Journal d'un caféïnomane insomniaque
jeudi octobre 2nd 2025

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Introït

On n’écrit pas parce qu’on a quelque chose à dire mais parce qu’on a envie de dire quelque chose.

E.M. Cioran, Ébauches de vertige, 1979.

 

Lectures septembre

  1. #5 Ça vous choque ? – Dany
  2. #6 Comment osez-vous ? – Dany
  3. Le Directeur – Coq
  4. La Secrétaire – Coq
  5. La Directrice – Coq
  6. Les Chasseurs d’or – James Oliver Curwood
  7. L’Art de la Guerre – Floc’h, José-Louis Bocquet, Jean-Luc Fromental
  8. Intra muros – Pierre-Antoine Cousteau
  9. Cerveau de verre – Fabien Clavel
  10. Bullshit Bienveillance. Enquête sur la psychologie positive à l’école – Matthieu Grimpret
  11. Cabane – Abel Quentin
  12. Jouir – Catherine Cusset
  13. Ombre & Lumière – Parris Quinn
  14. Gros. Survivre à la malbouffe – Piero San Giorgio
  15. Madame Bovary – d’après Gustave Flaubert, adaptation de Daniel Bardet, dessins de Michel Janvier
  16. Tous les démons sont ici – Craig Johnson
  17. Teens at play – Rebecca
  18. H.P. et Giuseppe Bergman – Milo Manara

Paradoxes de la pensée progressiste – André Perrin

Dans son nouveau recueil sous-titré « Le camp du Bien à l’heure du woke », André Perrin, agrégé de philosophie, poursuit son travail de critique des médias « autorisés » (notamment France Culture, Le Monde et Libération, mais pas seulement) et décortique les Paradoxes de la pensée progressiste. Dans son avant-propos, il balaye, démonstration factuelle et intellectuelle à l’appui, le fait que le « wokisme » n’existerait pas ou serait une invention de « l’extrême droite », puis au fil des chroniques parues dans Commentaire, La Décroissance, sur le blog de Catherine Kintzler Mézetulle ou d’entretiens accordés à divers médias, analyse en profondeur tant sur les plans linguistique qu’historique les affirmations, indignations sélectives et la malhonnêteté intellectuelle (c’est moi qui le dit) de cette « intelligentsia progressiste, [composée de] journalistes, universitaires, gens de culture ».

André Perrin exerce avec une ironie bienvenue et une érudition certaine ce « travail de la pensée critique qui est visiblement devenu, de nos jours, la chose la moins bien partagée du monde intellectuel et artistique hexagonal », comme l’écrit Jean-Claude Michéa dans son avant-propos.

Comme le constate l’auteur dans son texte liminaire,

« En fin de compte, il n’est pas très étonnant que des idéologues dont une des convictions les plus profondes est qu’on peut changer les choses en changeant les mots, et qui s’y emploient en tentant d’imposer aux autres leur novlangue, soient à ce point soucieux de faire la chasse aux mots woke ou wokisme. Les pages qui suivent dressent un état des lieux de ce que l’on peut quotidiennement voir et entendre en écoutant la radio publique et en lisant la bonne presse. Le lecteur pourra peut-être y découvrir la preuve de l’existence de la pensée woke, comme on prouve le mouvement en marchant […]. Plus que les mots, toujours imprécis et contestables dont on se sert pour le cerner, ce qui importe, c’est le réel, celui qui nous résiste, ou, pour le dire comme Lacan, celui auquel on se cogne. »

André Perrin, « Derechef du wokisme, s’il existe », op. cit., p.29.

André Perrin a précédemment publié chez le même éditeur, L’Artilleur, Scènes de la vie intellectuelle en France. L’intimidation contre le débat (2016), Journal d’un indigné, magnitude 7 sur l’échelle de Hessel (2019), que nous avons déjà chroniqués, et Postures médiatiques. Chronique de l’imposture ordinaire (2022). La lecture de Perrin est une cure d’intelligence fortement recommandable pour les convertis, et plus encore, pour les progressistes ouverts (si tant est qu’il en existe).

Philippe Rubempré

André Perrin, Paradoxes de la pensée progressiste, avant-propos de Jean-Claude Michéa, L’Artilleur, septembre 2025, 224 p.

Coulée brune. Comment le fascisme inonde notre langue – Olivier Mannoni

Traducteur chevronné de l’allemand, et notamment des œuvres du IIIe Reich1, Olivier Mannoni maîtrise les arcanes linguistiques. Il signe chez Héloïse d’Ormesson un essai aussi bref qu’important, Coulée brune. Comment le fascisme inonde notre langue. Il faut lire cet essai.

La manipulation du langage est le propre des tyrannies, et de manière encore plus prégnante des régimes totalitaires (ou proto-totalitaires) au premier rang desquels le fascisme. Les travaux du philologue allemand Victor Klemperer sur la novlangue nazie2 sont exemplaires de ce point de vue. Quoique ce ne soit pas son thème central, le dernier ouvrage de Philippe Pichot-Bravard3, L’Homme transformé but des révolutions totalitaires, aborde également la question de la manipulation de la langue sous différents régimes (Révolution française, communismes, fascismes) et offre un éclairage universitaire qui ne manque pas de nous interpeler. Dans son essai, Olivier Mannoni s’inquiète de retrouver des travers langagiers du fascisme dans l’expression publique actuelle, qu’elle soit politique ou médiatique4, et tire de ce constat et de cette crainte une réflexion à la fois stimulante et questionnant, que nous aurions tort d’ignorer ou de prendre à la légère. Je maintiens qu’il faut lire cet essai, car cet essai porte une interrogation essentielle, fondamentale pour l’avenir de la démocratie, de nos libertés, de la France.

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Pour Olivier Mannoni, la tentation fasciste de manipuler la langue distille sa coulée brune de manière inquiétante : novlangue, expressions « prêt-à-penser », simplification et caricaturisation5 du débat public, maîtrise plus qu’aléatoire de la grammaire, de la syntaxe et du vocabulaire au sein des élites politiques et médiatiques, violence exponentielle des débats à coups d’injures, d’invectives… Les manifestations concrètes de sa thèse sont légion, et l’essayiste s’appuie sur de nombreux exemples précis, sourcés et divers, qu’ils soient issus de la politique ou des médias. Ainsi, ne sont épargnés ni Nicolas Sarkozy (cruelle comparaison entre un discours de De Gaulle et son pendant sarkozyste sur le même sujet, en l’occurrence la Russie), ni Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Florian Philippot (un cas d’école tellement caricatural que ça en devient grossier), entre autres politiciens, et pour le monde médiatique, pas plus Cyril Hanouna, Le Media (proche de La France Insoumise), que Cnews, notamment. À la lecture, il est visible qu’Olivier Mannoni est politiquement un modéré, et qu’il a cherché à produire un travail intellectuel sérieux et probe, n’exonérant pas les partis politiques dits de gouvernement, eux aussi contaminés, d’une analyse scrupuleuse.

Toutefois, bien que ne maîtrisant pas la langue comme Mannoni (je n’en ai pas la prétention), il me semble que Coulée brune questionne sur deux plans : l’extrême droite française d’une part, et l’Éducation nationale d’autre part.

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Il peut sembler étrange de réduire la manipulation de la langue au fascisme tant le communisme s’en est fait une spécialité, dénoncée en leur temps (entre autres) par les romans de George Orwell, La Ferme des animaux et 19846. Mais soit. Le communisme et ses avatars semblent ne plus constituer une menace existentielle imminente en Europe aujourd’hui. Dans son essai, en revanche, Olivier Mannoni évoque à de nombreuses reprises « l’extrême droite », notamment en se référant aux médias de Vincent Bolloré7, feue C8 à travers sa « vedette » Hanouna, et Cnews. Disons-le d’emblée, cela me paraît pour le moins léger, facile et, plus grave, ne pas correspondre à la réalité8. En effet, à l’instar de François Krug9 dans son essai Réactions françaises. Enquête sur l’extrême droite littéraire, à aucun moment Mannoni ne prend la peine de définir l’extrême droite. S’agit-il simplement des porte-voix des idées représentées par les partis siégeant à l’extrême droite de l’Assemblée nationale ? Dans ce cas pas de problème, ces partis sont républicains et légaux, et représentent leurs électeurs, citoyens de plein droit ; on ne saurait faire le reproche à des médias privés de relayer ces opinions légales dans un pays qui se veut démocratique. Si l’extrême droite n’est pas ce que je viens d’écrire pour l’auteur, quelle est-elle ? Jamais elle n’est définie dans cet essai.

Nous posons donc la question : être conservateur, est-ce être d’extrême droite ? Questionner l’immigration, le bien fondé des politiques migratoires, les difficultés posées par l’accueil et l’intégration de populations de cultures étrangères parfois aux antipodes de notre modus vivendi et de notre histoire10, est-ce être d’extrême droite ? Être libéral économiquement et socialement, est-ce être d’extrême droite ? Critiquer le taux de prélèvements obligatoires, l’utilisation faite de l’impôt, la répartition fiscale, le poids de la fonction publique, l’efficacité de l’État et de ses services, est-ce être d’extrême droite ? Se sentir en insécurité, critiquer le fonctionnement global de la justice, exiger de la fermeté face à la corruption, la délinquance et la criminalité, est-ce être d’extrême droite ? Je pourrais continuer ce petit jeu lassant longtemps, cependant, il me semble (peut-être à tort ?) que si la réponse à cette série de questions est positive, alors il ne sert à rien de s’inquiéter de la montée de l’extrême droite : elle est déjà là. Je ne crois pas que ce soit le cas.

Comment donc définir l’extrême droite ? En se référant à une autorité universitaire reconnue en la matière, le philosophe, politologue et historien français Pierre-André Taguieff, auquel Olivier Mannoni se réfère par ailleurs à plusieurs reprises dans son essai. Dans Qui est l’extrémiste ? (éditions Intervalles, 2022), Taguieff écrit que :

« les seuls critères permettant d’établir objectivement l’appartenance à l’« extrême droite » telle qu’elle est imaginée et absolument rejetée, c’est le recours effectif à la violence en vue de la prise du pouvoir, le projet explicite d’instaurer une dictature – sur les ruines de la démocratie pluraliste – et l’existence d’un programme comportant des mesures jugées xénophobes, racistes et antisémites, et plus généralement, injustement inégalitaires et discriminatoires1112. »

Cette définition permet-elle de qualifier d’extrême droite Hanouna, Cnews, le RN, Zemmour ou Philippot ? Je ne le crois pas. De plus, Mélenchon, critiqué dans cet essai, n’est jamais qualifié d’« extrême gauche », sauf erreur. En quoi ses discours et interventions publiques – et ceux de ses lieutenants et députés – sont-ils moins extrêmes que ceux de Marine Le Pen, Bardella et consorts ? Comprenons-nous bien, je n’éprouve qu’un puissant mépris pour la classe politicienne et l’essentiel de ses représentants qui ne cessent de déroger à leurs obligations et à l’honneur, de quelque bord qu’ils fussent. C’est le travers de la démocratie, déjà identifié par Platon. Aujourd’hui, la plupart de la classe politicienne se sert de la France plus qu’elle ne sert la France. Comme le regrettait le regretté Frédéric Dard13, « ce n’est pas de ma faute si, depuis 1970, [l’histoire] de mon pays ressemble à l’exploitation chaotique d’une PME » (je souligne). Je ne cherche pas à défendre ni le RN, ni Zemmour, ni personne, mais juste, pour aller dans le sens général de l’essai d’Olivier Mannoni, à essayer d’employer les termes adéquats pour analyser correctement la situation de la France. Ou, pour paraphraser Albert Camus, à éviter de contribuer au malheur du monde en nommant mal les choses.

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Enfin, aussi essentiel et brillant soit l’essai d’Olivier Mannoni, il me paraît qu’il y a un grand absent, ou plus exactement, une grande absente : l’Éducation nationale. Loin de moi l’idée crassement démagogique de rejeter la faute sur les profs, ces cossards toujours en grève ou en vacances… Mais plutôt de constater que si Mannoni jette un pavé dans la mare, à juste titre, avec Coulée brune, ce n’est pas le fruit du hasard, mais bien des politiques éducatives menées en France depuis la fin des années 1960. Je ne m’étendrai pas sur le sujet, d’autres14 l’ont fait et très bien, mais je regrette que ce point n’ai été abordé qu’à la marge par Olivier Mannoni.

En effet, si la coulée brune peut contaminer la langue publique avec ses relents fascistes, c’est bien en raison de la démission de l’Éducation nationale (donc de l’État) dans l’enseignement de la langue et de l’histoire15. Gauche des valeurs et droite d’argent sont alliées depuis une cinquantaine d’années pour détruire l’enseignement et produire de parfaits moutons qui consommeront gentiment sans râler – et surtout sans réfléchir (du « gibier de dictature », pour reprendre l’expression d’Ingrid Riocreux – cf note 4). Utilisation de méthodes d’apprentissage de la lecture nocives, histoire biaisée et repentante, suppression de la culture générale « discriminante » au concours des grandes écoles, entrismes idéologiques et religieux dans les établissements… Avec pour résultat une baisse drastique du niveau d’expression, de compréhension et de culture générale qui se traduit immanquablement in fine dans le discours public et contaminent de facto les nouvelles « élites ».

Concernant l’éducation, Mannoni évoque dans l’un des derniers chapitres « l’extrême droite [qui] s’attaque à l’enseignement »… Si seulement il n’y avait que l’extrême droite ! Et les islamistes16, et les woke, et les parents d’élèves (qui consomment l’école en considérant que la réussite scolaire est un droit, et non le fruit d’aptitudes, de travail et d’investissement personnels de leur progéniture), et la liste est non exhaustive… Il est réducteur de considérer que seule « l’extrême droite » (jamais définie dans l’essai) s’attaque à l’école. L’instruction publique, qui pouvait faire l’objet d’un consensus national, a été dévoyée en Éducation nationale, finissant par confier à l’école des responsabilités qui relèvent d’abord (mais pas forcément uniquement) des familles (éducation affective et sexuelle, par exemple récent et polémique). L’ancien ministre socialiste Vincent Peillon assume vouloir « formater » les enfants pour en faire de bons petits républicains17. Vincent Peillon n’est pas d’extrême droite. Il est de gauche républicaine. L’enseignement devrait être protégé de tous les entrismes idéologiques, de quelque nature qu’ils soient.

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En dépit des réserves que j’ai exposées, Coulée brune est un essai fondamental pour comprendre notre époque. Olivier Mannoni offre une proposition sérieuse au débat public (la collection dans laquelle son ouvrage est édité s’intitule « Controverses »), qui n’a malheureusement pas été traitée à la hauteur de son importance dans les médias. L’enjeu n’est pas mince, il s’agit de notre avenir, celui de notre liberté, de nos libertés, de la France – et au-delà, du monde démocratique. Il faut lire Coulée brune.

Philippe Rubempré

Olivier Mannoni, Coulée brune. Comment le fascisme inonde notre langue, Éditions Héloïse d’Ormesson, coll. Controverses, 2024, 187 p.

1Mannoni est notamment le dernier traducteur de Mein Kampf d’Adolf Hitler, édition parue en 2021 chez Fayard sous le titre Historiciser le mal : une édition critique de Mein Kampf, sous la direction de Florent Brayard et Andreas Wirsching. Mannoni est également le traducteur du philosophe allemand contemporain Peter Sloterdijk, l’un des intellectuels européens les plus stimulants à l’heure actuelle.

2Victor Klemperer, LTI – Lingue Tertii Imperri, 1947. Édition française en poche sous le titre LTI, la langue du IIIe Reich, parue chez Espaces libres dans une traduction d’Élisabeth Guillot avec une préface de Johann Chapoutot en septembre 2023.

3Philippe Pichot-Bravard, L’Homme transformé but des révolutions totalitaires, Éditions Via Romana, 2025, 252 p.

4Je ne peux qu’inviter le lecteur à lire, si ce n’est déjà fait, les études magistrales de la linguiste Ingrid Riocreux sur la langue des médias français : La Langue des médias : destruction du langage et fabrique du consentement, et Les Marchands de nouvelles, éditions de L’Artilleur, respectivement 2016 et 2018.

5J’utilise ce néologisme pour insister sur la croissance de la caricature du débat public en France, qui ne date pas d’hier, hélas.

6Respectivement 1945 et 1948, tous deux disponibles dans la collection de poche Folio de Gallimard.

7Industriel milliardaire breton, propriétaire de nombreux médias dont Cnews, le JDD ou Europe 1, catholique et réputé d’extrême droite.

8Cela va sans dire – mais compte tenu de la qualité actuelle du débat, ça ira mieux en l’écrivant – ma remarque ne vaut pas caution pour les médias incriminés. J’exprime un désaccord d’analyse avec Olivier Mannoni, en aucun cas un soutien ou une approbation des médias concernés. Si je devais le faire, je le ferais sans ambage ni ronds de jambes, je n’ai pas l’habitude de me cacher derrière mon petit doigt. En outre, et pour clore ce point, mon éducation et la décence commune m’interdisent d’écrire ici ce que je pense d’un Jean-Marc Morandini ou d’un guignol qui trouve drôle de mettre des pâtes dans le slip d’un de ces chroniqueurs…

9François Krug, Réactions françaises. Enquête sur l’extrême droite littéraire, Seuil, mars 2023, 223 p.

10Poser la question, est-ce déjà être d’extrême droite ?

11Cité in Frédéric Saint Clair, L’Extrême Droite expliquée à Marie-Chantal, Éditions La Nouvelle Librairie, février 2024, page 32.

12En 1994, dans son essai Sur la Nouvelle Droite, Taguieff notait que « l’étiquette d’« extrême droite » s’applique à la quasi-totalité des phénomènes politiques et idéologiques qu’il est convenable, selon le système des valeurs partagé par les libéraux, les sociaux-démocrates et les communistes, de stigmatiser et condamner. Instrument d’illégitimation d’un adversaire

[je souligne]

, traité comme un ennemi absolu, et non pas instrument de connaissance ; terme polémique, et non pas terme conceptuel. » (cité in Frédéric Saint Clair, op. Cit., p. 29).

13Lors de la parution de L’Histoire de France, de San Antonio.

14Entre autres, Dimitri Casali, Natacha Polony, Philippe Nemo, Jean-Paul Brighelli (auteur de La Fabrique du Crétin), Jean-Baptiste Noé…

15Et des mathématiques, et des sciences, etc et hélas, comme le prouvent tous les classements internationaux et de nombreux autres indicateurs.

16Cf Jean-Paul Brighelli, L’École sous emprise, L’Archipel, 2024.

17« D’où l’importance de l’école au cœur du régime républicain. C’est à elle qu’il revient de briser ce cercle, de produire cette auto-institution, d’être la matrice qui engendre en permanence des républicains pour faire la République, République préservée, république pure, république hors du temps au sein de la République réelle, l’école doit opérer ce miracle de l’engendrement par lequel l’enfant, dépouillé de toutes ses attaches pré-républicaines, va s’élever jusqu’à devenir le citoyen, sujet autonome. C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle Église, avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi. » – Vincent Peillon, La Révolution française n’est pas terminée, Seuil, 2008, p.17.

Ab hinc… 395

« Proclamer que tous les hommes sont égaux à tout point de vue et à tout instant, y compris dans leurs capacités soit en force musculaire, soit en don musical, soit en intelligence, c’est tout simplement faux. […] Cela ne profite même pas aux plus faibles, cela mène seulement à une hypocrisie désastreuse, et finalement l’égalitarisme aboutit presque immanquablement à l’approfondissement des inégalités. […] Qu’on veuille développer l’esprit d’équipe et de collaboration, l’amitié des élèves les uns pour les autres, interdire au mérite de mépriser l’échec, c’est tout à fait souhaitable. Mais qu’on prenne prétexte de l’existence d’élèves qui ont des difficultés à travailler pour freiner ceux qui le peuvent et le veulent, c’est inadmissible. » – Laurent Schwarz (mathématicien, lauréat de la médaille Fields 1950), « L’enseignement malade de l’égalitarisme », Esprit, n°171, 1991.

Cité in Matthieu Grimpret, Bullshit Bienveillance. Enquête sur la psychologie positive à l’école, Magnus, août 2025, p. 195.

Les Hussards, mousquetaires de lettres – Philippe Pichon

De ses études et ses amitiés, avec Millau notamment, Pichon a conservé les lettres ; de son passé de flic, une franchise brut de décoffrage, une truculence joyeuse et débridée. Voici 75 ans de lettres françaises dégoupillées par Philippe Pichon avec brio, goût et dégoût, un art du portrait consommé et Annie Ernaux servie avec tout l’honneur dû à son génie…

« Mes mots sont des petits employés, tout au plus des fonctionnaires enlaidis. Le fatalisme plus courageux de Zola affronte des évêques, des ministres, des riches. S’il y a fatalité chez Zola, elle ne s’exerce qu’après que les personnages ont combattu, et tous n’échouent pas […]. Chez moi, l’échec a gagné d’avance. Et vous connaissez l’antienne du plus populaire petit-bourgeois frondeur de la sphère audiovisuelle : « il faut changer de logiciel », la rengaine de cet animateur en chef de la goguenardise cnewsienne qui n’a pourtant de cesse de renifler sous les jupons de Madame de Maintenon. Monsieur Praud pratique la chasse à courre dans un parc à jouets avec barrières et parle puériculture à la Fête de la bière. Il rase gratis avec des « mais ». C’est bien commode et surtout plus prudent pour Monsieur Bolloré qui n’a bien sûr rien contre Monsieur Macron. Pourquoi, entre Européistes, faudrait-il se détester? »

Philippe Pichon, p. 351.

Philippe Rubempré

Philippe Pichon, Les Hussards, mousquetaires des lettres des années Solex aux minutes McDo, Les Éditions du Verbe haut, septembre 2025, 377 p.

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