Du sang sur les Bonnets rouges – Hervé le Bévillon
Le spectacle de la jacquerie en gilets jaunes auquel j’ai assisté le samedi 17 novembre 2018 depuis la terrasse d’une de mes brasseries de prédilection s’est reflété dans ma bibliothèque. Du sang sur les Bonnets rouges me faisait de l’oeil, je devais le lire.
Entamé un soir de manifestation. Achevé au lendemain d’une autre journée de mobilisation dont je fus également spectateur à la fois amusé (un peu de bordel, ça réveille !) et agacé (par le traitement politico-médiatique). Une fois encore, l’incompréhension crasse et le mépris stratosphérique des détenteurs du pouvoir pour les ploucs, « ceux qui ne sont rien », les « illettrés », ceux qui n’ont « qu’à traverser la rue pour trouver du boulot » (dixit le Président), se sont étalés aussi vulgairement qu’une pâte à tartiner de supermarché sur un pain industriel. Sans doute est-il vrai, comme ose l’écrire un journaleux du Monde, que ce ne sont que des « connards »… celui-là a au moins le mérite de la franchise (et ne restera pas assis sur le couvercle quand on mettra les cons à la poubelle). Brisons-là, et revenons à nos Bretons.
Fin 2013, l’inénarrable (et insupportable) Marie-Ségolène en goguette, qu’un mauvais plaisantin a cru bon de nommer ministre de l’Environnement, décide de créer une écotaxe pour les poids-lourds qui déclencha une véritable rébellion en Bretagne, laquelle s’est incarnée dans le mouvement dit des Bonnets rouges. En effet, en raison de sa situation géographique, la région morflait plein pot avec cette énième taxe. Même les vaches à lait peuvent se tarir, et nombre de Bretons se mobilisèrent efficacement contre la taxe Royal, reprenant le symbole historique des Bonnets rouges, souvenir d’une révolte sous Louis XIV.
Au départ du polar d’Hervé le Bévillon, des militants politiques ou culturels bretons sont assassinés. Les crimes montent en puissance, en parallèle de la psychose et de la colère. Le ressentiment contre la France et l’incurie des services de l’État alimentent la révolte qui sourd. Ces éliminations criminelles sont revendiquées par un groupe mystérieux baptisé « Honneur de la France » avec une haine farouche envers les Bretons. Le commissaire Bellec, du SRPJ de Rennes, est chargé de l’enquête avec son équipe bigarrée…
Le lecteur patauge avec les flics pendant une cinquantaine de pages, puis au fil de l’enquête, il devient de plus en plus difficile de « lâcher » le polar. Le Bévillon a particulièrement réussi sa galerie de portraits, d’un réalisme incarné. Le suspense s’intensifie, jusqu’à la fin inattendue. Tous les codes du genre sont réunis sans clichés et avec brio.
Cette plongée dans les eaux bretonnes offre un panorama intéressant de cette culture fière et singulière, et permet de mieux comprendre à travers son histoire pourquoi, sans que cela se traduise par un votre extrême dans les urnes, les Bretons ont une identité si forte, qu’ils soient autonomistes, indépendantistes, rattachistes ou attachés à la république française. On ne s’étonnera pas que cet excellent polar soit édité par Yoran Embanner.
Philippe Rubempré
Hervé le Bévillon, Du sang sur les Bonnets rouges, Éditions Yoran Embanner, 2014, 312 pages.
Lectures octobre
- Le Fouet à Londres – Hughes Rebel
- Servir – Général d’armée Pierre de Villiers
- Coney Island Baby – Nine Antico
- La France interdite – Laurent Obertone
- Les passagers du vent. Le sang des cerises (Livre I) – François Bourgeon
- Destin français – Eric Zemmour
- Le défi migratoire. L’Europe ébranlée – Jean-Baptiste Noé, avec les contribution de Olivier Hanne et Xavier Raufer, préface de Thomas Flichy de la Neuville
La chasse aux hommes – Paul Vialar
S’ouvrant sur une chasse à courre tragique, s’achevant à la curée, La chasse aux hommes est une métaphore cynégétique de 940 pages des tréfonds de l’âme humaine. Non, l’homme ne naît pas bon, et il corrompt la société au moins autant qu’elle ne le corrompt.
Le comte Patrice de Viborne, grand chasseur à courre devant l’éternel, propriétaire d’un domaine en Sologne, décide de mettre fin à ses jours, en informe son épouse Angèle, et en communique les raisons ainsi que ses souhaits quant au devenir de sa femme. Suicide cynégétique, il va sans dire, qui nous plonge dans le destin de la famille de Viborne et de son entourage, du député Gardas au financier froid et méthodique Melhen, d’Enguerrand, fils ainé d’un premier lit sacrifié à la condition ouvrière à Angélique, la cadette qui hésite à entrer dans les ordres et au benjamin si sensible, Lambert. Leurs destins croisés sont explorés au fil des dix parties du roman, se tricotant et se détricotant en offrant un panorama des relations humaines dont Paul Vialar a le secret. Un canevas coloré de camaïeux, où rien n’est ce qu’il parait et tout, y compris les actes les plus froids, les plus calculés, les plus violents, tout se révèle dans la nuance.
Cette saga française s’achève aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, au coeur de la reconstruction et des luttes politiques issues de la Résistance. La galerie de caractères, particulièrement soignée et éloquente, n’est pas sans nous rappeler leurs avatars contemporains, soulignant la permanence et l’immanence de la condition humaine par delà le temps. Plongez avec Vialar dans cette chasse aux hommes, gibier ou chasseur au gré des situations, vous ne regretterez pas le voyage. Mutatis mutandis, il y a une ambition balzacienne dans ce roman réussi à la plume honnête et agile.
Philippe Rubempré
Paul Vialar, La chasse aux hommes, (Édition René Julliard, 1962),Éditions du Club France Loisirs, 1975, 941 pages.
Lectures septembre
- L’Étrange suicide de l’Europe – Douglas Murray
- Le Tour de la France par deux enfants d’aujourd’hui – Pierre Adrian & Philibert Humm
- Le Seigneur des Anneaux – J.R.R. Tolkien
- Tarzan, la légende de la jungle – Edgar Rice Burroughs
- La super-classe mondiale contre les peuples – Michel Geoffroy
- Sparte et les Sudistes – Maurice Bardèche
Paradise Island – Lu Ping & Teufel
Chloé gagne au jeu télévisé La Roue de la Chance – toute ressemblance avec un jeu de TF1 étant purement non-fortuite – un séjour pour deux dans un club de luxe sis sur Paradise Island. Quoique n’ayant réussi à dénicher aucune information sur ladite île paradisiaque, elle s’envole en compagnie de son amant, Tom, vers les vacances bien méritées, conquises de haute lutte télévisuelle.
L’arrivée sur l’île est quelque peu déroutante : une hôtesse fait le maillot de Chloé pendant qu’une autre accueille Tom à la mode de Saint-Claude. Le monde semble en chaleur sur cette île. De retour avec Tom dans leur chambre et constatant le grand remplacement de leurs affaires par une collection osée, Chloé décide de partir… Le pourront-ils ?
Soyons clair, il n’y a rien d’intello dans cette bande-dessinée pour adulte à la pornographie léchée (sic !). Le scénario, plutôt adroit pour une oeuvre du genre, est cohérent ; les dessins bien exécutés ; les scènes érotiques, éclectiques et à profusion, excitantes. Les ambitions des auteurs de cette agréable gauloiserie sont le divertissement et l’émoustillement de leur lectorat des deux sexes.
Toutefois, le choix d’un gain de jeu télévisé et le parallèle évident avec certaines émissions de téléréalité est révélateur – lapsus dessiné, sans doute – des véritables objectifs des promoteurs de temps de cerveau disponible : vous jeter en pâture à la populace pour leur plus grand profit sonnant et trébuchant, si possible en train de baiser en satisfaisant ainsi, cerise du le gâteau, leurs instincts pervers et voyeurs.
Aux amateurs assidus ou occasionnels de ce genre de programmes télévisés, à bon entendeur…
Philippe Rubempré
Paradise Island, scénario de Lu Ping, dessins de Teufel, et couleurs d’Angus, Éditions Glénat, coll. Drugstore, 2012, 48 pages.