Ab hinc… 155
« On n’écrit pas de bonnes histoires et surtout pas une bonne Histoire (de France) sans bons personnages. Ce n’est pas de ma faute si, depuis 1970, celle de mon pays ressemble à l’exploitation cahotique d’une P.M.E. » – Frédéric Dard, à propos de l’Histoire de France de San Antonio
Pourvu qu’elle soit rousse – Stéphane Rose
Chroniquer un roman érotique n’est pas chose aisée. Chroniquer et non pas critiquer ; je ne suis pas critique, je n’en ai ni l’ambition, ni le talent. Il faut bien reconnaître qu’il est plus difficile encore d’écrire un bon roman érotique. Le piège de la vulgarité pornographique (pléonasme) à deux sous tient ses machoires largement ouvertes, et le moins que l’on puisse dire est que ces dernières sont tout particulièrement sensibles ! Les auteurs de la collections des « Érotiques » de feu Gérard de Villiers en savent quelque chose, en grands spécialistes de la question (pour en avoir lu un certain nombre, je ne crois pas avoir conservé de bon souvenir littéraire ou érotique de ces romans de toilettes de gare – je ne parle pas des S.A.S.). Les collections publiées par Esparbec sont d’un niveau tout autre. Il faut dire qu’il a redonné des lettres d’une noblesse toute proustienne à la pornographie (il revendique le terme).
Désormais, outre la plume d’Esparbec, il faudra compter sur l’érotisme élégant jusque dans sa crudité de Stéphane Rose. Avec Pourvu qu’elle soit rousse, son premier roman, Stéphane Rose évite le piège de la trame à deux balles destinée à servir grossièrement une pornographie crade, sans âme ni qualités littéraires, bonne pour la branlette des trous (de balle). Au contraire, son autobiographie d’un obsédé par les rousses est un roman profond et élégant, littéraire et érotique. Et comme toute bonne littérature, il pose des questions plutôt qu’il n’offre de solutions (Alberto Manguel).
Le héros et narrateur, Stéphane, est obsédé par les rousses, les vraies, et notamment leur odeur singulière supposée. Le roman s’ouvre sur sa relation avec Anaïs, une vraie rousse, volcanique et démoniaque à souhait. Tout se gâte quand leur relation prend fin, et que Stéphane décide de s’inscrire sur un site de rencontres bien connu pour combler sa soif inextinguible de rousses, et poursuivre sa quête de ce graal sacré à ses yeux…
Dans son style sobre et efficace, Stéphane Rose nous offre véritablement le trivium et le quadrivium de la roussitude (décidément, les accidents de langage de la Marie-Ségolène en goguette sur la Grande Muraille font florès…). Des différentes teintes de roux à leur odeur supputée, tout est passé en revue, tout est étudié avec un humanisme renaissant et une drôlerie certaine. L’érotisme est sans doute l’objet du roman (le narrateur reconnait sa volonté d’écrire un livre érotique), mais ce n’est certainement pas un prétexte. À chaque fois à sa juste place, tantôt esthétique, tantôt crû, mais toujours élégant, l’érotisme selon Stéphane Rose est plein de questionnements auxquels l’auteur à la sagesse de ne pas répondre – ainsi, par exemple, le fétichisme ou la dépendance… Ce choix judicieux, la qualité de la plume et de l’histoire, l’originalité du traitement et son humour font de Pourvu qu’elle soit rousse un roman à lire… et à relire !
Philippe Rubempré
Stéphane Rose, Pourvu qu’elle soit rousse, L’Archipel, 2010, 195 pages, 16,95 euros
Mémoires d’un indifférent – Alain Sanders
Ces Mémoires d’un indifférent m’ont laissé l’impression d’une autobiographie fantasmée à la hussarde d’Alain Sanders (de son vrai nom Alain Potier), dont le nom de plume n’est pas sans rappeler François Sanders, hussard bleu cher à Roger Nimier. Le narrateur revisite le Vingtième Siècle, siècle des idéologies s’il en est, au travers de ses guerres, notamment la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. Un voyage raconté par le cul de bouteilles littéraires d’un goût des plus sûrs.
Être âgé d’une vingtaine d’années lors de la défaite de 1940, résister par hasard et goût de l’aventure, être emprisonné à la Libération en raison de ses amitiés fidèles, n’admirer que l’Honneur, la Littérature et une certaine forme de savoir-vivre… Voilà ce qui fait du héros de ces mémoires un indifférent. Non qu’il soit un lâche (bien au contraire), ou un jean-foutre (pas plus), mais indifférent à l’air du temps, aux modes tant vestimentaires que politiques, et aux belles histoires qu’on vous raconte. Par exemple pour vous faire oublier que pendant l’Occupation, il n’y avait de résistants et de collabos qu’à la marge, que la majorité de la population cherchait à survivre, et les commerçants à faire du commerce… L’Épuration a été (aussi, mais pas que) le théâtre de règlements de comptes politiques, voire mafieux, assez odieux (je pense entre autres aux résistants de 1946, les plus nombreux, ceux qui furent les plus actifs… et les plus expéditifs).
Dandy au siècle des idéologies, le narrateur agit au nom de son idéal, réminiscence d’un idéal chevaleresque et littéraire d’une noblesse qui ne peut que heurter les médiocres. C’est ce qui le pousse, après avoir enseigné les Lettres dans un lycée de province pour « se faire oublier », à rempiler comme correspondant de guerre pour la presse de Sa Majesté en Corée. Puis devenu propriétaire terrien, jouissant des fruits de sa librairie confiée à un gérant, de profiter de la vie en gentilhomme. Jusqu’au jour où la tentation de l’Aventure resurgit sous les traits d’un jeune coq…
Philippe Rubempré
Alain Sanders, Mémoires d’un indifférent, Albin Michel, 1985, 229 pages, prix au bon coeur de votre bouquiniste préféré.
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Nos disparus – Tim Gautreaux
Nos disparus est le second roman (admirablement) traduit (ici par Marc Amfreville) de Tim Gautreaux publié en France (après Le dernier arbre). Il justifie parfaitement son surnom de « Conrad des bayous »…
Arrivé pour se battre en France le 11 novembre 1918, jour de l’Armistice, Sam Simoneaux ne verra de la guerre que les opérations de « nettoyage » – comprendre de déminage – et les accidents qui en découlent. De retour à la Nouvelle-Orléans, il perd son poste de responsable d’étage dans un grand magasin le jour où la petite Lily Weller, âgée de trois ans, est enlevée sous son nez (et pour le malheur de son crâne). Pour retrouver son poste, Sam Simoneaux s’engage à ramener l’enfant. Il se fait embaucher comme troisième lieutenant sur l’Ambassador, le vapeur hors d’âge sur lequel travaillent les parents de Lily, chanteuse et musicien dans un orchestre de jazz, entre autres petits boulots de service.
Sam Simoneaux remonte donc le Mississippi à la recherche d’une gamine qui n’est pas la sienne. Il va croiser sur cette route sa propre tragédie familiale, du massacre de sa famille quand il était âgé de six mois à la perte de son premier enfant des suites d’une fièvre maligne.
Dans le Sud profond de la prohibition, des vapeurs à aube aux banques, de la Nouvelle-Orléans au trou du cul du Kentucky, de whisky de contrebande en gombo de poulet, les personnages se débattent pour vivre, ou survivre, entre nécessité de gagner sa vie, rêve d’un avenir meilleur, et sentiments plus ou moins avouables, de l’amour au sens de l’honneur en passant par la vengeance.
Le « Conrad des bayous » vous entraine dans un périple profondément humain et universel dans les questionnements intimes qu’il suscite. Une plume à lire, qui n’est pas sans rappeler par certains aspects Jim Harrison, et Pat Conroy par d’autres…
Philippe Rubempré
Tim Gautreaux, Nos disparus, Seuil, 2014, 540 pages, 23 euros
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Ab hinc…154
« La fonction de l’homme est de vivre, non d’exister. » – Jack London