Lundi 27 avril 2020

La folie du temps rime avec relâchement des corps et des âmes. Conserver de la tenue pendant le confinement appelle un effort sur soi tant il est facile de se laisser aller à la résistance sur canapé apéro cahouettes… L’occasion était belle de relire consécutivement Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, de Dominique Venner, et Éthique du samouraï moderne. Petit manuel de combat pour temps de désarroi, de Patrice Franceschi, deux lectures particulièrement recommandables de nos jours !
Sans vouloir gloser sur la décadence de l’homme occidentalisé, tout du moins d’une large partie de cette population, nous pouvons néanmoins constater ces dernières décennies que nombre de valeurs se sont inversées ou ont été profondément bouleversées, voire que certaines vertus comme l’honneur, la fidélité, le courage, sont carrément devenues, pour les sus-dits, ringardes. Je m’inscris en faux contre cette évolution, qui est une régression, un contre-progrès au service de la servitude des Hommes. Venner et Franceschi permettent de réfléchir au sens qu’on donne à la vie et à ce qui importe ; en cela, leurs ouvrages respectifs sont des viatiques à consulter régulièrement. L’honneur et la liberté sont les guides qui les animent. La référence au samouraï et au bushido, leur code d’honneur, n’est pas fortuite. Savoir qui on est, d’où on vient et avoir un but dans la vie, s’affirmer avec la fierté de l’homme libre et dans le respect de l’honneur, vivre debout, faire preuve de discernement, c’est tout de même autre chose que de devenir le consommateur liquide et interchangeable dont rêvent les chantres de la mondialisation heureuse.
Une certaine idée de l’Homme habite Venner et Franceschi. Si leurs ouvrages et parcours respectifs sont très différents, ils n’en sont pas moins profondément ancrés dans le passé sans lequel le présent n’est rien et le futur inexistant. Ces ouvrages parlent d’honneur, de courage, de tenue, d’exigence vis-à-vis de soi et vis-à-vis du monde. Il y est question d’autonomie, de liberté, de droiture, de racines, d’amitié. Ce sont deux manières d’être un gentilhomme dans notre monde contemporain. Mutatis mutandis, ils sont pour l’homme moderne ce que les Évangiles sont au chrétien ou le Coran au musulman, un chemin à suivre. À vous de voir ce qui vous semble juste, mais je crois que l’aventure vaut le coup d’être tentée. Après tout, libre à chacun de prendre ou non ce qui est proposé.
Il n’est pas question d’élever Dominique Venner et Patrice Franceschi au rang de gourous ou d’hommes providentiels, mais d’écouter ce qu’après les grands anciens, et notamment les stoïciens, ils ont à nous dire, et avec eux écoutons, lisons aussi Luc Dellisse, François Sureau, Philippe Esnos et tant d’autres… Je vous quitte avec ce qui reste à mes yeux la plus belle des Fables de La Fontaine, une méditation sur la liberté… À bientôt.
Le Loup et le Chien
Un Loup n’avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu’il admire.
« Il ne tiendra qu’à vous beau sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. «
Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. «
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ? – Peu de chose.
– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. «
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.
Ouvrages cités :
Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, Dominique Venner, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2013.
Éthique du samouraï moderne. Petit manuel de combat pour temps de désarroi, Patrice Franceschi, Grasset, 2019.
Libre comme Robinson. Petit traité de vie privée, Luc Dellisse, Les Impressions nouvelles, 2019.
Pour la liberté. Répondre au terrorisme sans perdre la raison, François Sureau, Taillandier, 2017.
Sans la liberté, François Sureau, Tracts Gallimard, septembre 2019.
L’Aventurier, Philippe Esnos, Éditions Alphée, 2011.
Fables, Jean de La Fontaine, Le Livre de Poche, Classiques de Poche, 2002.
Ab hinc… 267

« Si, pour vous faire rendre les armes, les idoles des faussaires vous proposent un peu plus de sécurité en échange d’un peu moins de liberté, refusez poliment.
Si elles vous offrent un peu plus de commodité et de facilité en échange d’un peu moins de savoir et de connaissance, souriez aimablement.
Si elles vous proposent un peu plus de prospérité contre un peu moins d’esprit critique sur la prospérité, riez franchement.
L’éthique du samouraï moderne est une éthique de la contre-servitude volontaire. »
Patrice Franceschi, Éthique du samouraï moderne. Petit manuel de combat pour temps de désarroi, Propos 247.
Ab hinc… 266

« Car la mort n’est pas à craindre. Tant qu’elle n’est pas là, pourquoi en avoir peur ? Et quand elle est là, il n’est plus temps d’y penser. Ainsi parlait l’un de nos grands anciens.
Comme lui, écartez cette crainte inutile. Elle corrompt nos pensées, elle corrode nos actes.
Puisque vous ne pouvez échapper à la mort, changez votre regard sur elle. Cela ne dépend que de vous. »
Patrice Franceschi, Éthique du samouraï moderne. Petit manuel de combat pour temps de désarroi, Propos 24.
Ab hinc… 265

« Chez Homère, la vie, cette petite chose éphémère et si commune, n’a pas de valeur en soi. Elle ne vaut que par son intensité, sa beauté, le souffle de grandeur que chacun – et d’abord à ses propres yeux – peut lui donner. Une conception bien différente de celle véhiculée par tant de ces sagesses de bazar, de ces platitudes qui ont envahi l’esprit des masses occidentales et incitent à désirer une vie la plus longue possible, fût-elle médiocre et larvaire. » – Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le Bréviaire des insoumis, PGDR, 2013.
Vendredi 24 avril 2020
En relisant Un samouraï d’Occident, le Bréviaire des insoumis de feu Dominique Venner, je tombe dans le chapitre intitulé « Notre mémoire oubliée » sur un paragraphe consacré à Henri de Montherlant racontant le choc vécu à huit ans à la lecture de Quo vadis, le roman d’Henryk Sienkiewicz. Ce roman dont l’action se situe sous le règne de Néron confronte le premier christianisme au stoïcisme de Sénèque, et surtout de Pétrone. J’ai donc relu ce livre, dont on m’avait offert une version illustrée quand j’étais gamin, et je me suis aussi souvenu que quelque part devait traîner une adaptation cinématographique polonaise dans ma dvdthèque, revue également.

Grand bien m’en a pris. Le roman se dévore avec autant de voracité que quand j’étais môme, mais le plaisir se double d’une réflexion sur la vie et la mort, ou plus exactement, sur le sens de la vie et le sens de la mort, à la lumière du christianisme antique et du stoïcisme. Un excellent choix de lecture en ces temps décadents dans lesquels on a voulu nous faire croire que la mort n’était pas normale, qu’elle était nécessairement souffrance et peine, où on a voulu la faire disparaître de notre quotidien avec un certain succès. Le Covid 19 est venu balayer cette comédie d’un goût douteux. La mort appartient à la vie, pleinement. Il est tout aussi important de réussir sa mort, si ce n’est plus, que de réussir sa vie. La souffrance aussi appartient à la vie. On peut toujours se raconter des histoires, créer un homme bionique ou jouer du cornet à piston devant la tour Eiffel en s’imaginant qu’elle va danser la samba, la mort est bien présente. Autant en prendre acte, et la chanter joliment, comme Brassens dans Oncle Archibald, par exemple, ou vivre en étant conscient de cette borne ultime.
Là, Quo vadis nous donne avec le récit de la mort de Pétrone une belle leçon de dignité face à la mort. Se sachant condamné par Néron, l’arbitre des élégances organise une fête entouré de sa femme et de ses amis; il prend acte de son sort et met cérémonieusement fin à ses jours en compagnie d’Eunice, son aimée, dans les chants, les danses et les libations, accompagné par le siens. Cette mort donne à réfléchir ; elle remet en question pour les non-croyants la vision glauque, forcément glauque, de la mort véhiculée par les médias et les politiques, au point de se mêler de votre santé et de brider vos libertés pour vous obliger à mourir en bonne santé (ou à travailler toujours plus longtemps pour des intérêts financiers qui ne seront jamais les vôtres). Le sacrifice des Chrétiens est, lui aussi, à sa manière, exemplaire dans l’acceptation de la souffrance par la Foi ; leur attitude est même, osons l’écrire, absolument admirable.
J’avais envie de vous parler de Quo vadis, ce beau roman qui résonne singulièrement en temps de confinement versus mortem. Il pose de passionnantes questions sur notre rapport à la mort et à la souffrance, à l’heure où elles sont mises en scène et exploitées sans vergogne par une large partie des politiciens, des médias et des médecins. À bientôt.
Quo vadis, Henryk Sienkiewicz, Le Livre de Poche, Classiques, 2001.
Quo vadis, film de Jerzy Kawalerowicz, 2001, en dvd.



