Journal d'un caféïnomane insomniaque
vendredi novembre 22nd 2024

Insider

Archives

Ab hinc… 358

« Je ne crois plus à rien, je n’estime plus rien, je me contente d’avoir été la dupe, sans m’en repentir, de deux ou trois idées, la liberté, la fidélité, l’honneur. » – François-René de Chateaubriand

Les Nobles Voyageurs – Christopher Gérard

Si vous désirez visiter la capitale de la Belgique – cette vue de l’esprit, ainsi que l’affirmait avec malice Jacques Brel, taquin –, ne cherchez pas de guide chez Michelin ou à l’office de tourisme, comme il est d’usage dorénavant de baptiser les syndicats d’initiatives. Précipitez-vous Aux Armes de Bruxelles (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), vénérable brasserie de la ville et chant d’amour envoûtant signé Christopher Gérard.

En ces temps sinistres où la figure du père est tant sur la sellette, lisez Le Prince d’Aquitaine (Pierre-Guillaume de Roux, 2018), roman consacré par Christopher Gérard à son père, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fut pas exactement un père modèle. Un roman rare, sur lequel il faudra que je revienne, à mettre au panthéon des grands romans sur la figure paternelle, aux côtés du Grand Santini de Pat Conroy, du Professeur d’histoire de Vladimir Volkoff ou du Nain Jaune de Pascal Jardin.

Nostalgique des sagesses antiques et païennes, initiez-vous en compagnie d’Oribase en partageant Le Songe d’Empédocle (L’Âge d’Homme, 2003), de Brocéliande à Delphes en passant par Rome et les rives du Gange, le voyage mérite assurément le détour.

Essayiste, romancier, âme de feue la revue Antaïos et animateur du blogue littéraire Archaïon, Christopher Gérard est une plume qui compte pour qui Aime Lire à l’heure des foires aux livres bisannuelles pompeusement dénommées « rentrées littéraires ». Vous le lirez dans diverses publications, dont l’excellent Service littéraire, l’érudite et iconoclaste revue Livr’Arbitres ou encore Causeur. En 2013, Gérard a publié un recueil de portraits d’écrivains intitulé Quolibets. En 2023, les Éditions de la Nouvelle Librairie font paraître Les Nobles Voyageurs, journal de lectures de Christopher Gérard qui constitue une version (considérablement) enrichie de son ouvrage de la décennie précédente.

***

La première chose qui m’a interpellé à la lecture est que ces Nobles Voyageurs sont une invitation au voyage. Êtes-vous prêt à embarquer ?

Comme une encyclopédie, les entrées sont classées par ordre alphabétique. Christopher Gérard y cisèle les portraits de ses écrivains choisis, toujours fidèles en amitiés littéraires, par-delà les polémiques parasites et vaines (Matzneff, par exemple, dont l’affaire éponyme révèle la profonde hypocrisie germanopratine), quitte à choquer les lombrics qui confondent littérature et moraline. Ainsi, cent vingt-deux princes de lettres sont honorés, de Jean-Claude Albert-Weil à Paul Willems, tous réfractaires, pour reprendre le terme de Bruno de Cessole, certains connus, d’autres plus buissonniers. La Belgique est bien entendu représentée (Baronian, De Decker, Pol Vandromme…) ; l’Europe orientale également, grâce à la fréquentation de Vladimir Dimitrijevic (1934-2011), fondateur et âme des éditions L’Âge d’Homme.

Christopher Gérard insuffle une irrésistible envie de se frotter aux écrivains qu’il dépeint d’une plume lumineuse. Les Nobles Voyageurs sont un recueil qui se lit comme un roman, et auquel on retourne comme à un bréviaire ; un bréviaire pour lecteurs insoumis, tels que le regretté Dominique Venner le concevait : « Être insoumis […] cela signifie être à soi-même sa propre norme par fidélité à une norme supérieure. S’en tenir à soi devant le néant. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre le monde à dos que se mettre à plat ventre. » Christopher Gérard appartient à cette aristocratie, cette race de seigneurs.

Enfin, saluons ici le chroniqueur qui met à l’honneur tant d’écrivains de qualité qui n’ont pas (toujours) l’aura qu’ils méritent dans cette foire à l’encan qu’est devenu le paysage éditorial franco-belge. Certains sont chers à mon cœur, et la lecture des Nobles Voyageurs saura vous convaincre de (re)découvrir, entre autres, Juan Asensio, Arnaud Bordes, François Cérésa, Bruno de Cessole, Luc Dellisse, Ghislain de Diesbach, Guy Dupré, Bruno Favrit, Pierric Guittaut, Patrice Jean, Bruno Lafourcade, Sébastien Lapaque, Érik L’homme, Olivier Maulin, Thomas Morales, Gérard Oberlé, Roger Scuton et j’en passe. Quant aux autres, il me tarde de les relire sous un jour nouveau ou de les explorer.

Philippe Rubempré

Christopher Gérard, Les Nobles Voyageurs, éditions La Nouvelle Librairie, 2023, 465 p.

Ab hinc… 357

« J’ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. » – Benjamin Constant

Terminal Croisière – Thierry Marignac

Essayiste, traducteur du russe et de l’anglais (profession qu’il a exercée dans le domaine judiciaire à Bruxelles) et romancier, Thierry Marignac est une signature atypique dans le paysage des lettres françaises. Avec Terminal Croisière (Auda Isarn, 2021), il nous plonge dans l’œil du cyclone des lobbyistes européistes, véritable marigot peuplé de sauriens assez peu recommandables et de bien nommés vauriens.

Thomas Dessaignes, le narrateur et héros, est embarqué comme traducteur dans le cadre d’un colloque sur le poète russe Derjavine, qui se tient à bord du paquebot Imperial Luxury, qui accueille en outre un séminaire d’une entreprise d’ingénierie trans-européenne, Omega 8. Lors d’une escale au terminal croisière du port belge d’Anvers, un jeune Tchétchène est arrêté en possession d’une rondelette quantité d’opium. C’est alors que Dessaignes est réquisitionné par la police es qualité d’interprète judiciaire. C’est l’été. La chaleur étouffante oppresse les nerfs et poisse les chemises contre les peaux. La pluie ne lasse pas de tomber sans parvenir à rafraîchir l’atmosphère.

Dans un incessant dialogue entre le terminal, au cœur des très crédibles séances d’interrogatoires, et les événements de la croisière en cours narrés par Thomas Dessaignes, Marignac échafaude une intrigue complexe dans laquelle s’emberlificotent séduction, espionnage industriel, corruption, paris truqués, reportage d’investigation, liberté de la presse, lobbying, polar… Entre l’envoûtante Svetlana et le mystérieux Opérateur, le lecteur est immergé dans les barbouzeries européennes, guidé dans ce sombre labyrinthe par un interprète judiciaire peut-être moins innocent qu’il ne l’affirme aux policiers… On y croise Britanniques, Russes, Tchétchènes, et autres Croates, Géorgiens ou Kazakhs ; on visite l’Imperial Luxury des entreponts aux salons de réception ; on espère et on suppute dans les préfabriqués du port d’Anvers – chaudron judiciaire improvisé en zone extra-territoriale…

Thierry Marignac est un familier des arcanes bruxellois comme de l’Europe de l’Est et des pays de l’ex-URSS. Son érudition transcende et confère un réalisme et un crédit étonnants à son roman ; il révèle un visage de l’Union européenne et de la bureaucratie bruxelloise bien loin des discours vantant la démocratie, la lutte conte la corruption ou la paix. Notre Union européenne tant célébrée comme sine qua non ? Chacun se fera son opinion sur la question en lisant Terminal Croisière.

Philippe Rubempré

Thierry Marignac, Terminal Croisière, Auda Isarn, 2021, 168 p.

Ab hinc… 356

« Il n’y a pas d’idées généreuses, seulement des idées vraies – généralement peu séduisantes en raison même de leur rectitude – et des leurres que l’on agite pour enthousiasmer les masses. » – Christopher Gérard, Les Nobles Voyageurs, Éditions La Nouvelle Librairie, décembre 2023.

 Page 14 of 186  « First  ... « 12  13  14  15  16 » ...  Last »