Hélène Bruller est une vraie salope
Dessin – Scénario : Hélène BRULLER
Et si c’était vrai ? Pour le savoir, déguster cette bande-dessinée hilarante ! Alternant les pages sur son histoire et une tentative de classification des comportements humains au fil de son histoire, Hélène Bruller raconte son largage en haute montagne avec toutes les phases conséquentes (déprime, larmes, vengeance…) jusqu’à une nouvelle rencontre et plus si affinités.
Le dessin est brut et féminin. L’auteur a une étonnante capacité à tordre les visages pour mettre en valeur un état ou un sentiment, rappelant en ce sens Egon Schiele ou encore un certain art de l’anamorphose.
Cette BD est brillante, délirante, vache et drôle, parce que juste. Hélène Bruller est une vraie salope. Hélène Bruller sait aussi mettre le doigt là où ça fait mal et ça nous faire rire. C’est d’autant plus intéressant que tout un chacun a connu, du côté masculin ou féminin, ces situations.
Humour, dérision et auto-dérision pour une réflexion sur notre condition d’être aimant.
Les Cosaques – Lev Nikolaïevitch TOLSTOÏ
L’âme russe ! Ah, l’âme russe…
Un roman de l’âme russe, que nous pourrions qualifier de manière abusivement anachronique de « naturalisme soviétique » – en référence à Zola et au mouvement pictural du réalisme soviétique.
Cette histoire d’Hommes se déroule dans le Caucase, dont la nature est rendue perceptible à vos sens par la grâce et la magie de la plume de Tolstoï. Une histoire qui en rappelle une autre quelques 150 ans plus tard, sur le même théâtre d’opération (Tchétchénie & Dagestan). Une opération de pacification déjà.
Une histoire d’amour, aussi. Amour impossible. Une histoire tragique où la mort vient contrecarrer la perspective du bonheur.
Bref, vous l’aurez compris, une histoire russe.
A lire pour la plume de Tolstoï,
A lire pour l’extraordinaire nature du Caucase,
A lire pour plonger dans l’âme russe, et si possible en conserver un petit morceau…
Rhum – Blaise CENDRARS
Rhum… ou la vie de Jean Galmot, journaliste, écrivain, industriel, député de la Guyane, présumé corrompu dans ce qui fut dans les années 1920 la célèbre affaire des rhums (toute ressemblance avec une actualité sinistre étant purement involontaire).
Cendrars a suivi cette affaire Galmot (et oui il a vraiment existé l’huluberlu !) et en a tiré un roman comme on pose un acte politique. Il est effarant de constater que les conflits d’intérêts, la chasse à l’homme, les fuites judiciaires, l’acharnement médiatiques sont toujours d’actualité. Criants d’actualité. Sans prendre parti pour les uns tout en critiquant les autres, Cendrars dévoile la mécanique implacable d’un système dit républicain pour se débarrasser d’un gêneur. On pourrait croire que c’est inventé. Vérifications d’usage effectuées, il n’en est rien et le plus triste, c’est que même quand c’est finit, ça recommence…
Le texte est nerveux. La prose de Cendrars est précise, tranchante, exacte. Rien de superflu, rien de manquant. L’auteur joue merveilleusement avec les pièces du dossier, n’hésitant pas à les citer et à couper son texte. Le rythme n’en est pas pour autant affecté, au contraire.
Un roman brillant, du point de vue littéraire, du point de vue politique (je répugne à user du terme de « morale politique », la politique est amorale par essence, et on peut toujours jouer du cornet à piston devant la tour Eiffel en s’imaginant qu’elle va danser la samba – expression empruntée à Hergé, elle restera ce qu’elle est), et du point de vue du bovaryste. Rhum se dévore comme un roman d’aventures formidables ; tout y est, le journalisme, la jungle, les colonies, les affaires, les méchants, les bons & les traitres, les faux-semblants… et l’identification au personnage fonctionne.
Bovarysme ou syndrome de Stockholm ? A vous de le dire…
La gueule du lion – J. CHRISTOPHE
Roman d’aventures, roman d’amitié, roman initiatique pour les jeunes garçons (et filles) en pleine construction de leur personnalité.
Italie du Nord, première moitié du XVIeme Siècle. Bernard, fils d’un soldat français et d’une Italienne du cru, perd tout, volé par des crèvent-la-dalle. Sa mère n’y survit pas. Il a 14 ans. Il a un objectif : rejoindre la Sérénissime, où il sera en sécurité, et où il pourra gagner sa vie en travaillant à l’arsenal. Il se joint à la bande d’affamés et plonge vers son destin. Il va croiser Federigo, fils d’un orfèvre vénitien. De cette rencontre naît une amitié et une fidélité, un certain sens de l’honneur célébré tout au long de ce court roman pour la jeunesse.
Le roman est magnifiquement illustré par des peintures (et détails) vénitiennes dans une reproduction couleur de qualité, à l’honneur de l’éditeur, la Bibliothèque de l’Amitié, ainsi que par un semis de dessins signés Boudignon appuyant le texte.
Le roman s’inscrit dans son époque (il a été publié en 1971), ne l’oublions pas avant d’en juger les thèmes à l’emporte-pièce. C’est une belle introduction à ce qu’est l’amitié, la vraie, celle avec un grand A comme A la vie, A la mort…
Des néons sous la mer – Frédéric CIRIEZ
Jouissif ! Et je ne l’écris pas en raison du thème du roman, la prostitution. Non, c’est vraiment jouissif grâce à la langue agile de l’auteur. C’est ingénieux, inventif, inattendu, osé, exagéré… du point de vue de l’écriture. C’est un feu d’artifice de singularités, toutes et chacune étant justifiée(s) par les besoins de la narration.
Nous sommes en 2012, après l’élection présidentielle. La prostitution est légalisée. Sic ! Un claque s’est ouvert dans un ancien sous-marin (diesel) de la Royale (marine française) à la réputation sulfureuse (le sous-marin). Il est du côté de Paimpol. Le lupanar est presqu’anagramiquement dénommé Olaimp (toute référence à Manet et à la mythologie étant purement non-fortuite).
Écoutons, lisons le vestiaire des lieux nous raconter ce boxon qui rime avec émotion autant qu’avec prostitution.
Ce roman a du fond. Il aborde sous un extérieur plaisant, littéraire, drolatique, la très épineuse question de la prostitution. Avec, il faut le reconnaître, une grande lucidité. Et l’intelligence de ne pas juger.
Le roman milite-t-il pour la réouverture des bordels et la légalisation de la prostitution ? Lisez-le, faites votre opinion propre. Quoi qu’il en soit, c’est remarquablement écrit du point de vue langue et littérature ; l’histoire est impeccable du point de vue roman ; le fond est bien présent pour susciter la réflexion.
Pour un premier roman, brillant, et … Chapeau !