Lectures – septembre
- Le monde du bout du monde – Luis Sepulveda
- Exorcismes spirituels III – Philippe Muray
- Désintégration française – Dimitri Casali
- Maisons de famille – Denis Tillinac
- Un homme juste (nouvelles américaines – 1) – Vladimir Volkoff
- Qui veut la peau de Vénus ? – Bruno Nassim Aboudrar
- Le dernier amour d’Attila Kiss – Julia Kerninon
- L’horreur de Dunwich – H.P. Lovecraft
- Le caniveau sans lune – Sokal
Ab hinc… 226
« Plus l’homme entre dans le génie de sa patrie, mieux il concourt à l’harmonie du globe ; il apprend à connaitre cette patrie, et dans sa valeur propre, et dans sa valeur relative, comme une note du grand concert, il s’y associe par elle, en elle il aime le monde. La patrie est l’initiation nécessaire à l’universelle patrie. » – Jules Michelet, Le Peuple
L’âme française – Denis Tillinac
Denis Tillinac ne manque pas de panache, son essai traitant du bonheur d’être réac en atteste s’il en est besoin. Sa définition de L’âme française n’en manque pas non plus : littéraire, aventureuse, désinvolte, galante, mettant l’honneur et l’amitié au-dessus de tout… Tillinac signe un nouvel essai enlevé, qui se lit comme un roman. Sa lecture nous laisse un sentiment de joie mêlée de fierté et d’enthousiasme ; elle nous pousse à aller de l’avant, non au service de je ne sais quelle idéologie (ou parti), plutôt une incitation à mieux se connaître pour mieux se dépasser. Invitation lancée au lecteur et à la France.
Désireux de « peindre une belle inconnue qui s’éveille d’une longue somnolence : la sensibilité de la droite française. Ses figures symboliques, ses paysages mentaux, ses lieux de pèlerinage, en somme sa raison d’être et son honneur« , Denis Tillinac rend justice à cette âme trop souvent réduite par la gauche politique, sociétale et médiatique à un ersatz de passéisme intolérant. Évidemment, la liberté de l’individu plutôt que l’embrigadement du collectif, l’aventure plutôt que la société du « care » (l’expression est de Martine Aubry, c’est dire si elle est riche de promesses joyeuses), la conscience de la nature humaine plutôt que l’illusion de la changer (qui a conduit au pire, de la Terreur au totalitarismes), le réel plutôt que l’idéologie, l’honneur plutôt que la moraline… on comprend la gêne d’une gauche tabula rasa, de ce fait incapable d’entendre, à défaut de comprendre, qu’on puisse penser différemment, que le Progrès comme religion universelle et sens unique de l’histoire puisse ne pas faire l’unanimité. La gauche ne doute pas, l’idée de la possibilité d’un cul-de-sac ne l’effleure pas, même quand elle se prend le réel dans la figure comme un poing dans le plexus. La soit-disant droite politique actuelle n’est pas en reste, toujours à la remorque d’une gauche qui a su intelligemment et avec succès (soyons beau joueur) mettre en application les idées d’Antonio Gramsci (avec mention très bien quant au langage). Tillinac l’explique et le démontre très bien : être de droite ne rime pas (nécessairement) avec voter à droite. Autrement dit, selon sa conception, des gens de droite peuvent voter à gauche, sans même savoir qu’ils sont de droite. Tillinac démontre aussi à merveille que la gauche « n’a pas le monopole du coeur » comme le dirait un ancien Président de la République classé au centre-droit, en réalité libéral-libertaire tendance pro-business et désaffiliation, donc pas de droite.
La droite est multiple, René Rémond l’a magistralement exposé (Les droites en France, Aubier-Montaigne, 1982 (1954)). Tillinac en montre la diversité par ses lieux de mémoire et de pèlerinage, de la crypte de Saint-Denis à Colombey en passant par Combourg. Magie des lieux, en quelque sorte… On est cependant d’autant plus touché qu’il s’attache aux héros littéraires (les Trois Mousquetaires, Cyrano…), réels (Mermoz, Guynemer…) ou cumulards (Chateaubriand). In fine se dégagent des « valeurs » telles que l’esprit chevaleresque, l’honneur, la liberté, la désinvolture, l’aventure, le panache, l’héritage ou l’altérité (que Tillinac baptise joliment « éternel féminin« ), qui dressent un portrait idéal, à la fois imaginaire et réel, de l’homme de droite tel qu’il peut se fantasmer et s’y reconnaitre…
Bien plus qu’un éloge de la droite, L’âme française est une déclaration d’amour à la France, à son essence, à sa littérature, ses lieux magiques et ses paysages sublimes, à son savoir-vivre et son esprit. Tout est bon en France, jusque dans nos contradictions de Gaulois bagarreurs et ripailleurs chers à Goscinny et Uderzo. L’âme française ne manque pas de panache ni de profondeur !
Philippe Rubempré
Denis Tillinac, L’âme française, Albin Michel, 2016, 246 p., 18,90€
Ab hinc… 225
« Le très méchant sortilège touristique supprime tout rapport avec la réalité : dans le tourisme, ni la vie ni la mort n’existent, ni le bonheur ni la douleur ; il y a seulement le tourisme, qui n’est pas la présence de quelque chose, mais la privation, contre paiement, de tout. » Guido Ceronetti
La désintégration française, une fatalité ? le nouvel essai percutant de Dimitri Casali
« (…) La lâcheté conduit toujours à la catastrophe. Nous avons voulu éviter les problèmes au prix du déshonneur, nous avons le déshonneur nous aurons la révolte civile. » (p. 183)
C’est par ces mots paraphrasant en partie une célèbre saillie de Winston Churchill que Dimitri Casali résume le mieux les raisons de cette désintégration française qui donne son titre à cet essai. Complémentaire de la charge nécessaire de Malika Sorel-Sutter, Décomposition française (Fayard, 2015), Désintégration française est sous-titré « pourquoi notre pays renie son histoire et nos enfants perdent leurs repères ». Après avoir posé un diagnostic de la maladie de la France, sentiment d’impuissance et désintégration, puis proposé le remède, « faire aimer la France », Dimitri Casali rentre dans le dur et répond à sa problématique en quatre points : la crise de l’identité française, la désintégration de l’école française, la France malade de son histoire coloniale, et enfin interroge la panne du modèle d’intégration. Une fois encore, son propos est à la fois pondéré, étayé et percutant. Voici quelques réflexions inspirées par cette saine lecture…
Car j’entends déjà les singes hurleurs de la bien-pensance de gauche, les Fouquier-Tinville de l’extrême-gauche médiapartique et les sectateurs du libéralisme libertaire (pour lesquels racines, histoire et frontières ne sont que des freins au business) déplorer ce nouvel essai, à leurs yeux image d’une France moisie et renfermée sur elle-même, en criant haro sur le déclinologue fascisant et islamophobe. Comme d’habitude, faute d’arguments, l’imprécation, l’insulte, la reductio ad hitlerum, le dénigrement, la psychiatrisation seront utilisés sans vergogne, ce qui ne nous étonne plus et ne mérite pas même le mépris que cette vilénie intellectuellement malhonnête inspire.
En effet, le diagnostic posé par Casali (et d’autres avec lui) est juste. La singularité de l’essayiste est d’expliquer en quoi l’abandon de la transmission en général, et celle de l’histoire en particulier, est grandement responsable de cette dramatique désintégration d’une France en passe de sortir de l’histoire si elle ne se reprend pas (c’est déjà le cas si l’on en croit le romancier de cette chute Philippe Muray). L’idéologisation de l’enseignement de l’histoire s’est accouplée avec l’abandon du modèle d’assimilation français. Montesquieu l’avait écrit au XVIIIe siècle, le droit à la différence conduit à la différence des droits. C’est bien là, contre la principe d’une République française une et indivisible, sociale et laïque, le but réel des multicultis et autres communautaristes de toutes obédiences. La gauche ayant perdu les classes populaires, son électorat naturel, en raison de ce qu’il faut bien nommer une trahison – sa conversion au capitalisme mondialisé -, elle s’est cherché un électorat de substitution dans les minorités. Le révisionnisme historique et le moralisme devenant ainsi des armes indispensables autant qu’efficaces pour parvenir cyniquement à ses fins. Les résultats sont là. Il faut être aveugle ou d’une sacrée mauvaise foi pour ne pas constater le délitement de la société, la ruine de l’école, la décrédibilisation de la politique et tout particulièrement de la gauche dite de gouvernement…
D’une manière générale, gauche comme droite (l’imbécile loi Haby disposant du collège unique, comme si tous les élèves étaient identiques, date du septennat de Giscard) ont instillé dans les programmes scolaires un véritable révisionnisme historique tendant à faire de la France « l’astre noir de la nuit des temps », pour reprendre une expression de Philippe de Villiers. Dimitri Casali développe les questions de l’esclavage et de notre histoire coloniale, démontant implacablement et sources à l’appui les lubies dogmatiques destinées à nous faire admettre (je devrais écrire avaler) que la France est coupable, définitivement coupable, qu’elle doit se repentir ad vitam aeternam et se soumettre aux nécessaires réformes… quand bien même le peuple soit-disant souverain les rejetterait démocratiquement. Il faut hélas constater que la France est depuis bien des années devenue une démocratie de papier. La trahison des politiques, gouvernement et Parlement, quant au rejet par référendum du Traité constitutionnel européen en est une preuve accablante. À ce sujet, et quoi qu’on pense des opinions politiques de M. de Villiers par ailleurs, son essai Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin Michel, 2015) offre un témoignage de l’intérieur édifiant sur la considération dont témoignent les dirigeants européens à l’égard des peuples et de leurs choix démocratiques. L’actuel président de la Commission, M. Junker, est, par exemple, un étrange démocrate qui considère que « tout ce qui est contre les traités européens est antidémocratique« … Comme si la démocratie, gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple (Lincoln) n’était pas par définition fondée sur la confrontation des opinions et des désaccords tranchés par le vote du peuple souverain, bref, pour reprendre l’expression d’Élisabeth Lévy, sur la dispute civilisée…
Dans sa dernière partie, Dimitri Casali montre les liens entre les manipulations politiciennes de l’histoire, l’abandon de l’assimilation et de l’élitisme républicains (l’élitisme républicain se définissant comme le fait d’amener chaque élève au meilleur de ses capacités) et la désintégration sociale que nous connaissons aujourd’hui, amplifiée par une mondialisation sauvage qui a opté pour la finance contre l’humain. Son analyse de l’intégrisme islamique montre à quel point nos dirigeants incultes ne sont plus en mesure de comprendre le fait religieux en général, et l’islam en particulier, qui est à la fois une religion et une civilisation avec son modèle politique, ses moeurs, son modus vivendi. Ces pseudo-élites sont a fortiori incapables de répondre efficacement et dans le respect des libertés fondamentales à la pression de minorités bruyantes et exhibitionnistes, et au terrorisme. Un pays déconsidéré par ses propres élites ne peut lutter de manière crédible contre un ennemi, quel qu’il soit, déterminé et fier de ses valeurs. Régis Debray remarquait à juste titre dans L’Obs du 8 janvier 2015 que « nous avons une classe dirigeante qui a honte de sa langue et de son lieu de naissance : c’est ringard, franchouillard, moisi. Comment voulez-vous que les les immigrés se sentent un attrait pour ce qui rebute nos gens de bon ton ?«
Ne pensez pas toutefois que Dimitri Casali appartienne à la classe des déclinologues, il n’en est rien. Infatigable, passionné et contagieux passeur d’histoire, il est aussi relativement optimiste, et le but de son essai est de démontrer que la France peut se relever en inversant la vapeur, en retrouvant la connaissance et le goût de son histoire, sa fierté, assumant et affirmant haut et fort ses valeurs, fruit de son héritage à la fois monarchique et républicain, catholique et laïc. D’accord avec l’auteur sur le papier, nous sommes toutefois plus pessimiste. La campagne pour l’élection présidentielle de 2017 qui s’amorce avec les primaires de la droite ne nous rassure pas. Catulle disait « encore un peu de patience et tout finira mal« . Il est à craindre, même si nous souhaitons ardemment le contraire, qu’il ait raison.
Philippe Rubempré
Dimitri Casali, Désintégration française. Pourquoi notre pays renie son histoire et nos enfants perdent leurs repères, JC Lattès, 2016, 252 pages, 19 euros
Article publié sur le Salon Littéraire.