibles GAFAM). Prenons-en conscience avec Luc Dellisse et son merveilleux essai Libre comme Robinson. Petit traité de vie privée (Les Impressions nouvelles, 2019), et organisons notre vie privée pour donner le moins de prise possible aux liberticides de tout poil. Il s’agit de ne céder que sur les marges auxquelles il est impossible de raisonnablement résister sans sacrifier notre vie sociale largo sensu.
Comme l’écrivait Maurras, le désespoir est une connerie en politique. Gardons donc l’espoir d’un réveil collectif face aux multiples atteintes à la Liberté et à nos libertés, un espoir modéré car nous sommes lucides. À bientôt.
Dimanche 5 avril 2020

Sept cavaliers quittèrent la Ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’était plus gardée, avec leur lecteur dans les fontes, loin du confinement imposé. Lire Raspail en ces temps étranges offre une respiration, un changement d’air bienvenu, un goût de liberté apprécié à sa juste valeur. L’époque appelle l’évasion, l’aventure, le voyage. La littérature – et plus généralement, la lecture – le permet et plus que jamais est une hygiène mentale en plus du plaisir qu’elle prodigue généreusement. La quête désespérée (les plus belles quêtes sont désespérées, pour l’Honneur) des cavaliers de Raspail nous entraîne dans une Europe du Nord fantasmée mais Ô combien rafraîchissante et régénératrice. Cela vous revigore l’âme et vous met du baume au coeur.
Pour se réchauffer, un petit périple autour de la mer Noire en compagnie de l’inénarrable Kéraban vous redonnera le sourire. Entre défense du tabac et des fumeurs et piques bien senties sur le mariage (une pensée pour les couples confinés dans un logement exigu et sans extérieur), cette farce vernienne promet bien des aventures et des rires, à cent lieues de la moraline Covidique et des sermons philippiques. Si en plus vous avez la chance de lire Jules Verne (relire 20 000 lieues sous les mers en période de confinement, ou De la Terre à la Lune) dans une belle édition, le plaisir de lecture se double d’un plaisir sensuel. J’ai commencé Kéraban le Têtu hier dans une édition cartonnée Hachette de 1934, illustrée par R.G. Gautier. Le toucher, le grain, l’odeur du livre sont un voyage dans le voyage que ne permettent pas la plupart des éditions récentes.
Confiné ou pas, j’accompagne Chateaubriand tous les matins dans son périple de Paris à Jérusalem. La semaine dernière, nous visitâmes la Grèce, un périple riche en rencontres passionnantes et en paysages sublimes.
Ne pas oublier les corps. L’enfermement relatif dans lequel on nous oblige à végéter ouvre de voluptueuses opportunités et quelques lectures grivoises pimentent délicieusement vos soirées. Relire ou lire les trois tomes d’Ogenki clinic de Haruka INUI offre un panel de jeux érotiques et d’humour potache avec fous rires et excitation garantis ! Si l’infirmière Ruko Tatase exerçait en ce moment, nul doute que le nombre de malades du Covid 19 augmenterait sensiblement, que moult damoiselles et damoiseaux s’empresseraient de se faire soigner à coup de « spéciale Tatase »…
La lecture, plaisir voluptueux, élévation de l’esprit, empêche que ce confinement imposé nous transforme en cons finis, quoique pour certain.e.s (ridicule, l’écriture inclusive, non ?) il soit déjà trop tard. À bientôt.
Lectures mars

- 20 000 Lieues sous les mers – d’après Jules Verne, Adaptation et scénario Fabrizio Lo Bianco, dessins Francesco Lo Storto
- Squeak the Mouse ! – Mattioli
- Degenerate housewives #1 – Rebecca
- Nana – Émile Zola
- L’esprit de Tepeyolt – Les grands classiques de l’épouvante, réédition Elvifrance
- Le Masque de la Mort rouge – Edgar Allan Poe
- Monstres fabuleux et autres amis littéraires – Alberto Manguel
- Le piège de Saïgon – Pierre Nord
- Naufragé volontaire – Alain Bombard
Lectures février

- Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver – Matthew B. Crawford
- Sido – Colette
- Je bois donc je suis – Roger Scruton
- Huis-Clos – Jean-Paul Sartre
- Le Mariage de Figaro ou la folle journée – P.-A. C. de Beaumarchais
Bordel de Dieu – Marsault
Marsault est de retour en solo, plus énervé que jamais ! Son oeil acéré et acerbe sur notre société dérange, au point d’être menacé et assailli de tentatives pour le réduire au silence… Et pourtant, cet œil s’avère pertinent sur les émissions de « témoignages » héritées de Delarue sur le sévice public ; Marsault en révèle avec cruauté et jubilation le fond abject, odieux, ignoble et profondément dégueulasse de ces programmes, de ceux qui les produisent, les animent, et j’ajoute, les regardent. Son œil est toujours pertinent sur la liberté d’expression et l’enflure de la « cage aux phobes » si bien pressentie par Philippe Muray ! La société de la transparence, des médias et des réseaux sociaux vire au totalitarisme, c’est-à-dire, pour reprendre une expression de Claude Polin, à la « dictature de l’individu sur l’individu », cet être atomisé au coeur d’une société liquide et veule, parfaitement interchangeable et idiot utile des manipulateurs et des puissants.

Marsault croque nos tares contemporaines et notre décadence avec férocité et humour, avec tendresse parfois, pour les innocents broyés et méprisés par la machine. De la télé aux phobies liberticides, de la malbouffe au porno à outrance, rien n’échappe à l’épée vengeresse du dessinateur polémique. Une catharsis qui fait du bien et qui ne plaira pas à tout le monde. Brassens le chantait en 1954, les braves gens n’aiment pas qu’on suive une autre route qu’eux. Ce qui a changé depuis, ce sont les braves gens…
Philippe Rubempré
Marsault, Bordel de Dieu, Éditions Ring, janvier 2020.